n°147 - novembre / décembre 2017

Peut-on questionner la thérapie génique ?

Par BONZI Bénédicte

Publié le 03/01/2018

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Le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) est en charge de l’évaluation de l’ensemble des biotechnologies en France. Ainsi, il traite aussi bien des plantes transgéniques que des essais de thérapie génique. Difficile au HCB d’être expert sur tous ces sujets. Mais alors, qui décide vraiment ?

5 novembre 2015 : c’est la première réunion des dix membres du groupe de travail « thérapie génique » du Comité économique éthique et social (CEES) du HCB. À l’ordre du jour, réfléchir sur un cadre global : « On peut citer, à titre d’exemple, la dimension économique des essais – leur coût, leurs modalités de financement, les questions relatives à la propriété intellectuelle, le partage des coûts entre public et privé, etc. Un autre exemple concerne la spécificité des protocoles de thérapie génique proposés aux patients atteints de cancer – souvent destinés à des patients en situation d’échec thérapeutique – qui soulèvent de véritables questions éthiques relatives à la qualité de vie, à la pertinence d’une approche de ces protocoles en termes de risque / bénéfice, etc. ».

L’experte entre en scène… et séduit son auditoire

Les participants ont reçu, par voie électronique, des dossiers à lire sur le sujet. Car au-delà de leurs réunions pour débattre du fond tous les mois et demi, ils seront amenés à effectuer des recommandations dans des délais assez brefs, 45 jours maximum. Un salarié du Haut Conseil des biotechnologies est chargé d’animer la réflexion. Il faut admettre que parmi les différents groupes de travail auxquels la société civile peut participer, personne ne s’est précipité dans celui-ci, si ce n’est la jeune femme qui représente les entreprises du médicament, car c’est un sujet qu’elle connaît bien. Les autres ne se sentaient pas vraiment légitimes, faute de compétences. Aussi ce groupe va finalement être nourri grâce aux apports de la représentante des entreprises du médicament : à chaque question qui se pose, la parole est prise ou donnée à « l’experte ». Cette jeune femme est d’une grande clarté, elle connaît son sujet sur le bout des doigts, elle est rassurante, pragmatique. Ainsi, elle explique que c’est très important pour la recherche fondamentale, pour la compétitivité aussi, et puis évidemment donner une autorisation à cet essai va permettre d’aider certains malades, peut-être même à plus long terme de sauver des vies car c’est ainsi que fonctionne la recherche. Elle nous indique comment les choses sont encadrées, insistant sur le fait que ces patients ont un pronostic vital engagé, etc., et surtout, elle aussi a des demandes qu’elle formule au groupe, comme imposer des fiches plus précises pour le personnel soignant et l’entourage qui peuvent être contaminés.

Dans ce groupe de travail, s’affrontent alors deux univers qui ne parlent pas le même langage, qui ne perçoivent pas le monde de la même manière. Dans un cas, ce qui fait référence est une forme de médecine liée aux progrès technique, un monde où il y a des compétitions pour un brevet, une publication, etc. ; dans l’autre, l’attention est portée sur l’accès aux soins pour tous, questionnant alors cette compétition entre laboratoires. Car ce matin-là, ce qui émerge de la discussion est aussi le fait que, quelle que soit la découverte, elle appartiendra à un laboratoire privé qui devra amortir les frais investis.

Place aux questions d’éthiques…

L’essai a toujours un coût important (il peut s’agir de 200 000 euros par jour). Nul ne peut mettre en cause les arguments que cette jeune femme, experte du dossier, a donnés. Toutefois, est-ce le prisme de l’économie et de la compétitivité de l’industrie médicale qui doit encadrer les décisions concernant les thérapies géniques ? Quelle place reste-t-il pour les questions de société, quel cadre éthique quand les choses sont déjà si orientées ? Ainsi, la toute première question, celle de savoir si nous avons le droit d’intervenir sur les gènes humains, n’a pas voix au chapitre.

Un groupe dont l’intitulé contient le mot « éthique », n’a pas ici l’espace de poser les termes du débat dans la dimension qu’il devrait avoir. De plus, dépenser 200 000 euros par jour pour prolonger, peut-être, une personne en fin de vie de quelques semaines dans un monde où des gens meurent de faim et de maladies (pour lesquelles on connaît les traitements mais dont le coût est trop élevé) pose une question morale.

Ceci nous alerte sur ce monde à deux vitesses : quelle est la valeur d’une vie humaine ? Et quelle égalité en fonction de son lieu de naissance, de sa richesse pour se payer une mutuelle ? Le choix des thérapies géniques s’apparente à une promesse excessivement chère, qui de plus intervient sur les gènes humains, sans débat préalable.

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