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UE – Mutagénèse : l’avocat général clarifie sans répondre

Par Charlotte KRINKE, Eric MEUNIER

Publié le 18/01/2018

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Ce jeudi 18 janvier 2018, l’avocat général de la Cour de Justice (Union européenne) a rendu ses conclusions [1] sur, entre autres, le statut juridique des plantes obtenues par « mutagénèse », « notamment les techniques nouvelles de mutagénèse dirigée mettant en œuvre des procédés de génie génétique ». Une étape attendue de la procédure qui devrait aboutir dans les mois à venir avec la décision finale de la Cour de justice elle-même. Avant un décryptage plus poussé de ces conclusions, Inf’OGM en livre ici les grandes lignes.

Les conclusions rendues le 18 janvier sont une des bases qu’utilisera la Cour de justice pour répondre à l’une des quatre questions que lui a posées le Conseil d’État : les plantes modifiées génétiquement « par mutagénèse » doivent-elles être soumises à la réglementation OGM au même titre que les OGM transgéniques ?

L’enjeu de cette qualification est le suivant : si les plantes modifiées génétiquement par mutagénèse ne sont pas considérées comme des OGM soumis à la directive, elles échapperont aux obligations d’évaluation des risques, de traçabilité, d’étiquetage et de suivi post-commercialisation. En effet, la directive 2001/18 qui encadre la culture des OGM, exempte – sous certaines conditions [2] – les organismes issus de mutagénèse des obligations qu’elle pose.

Pour l’avocat général, si les conditions posées par la directive européenne sur les OGM sont remplies, les organismes issus de mutagénèse sont bien des OGM. Une lecture littérale du texte qui évite de répondre clairement à la question posée…

C’est quoi le problème ?

Tout vient d’un constat fait par des organisations françaises : le gouvernement a laissé mettre en culture des plantes rendues tolérantes à des herbicides par mutagénèse (VrTH). Selon les chiffres avancés par le Ministre de la transition écologique et solidaire, les surfaces en tournesol rendu tolérant aux herbicides représentaient en 2016 environ 160 000 ha (soit 20 % de la sole) et celles en colza environ 30 000 ha (soit 1,5 % de la sole) [3] .

Une situation que dénoncent les organisations françaises [4] à l’origine de la procédure devant le Conseil d’État, lequel a effectué un renvoi préjudiciel à la Cour de justice en octobre 2016 [5]. Pour ces organisations, les plantes rendues tolérantes aux herbicides par modification génétique sont des OGM et doivent être soumises aux obligations spécifiques découlant de la réglementation relative aux OGM. À l’audience des plaidoiries qui s’est tenue le 3 octobre 2017 devant la Cour de justice, elles ont soutenu que, depuis l’adoption de la directive 2001/18, les techniques de mutagénèse avaient beaucoup évolué. Lors de l’adoption de la directive, elles consistaient à intervenir sur les plantes entières, les graines ou les boutures. Aujourd’hui, les techniques sont mises en œuvre in vitro (sur cultures de cellules), avec de multiples effets non intentionnels. Certaines de ces techniques sont qualifiées de « mutagénèse dirigée ». Elles font appel à de multiples manipulations directement au niveau des cellules isolées et cultivées en laboratoire, cellules qui sont ensuite multipliées et régénérées en plantes entières. Selon les organisations requérantes, ces techniques sont toutes des techniques de modification génétique donnant des OGM tels que définis par le Protocole de Cartagena et la directive 2001/18. Dès lors, rien ne justifie que ces plantes GM subissent un traitement juridique différent que celui des OGM transgéniques.

Afin de pouvoir répondre aux organisations françaises, le Conseil d’État a saisi la Cour de justice (Union européenne) pour lui poser des questions préjudicielles [6].

L’avocat général conclut à mi-chemin

Pour l’avocat général, « la mutagénèse ne nécessite pas l’insertion d’ADN étranger dans un organisme vivant. Elle implique toutefois une altération du génome d’une espèce vivante » [7]. Cela signifie que la technique de mutagénèse, même si elle n’implique pas l’insertion d’ADN dans un organisme, peut produire des OGM. Et l’avocat général d’ajouter que, s’agissant de la mutagénèse dirigée par oligonucléotides, « il semblerait (sic !) qu’elle consiste à introduire dans une cellule une courte séquence d’ADN qui provoque dans la cellule une mutation identique à la cellule qui porte l’oligonucléotide » [8].

Les organismes issus de mutagénèse peuvent être des OGM mais tous ne devraient pas être exemptés…

Des définitions importantes à garder en mémoire à la lecture de la suite des conclusions, notamment lorsqu’il est question de la qualification juridique des organismes issus de mutagénèse. Car l’avocat général se contente, avec une évidence déconcertante, d’une lecture littérale de la directive 2001/18 pour déterminer le statut de ces organismes. Ainsi, pour lui, la définition que la directive donne d’un OGM n’empêche pas de qualifier un organisme issu de mutagénèse d’OGM. En effet, cette définition ne fait pas de l’insertion d’ADN étranger une condition de qualification d’un OGM. Une interprétation qui va à l’encontre du discours des entreprises consistant à dire qu’un OGM se caractérise par la présence d’ADN étranger dans l’organisme. Cela veut dire qu’un organisme issu de mutagénèse sera qualifié d’OGM dès lors qu’il répond aux conditions de définition posés par la directive (article 2.2) [9]. Mais cet organisme issu de mutagénèse qualifié d’OGM pourra être exempté des obligations issues de la directive si les conditions prévues pour bénéficier de l’exemption sont réunies (article 3 et Annexe 1B) [10].

La portée de l’exemption de mutagénèse

Pour déterminer si un OGM peut bénéficier ou non de l’exemption de mutagénèse, l’avocat général préconise un examen au cas par cas. Si cet examen permet d’établir que la technique de mutagénèse implique « l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres que ceux qui sont issus […] [de] la mutagénèse [ou de] la fusion cellulaire […] de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles », l’organisme qui en est issu ne pourra pas bénéficier de l’exemption. Cela implique que les entreprises doivent décrire les méthodes qu’elles ont utilisées pour mettre au point les organismes qu’elles veulent mettre sur le marché. Et donc qu’elles seraient contraintes, lorsqu’elles ont utilisé une telle technique, à une obligation d’information sur la méthode d’obtention et la traçabilité de la technique, ce qui va dans le sens des demandes de plusieurs organisations syndicales ou biologiques qui veulent l’information sur toutes les techniques utilisées.

Pour l’avocat général, la seule chose qui compte est de savoir si les conditions pour bénéficier de l’exemption sont réunies. Le terme de mutagénèse comprend donc toutes les techniques comprises comme relevant de cette technique, incluant toute nouvelle technique [11]. Il est, selon lui, indifférent qu’elles soient connues et utilisées au moment de l’adoption de la directive ou soient apparues seulement après.

L’avocat général refuse ainsi de voir la raison d’être de l’exemption de la mutagénèse prévue par la directive dans le considérant 17 du même texte. Ce considérant aurait pourtant pu être vu comme fondant cette exemption : il énonce que la « directive ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps  ». Le critère de sécurité ne permet donc pas de fonder une éventuelle distinction entre les techniques de mutagénèse, estime l’avocat général. Mais s’il se refuse à admettre un lien entre l’exemption de mutagénèse et le considérant 17, il ne précise pas pour autant les raisons qui ont, selon lui, conduit à mettre en place une exemption si ce n’est que le législateur l’a voulu… Mais quoi qu’il arrive, l’avocat général précise bien que cette exemption n’a aucune incidence sur la qualification juridique de l’organisme : il s’agit d’un OGM.

Une exemption européenne générale, mais des lois nationales possibles pour les nouveaux OGM

Enfin, si l’avocat général estime que l’exemption de mutagénèse n’est pas contraire au principe de précaution, il estime que les États membres ne sont pas impuissants à l’égard des OGM issus de mutagénèse qui seraient exemptés des obligations de la directive. Selon lui, les États membres peuvent en effet prendre des mesures spécifiques applicables à ces OGM car l’Union européenne aurait choisi de ne pas régir cette matière. Mais il faudra que les mesures adoptées par les États membres soient conformes aux règles de la libre circulation des marchandises, et notamment le principe de la reconnaissance mutuelle…

Avec la publication des conclusions de l’avocat général, la procédure orale est désormais close et la Cour de justice va pouvoir juger l’affaire. Les conclusions de l’avocat général présentent la manière dont l’affaire doit selon lui être jugée. Elles ne lient pas la Cour, même si elles sont généralement suivies. La Cour devrait rendre un arrêt mi-2018.

Quant à la Commission européenne, elle a déclaré au sujet des nouvelles techniques de modification génétique qu’elle ne prendra aucune décision avant l’arrêt de la Cour de justice.

[1CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL, M. MICHAL BOBEK, présentées le 18 janvier 2018, Affaire C‑528/16, Confédération paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG 2M, CSFV 49, OGM : dangers, Vigilance OGM 33, Fédération Nature & Progrès

contre

Premier Ministre, Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France).

[2Les organismes issus de mutagénèse sont exclus du champ d’application de la directive 2001/18 si la technique de mutagénèse utilisée n’implique pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant. Voir Annexe I B de la directive 2001/18.

[3Assemblée nationale, Question N° 1261, Un moratoire sur les VrTH en France !, Réponse publiée au JO le 19/12/2017.

[4Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Amis de la Terre, Vigilance OGM et pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès.

[7Point 44 des conclusions.

[8Note de bas de page 11 des conclusions.

[9Il doit donc s’agir d’un « organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle », par une des techniques listées à l’Annexe IA première partie de la directive 2001/18/CE.

[10Extrait de l’Article 3 : « Exemptions : 1. La présente directive ne s’applique pas aux organismes obtenus par les techniques de modification génétique énumérées à l’annexe I B  ».

ANNEXE I B : « TECHNIQUES VISÉES À L’ARTICLE 3 : Les techniques/méthodes de modification génétique produisant des organismes à exclure du champ d’application de la présente directive, à condition qu’elles n’impliquent pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres que ceux qui sont issus d’une ou plusieurs des techniques/méthodes énumérées ci-après, sont :

1) la mutagénèse ;

2) la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles
 ».

[11Point 101 des conclusions.

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