n°148 - janvier / février 2018Interview / débat contradictoire

Les perturbateurs endocriniens : on peut en sortir

Par Inf'ogm

Publié le 05/03/2018

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Dans cet interview, André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé (RES) [1], résume pour nous où en est l’actualité de ce dossier.

Inf’OGM – Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ?

André Cicolella – La notion de « perturbateur endocrinien » (PE) a été créée en 1991 lors de la rencontre de 21 scientifiques à Wingspread (États-Unis) à l’initiative de Theo Colborn, à l’époque responsable scientifique du WWF-USA. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a donné cette définition en 2002 : « Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants ».

La différence fondamentale entre les perturbateurs endocriniens et les autres substances chimiques est liée à leur mode d’action : ces derniers agissent principalement pendant les périodes sensibles, comme la grossesse et la petite enfance. Le changement de paradigme des PE remet en cause l’ancien paradigme « La dose fait le poison ».

La dernière déclaration de l’Endocrine Society en octobre 2015 résume clairement l’enjeu des PE : « Il y a un fort niveau de preuve au plan mécanistique et expérimental chez l’animal, et épidémiologique chez l’humain, notamment pour les effets suivants : obésité et diabète, reproduction chez la femme et l’homme, cancers hormono-dépendants chez la femme et l’homme, effets thyroïdiens, neurodéveloppementaux et neuroendocriniens. Les PE agissent selon une relation dose-réponse non linéaire, avec des effets à faibles doses principalement pendant la phase de développement ».

Bien évidemment, cet impact n’est pas limité à l’espèce humaine. C’est la santé de l’écosystème qui est aussi impacté car le système endocrinien a été très bien conservé au cours de l’évolution. On ne peut pas comprendre la chute de la biodiversité sans comprendre le rôle joué par la contamination chimique de l’environnement.


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Le bisphénol A (BPA) a finalement été interdit. Cette interdiction n’est-elle pas contournée avec l’autorisation du bisphénol S (BPS) ? Le BPS et le BPA présentent-ils les mêmes risques ?

Il ne faut pas se méprendre. Le BPA n’est pas interdit globalement. Il est interdit seulement pour quelques usages comme les biberons, les boîtes de conserve et les papiers thermiques (les tickets de caisse). Il reste présent dans de nombreux autres produits comme par exemple dans les dispositifs médicaux. Mais la question ne se pose pas en terme de substitution, la seule question pertinente est celle de l’élimination des perturbateurs endocriniens.

Les phtalates ont commencé à être interdits dans certains usages (jouets) mais on est très loin d’avoir solutionné le problème. La contamination des femmes enceintes par les principaux PE a été évaluée par l’étude ELFE de l’agence Santé Publique France. Elle est totale pour les phtalates, les polybromés, les perfluorés, les PCB, les dioxines, les pyréthrinoïdes… et à 70 % pour le BPA. Les niveaux de contamination correspondent à des effets observés par les enquêtes épidémiologiques lorsqu’on compare les groupes les plus imprégnés au groupe qui l’est moins. Par exemple pour le BPA, on retrouve un lien chez l’adulte avec obésité, diabète, hypertension… et les troubles du comportement chez l’enfant.

Le BPS est couramment utilisé comme plastifiant. Toutefois, le BPS a montré une activité œstrogénique similaire au BPA. Son principal « intérêt » est simplement qu’il échappe à l’interdiction légale sur le BPA et permet aux produits contenant du BPS d’être étiquetés « sans BPA ».

Sommes-nous « dépendants » à de telles molécules ? À quoi devrions-nous renoncer si tous les perturbateurs endocriniens étaient interdits ?

Absolument pas. Qu’il s’agisse des matières plastiques (on sait faire des matières plastiques à base d’amidon), de cosmétiques ou de produits de nettoyage… La question du coût de leur élimination n’a pas de sens. Au contraire, les supprimer engendrera un gain de santé considérable et ce gain sera aussi économique. Une étude publiée dans le Journal of clinical endocrinology and metabolism estime que l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens, surtout les pesticides, coûte au moins 157 milliards d’euros par an de dépenses sanitaires pour l’ensemble de l’Union européenne (soit environ 1,2 % du PIB européen). À partir de là, les conséquences de transformation sont modestes par rapport au gain de santé. Le calcul économique doit être fait dans cette vision-là.

La plupart des perturbateurs endocriniens sont des molécules récentes, mises sur le marché dans les dernières décennies. On peut les remplacer sans problème. C’est justement un enjeu d’innovation formidable que de faire des procédés propres.

Michèle Rivasi, euro-députée, dénonçait récemment un recul de la position française. Partagez-vous son analyse et si oui, pouvez-vous expliquer ce recul ?

Finalement, la France a, de nouveau, changé de position… Retour en arrière pour comprendre. En juillet 2017, la France votait en faveur d’un projet de règlement présenté par la Commission européenne, projet largement controversé, qui visait à définir les perturbateurs endocriniens. Et ce vote permettait d’obtenir la majorité qualifiée requise. Pour le Réseau Environnement Santé, le niveau de preuves requis pour considérer une substance chimique comme étant un perturbateur endocrinien est bien trop élevé.

Le Parlement européen s’est opposé fermement à ce projet de règlement de la Commission. La France a finalement rectifié le tir et suit maintenant le parlement sur l’absence d’exemption. La question n’est pas encore tranchée. Elle pourrait l’être au cours de l’année 2018.

Les réglementations sont nécessaires mais on peut agir maintenant sans attendre des lois. C’est le sens de la première rencontre européenne organisée par le RES le 10 octobre dernier avec des capitales comme Madrid, Stockholm, Paris mais aussi des collectivités locales plus modestes (Grande-Synthe, Cœur d’Ostrevent) et des établissements de soins (CHU Lille, Maternité de Guéret) ou de petite enfance (Crèches de Limoges). Le conseil de Paris s’est prononcé le 12 décembre en faveur de la Charte « Villes et Territoires sans Perturbateurs Endocriniens ». Un mouvement citoyen est en train de se développer. La prise de conscience se fait, car c’est l’avenir des générations futures qui se joue aujourd’hui.

Le soja, un perturbateur endocrinien naturel


Le soja produit une phyto-hormone, la génistéine, qui selon l’ancienne Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), en 2005, peut « favoriser la prolifération et la croissance de tumeurs mammaires hormono-dépendantes, suggérant un risque potentiel pour les personnes ayant des antécédents personnels ou familiaux de cancers du sein hormono-dépendants ». Des études établissent aujourd’hui clairement un lien entre les phytoestrogènes et plusieurs anomalies morphologiques, dont certaines induisent une baisse de la fertilité. Et ses effets sont augmentés quand cette molécule est combinée avec un perturbateur endocrinien artificiel, le bisphénol A (BPA).

[1Le Réseau Environnement Santé (RES) a pour objectif de mettre la Santé Environnementale au cœur des politiques publiques. Association généraliste en santé environnementale, le RES vulgarise des données scientifiques, mène des campagnes d’informations au sujet de l’impact des pollutions et des stress environnementaux sur la santé et les écosystèmes tout en donnant des solutions et des axes d’actions.

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