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États-Unis – Le forçage génétique financé par l’armée et la Fondation Gates

Par Christophe NOISETTE

Publié le 04/12/2017, modifié le 01/12/2023

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Suite à une action en justice, l’ONG ETC Group a réussi à obtenir 1200 documents qui montrent, notamment, que l’armée étasunienne finance fortement des recherches sur le forçage génétique et que la Fondation Bill et Melinda Gates finance les lobbys dans différentes agences internationales pour faciliter l’usage de cette technique hautement controversée.

L’ONG canadienne ETC Group, qui suit la problématique du forçage génétique [1] depuis de nombreuses années, a rendu publics 1200 documents, dont de nombreux e-mails [2]. Ces documents nous apprennent notamment deux choses : l’armée étasunienne a d’ores et déjà débloqué 100 millions de dollars pour soutenir des recherches liées au forçage génétique et la Fondation Bill & Melinda Gates a soutenu des actions de lobby dans différentes instances des Nations unies à hauteur de 1,6 million de dollars. Les documents révélés aujourd’hui proviennent de l’Université de l’état de Caroline du Nord et de l’Université A & M du Texas. Ils ont été obtenus suite à une action en justice menée par Edward Hammond de l’ONG Third World Network.

Le forçage génétique est une nouvelle technique de modification génétique qui permet, en théorie, d’accélérer fortement la transmission d’une mutation. Cette biotechnologie permet de contourner les lois de l’hérédité classique (lois dites de Mendel). Elle comporte de nombreux risques et soulèvent tout autant de questions juridiques [3].

Au sein de l’armée étasunienne, l’Agence américaine des projets de recherche avancée pour la défense (U.S. Defense Advanced Research Projects Agency, Darpa) a pour mission de financer des recherches. Elle soutient plusieurs projets concrets de modification génétique et de forçage génétique. Un de ces projets, mené par l’ONG Island Conservation, consiste à modifier génétiquement des rongeurs pour supprimer ces animaux devenus fortement invasifs dans certaines îles comme en Australie.

Ce projet et ce financement interrogent à plus d’un titre. Est-ce à l’armée de soutenir des projets « environnementaux » ou « de conservation de la biodiversité » ? En tout cas, ce n’est pas dans ses missions officielles. À supposer qu’on puisse admettre d’un point de vue éthique que l’Homme éradique une espèce devenue invasive, le forçage génétique est-il l’outil approprié ?

L’armée US met 100 millions sur le forçage génétique

Les documents révélés par ETC Group montrent que la Darpa avait initialement prévu 47 millions de dollars pour financer de tels projets… mais que cette première somme a été revue à la hausse pour atteindre un total de 100 millions de dollars. Si ce budget était confirmé, la Darpa serait alors le plus important bailleur au niveau mondial en lien avec le forçage génétique.

Une autre subvention de cette agence a été accordée à une équipe de chercheurs britanniques qui travaillent sur des moustiques destinés à être disséminés en Afrique. Les moustiques sont particulièrement prisés par les partisans du forçage génétique. En effet ils sont les vecteurs de nombreuses maladies tropicales – dengue, Zika, etc. – qui, du fait du changement climatique, gagnent progressivement les zones tempérées. Deux équipes, « Target Malaria » au Royaume-Uni – un projet de la Fondation Gates – et « Genetic Biocontrol of Invasive Rongeurs (GBird)  » aux États-Unis, sont sur le point de réaliser des expérimentations grandeur nature de lâchers de moustiques et de rongeurs, qui pourraient avoir lieu en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Burkina Faso, en Ouganda, au Mali et au Ghana. GBird a déjà reçu 6,5 millions de dollars du Darpa. Ces deux équipes sont aussi très présentes sur les forums organisés par les Nations unies pour faciliter l’acceptation de cette technique, en la présentant comme une solution simple et efficace de santé publique.

Depuis 2016, à la demande de nombreuses ONG, de scientifiques et des responsables politiques, a été mis à l’ordre du journal des débats au sein de la Convention sur la Diversité Biologique la possibilité d’imposer un moratoire sur le forçage génétique. Un important lobbying a donc été mis en place pour éviter ce moratoire…

Ainsi la Fondation Bill & Melinda Gates a concrètement offert 1,6 millions de dollars à l’entreprise de « relations publiques » – un euphémisme pour parler d’agence d’influence et de lobby – Emerging A.G. Cette entreprise a notamment recruté des scientifiques pour influencer un des forums en ligne mis en place par les Nations unies sur les questions de biologie synthétique et de forçage génétique [4]. Précisons, d’abord, que la présidente et fondatrice d’Emerging A.G. est Robynne Anderson, ancienne directrice des communications internationales de CropLife, un lobby très actif sur les OGM agricoles [5].

Une influence directe sur les Nations unies

Concrètement, Emerging A.G. a donc mis en place un groupe de travail, baptisé « Gene Drive Research Sponsors and Supporters coalition » [6] composé de trois experts d’un Comité des Nations unies (the Ad Hoc Technical Expert Group on Synthetic Biology, AHTEG), d’un groupe plus important de 65 chercheurs ou fonctionnaires, « a priori » indépendants, et d’un groupe encore plus large de responsables gouvernementaux (principalement issus de pays anglophones), de conseillers en relations publiques, et de membres de certains projets financés par la Fondation Gates. L’AHTEG, consacré à la biologie de synthèse, est rattaché à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) [7]. Il est chargé de proposer des recommandations réglementaires pour aider les gouvernements à éviter les impacts négatifs des manipulations génétiques sur la biodiversité. Ses recommandations sont officiellement issues des discussions du forum en ligne de la CDB sur la biologie de synthèse.

Une telle « offensive » (c’est le cas de le dire pour l’armée étasunienne !) conjointe de l’armée et de la Fondation Gates au niveau international ne peut que nous inquiéter, ne serait-ce que sur un plan strictement démocratique : quel agenda cache cette influence sur les forums de discussion de la CDB ? Inf’OGM a souhaité publier rapidement cette première analyse car le groupe de travail du Protocole de Cartagena consacré à ces questions se réunit du 5 au 8 décembre à Montréal, au Canada [8]. Cette analyse sera complétée dans les jours à venir car ces 1200 documents nous réservent sans doute d’autres surprises…

[3Le Protocole de Cartagena impose aux États signataires d’identifier les OVM dans les « mouvements transfrontières » : il s’agit de la procédure d’accord préalable en connaissance de cause. A supposer qu’un moustique forcé génétiquement soit considéré comme un OVM par la législation internationale, comment cette procédure peut s’appliquer, étant donné qu’une dissémination dans l’environnement sera totalement incontrôlable puisque la modification génétique est destinée à être transmise à tous les descendants de l’espèce concernée.

[4Actuellement, le forçage génétique est discuté dans le forum consacré à la biologie de synthèse.

[5CropLife compte parmi ses membres : BASF, Bayer, DuPont, Dow, Monsanto, Syngenta, etc. https://croplife.org/about/members/

[6Coalition de donateurs et partisans pour la recherche sur le forçage génétique.

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