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Déséquilibres alimentaires dans le Monde : pourquoi ?

Par Valentin BEAUVAL

Publié le 19/10/2017

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La biofortification consiste à sélectionner des variétés riches en micronutriments, tels que le fer, le zinc, l’iode ou la provitamine A, afin de juguler les carences alimentaires. Ce présent article d’Inf’OGM inaugure une série d’articles sur ce thème. Il questionne les racines mêmes du problème de carences, et donc, en filigrane, la solution de biofortification. Les articles suivants feront le point sur les projets de biofortification dans le monde, ses techniques, ses acteurs… et ses dérives potentielles vers les OGM brevetés.

Le système alimentaire industriel induit une grande partie des carences et déséquilibres alimentaires observés dans les pays riches et une part de plus en plus importante de la population urbaine des « pays émergents » est concernée. L’exemple le plus visible est la forte progression de l’obésité en grande partie liée à des consommations excessives de lipides et de sucres. Les déséquilibres nutritionnels engendrés se rencontrent principalement parmi les catégories sociales défavorisées (peu formées en matière de nutrition et/ou achetant leurs aliments aux plus bas prix dans les grandes et moyennes surfaces).

Pays industrialisés : des cultures pauvres et peu diversifiées

Certains des acteurs du système alimentaire industriel proposent aujourd’hui de corriger, via la biofortification, les déséquilibres qu’ils ont eux-mêmes engendrés… Voyons s’il ne faudrait pas plutôt corriger les problèmes à la source…

Sachant qu’une alimentation équilibrée est d’abord une alimentation très diversifiée (et sans ingestion d’x produits issus de la chimie), les carences et déséquilibres alimentaires sont à mon avis causés par les facteurs mentionnés ci-dessous (liste non exhaustive et non hiérarchisée).

* Un facteur facile à identifier est la réduction de la biodiversité cultivée et, en conséquence, de la diversité d’aliments consommés par les humains mais aussi par les animaux. Chaque espèce végétale a en effet une composition différente en glucides (en différenciant les formes de glucides), protéines (dont acides aminés), minéraux et vitamines. Plus le nombre d’espèces (et aussi de variétés ou plutôt de cultivars) consommées chaque jour est élevé et plus vous avez une chance d’échapper à une carence en un nutriment essentiel.

Ce qui est vrai pour les humains l’est aussi pour les animaux. Ce n’est pas un hasard si le lait produit par des vaches essentiellement alimentées par des prairies comprenant une flore diversifiée permet de produire des fromages de qualité. Les éleveurs ayant conçu les cahiers des charges du Beaufort ou du Comté l’ont compris depuis bien longtemps. Signalons que plusieurs études scientifiques ont récemment mis en évidence qu’il y avait nettement moins d’omégas 3 dans le lait des vaches ne mangeant que de l’ensilage de maïs et du tourteau de soja que dans le lait de vaches consommant principalement de l’herbe et du foin de prairies diversifiées.

* Un autre facteur est facilement identifiable : les orientations de la sélection. Depuis des décennies, la majorité des programmes de sélection végétale et animale ont privilégié des critères quantitatifs et pas (ou trop peu) des critères qualitatifs comme la composition des produits alimentaires en nutriments essentiels. Ceci est particulièrement vrai pour les céréales. Ont primé les rendements en grain à l’hectare et non la qualité nutritionnelle des protéines contenues dans les grains. Les opérateurs de la transformation industrielle ont aggravé le problème en incitant les sélectionneurs à privilégier les variétés de blés ayant des chaînes longues de gluten, ce qui facilite les processus industriels de panification. Il ne faut pas ensuite s’étonner que les pains produits avec ces variétés soient devenus difficiles à digérer par une part significative des consommateurs.

* En étroite corrélation avec les orientations de la sélection, les itinéraires techniques promus pour les végétaux ou les conduites d’élevage sont devenues trop intensifs et trop chimiques. En forçant trop la nature, on aboutit par exemple à des légumes et fruits ayant des rendements très élevés mais moins riches en nutriments essentiels et ayant nettement moins de qualités gustatives que des variétés plus anciennes conduites moins intensivement. Ces légumes et fruits industriels contiennent également de nombreux pesticides dont certains sont des cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) voire des perturbateurs endocriniens. Et que dire des poulets industriels de six à huit semaines dont les viandes sans goût contiennent souvent des résidus d’antibiotiques ou d’anticoccidiens ! On peut également signaler que ces viandes trop jeunes contiennent beaucoup plus d’eau que celles de poulets ayant le double d’âge. Sur le plan nutritionnel, il est bien sûr préférable de consommer des légumineuses (lentilles, pois chiches, haricots) plutôt que ce type de viande industrielle.

* Les processus industriels de transformation des aliments ont aggravé les problèmes mentionnés ci-dessus. Le jus de canne à sucre (ou même de betterave) contient beaucoup de minéraux et quelques vitamines. En le « purifiant » pour aboutir à du sucre blanc, ont été perdus les éléments nutritionnels les plus importants. Ce sucre blanc est aujourd’hui consommé en excès, ce qui est reconnu comme néfaste pour la santé. Les farines blanches de céréales présentent ce même type d’appauvrissement nutritionnel. On sait pourtant depuis longtemps qu’une grande partie des minéraux, des vitamines et des fibres indispensables à une bonne digestion des grains se trouvent dans la partie extérieure des grains que l’on a allègrement enlevée. Il faudrait également signaler le rajout de conservateurs dans les aliments transformés et surtout dans les plats préparés. Ces rajouts sont parfois inquiétants vu la toxicité des produits ajoutés et certains conservateurs ou exhausteurs de goût seraient négatifs pour l’équilibre nutritionnel. Par rapport à la transformation, on pourrait aussi évoquer le fait que la mécanisation de certaines étapes exige une standardisation, et des grandes quantités ; que les pétrins tournent de plus en plus vite, que le temps de fermentation est de plus en plus court, etc., ce qui aboutit à un pain de plus en plus indigeste mais à un coût de plus en plus bas.

Pays du Sud : régimes monodiète et disparition des terres agricoles

Dans ces pays, la situation est très contrastée.

On note d’abord des éléments positifs comme, dans beaucoup de zones rurales de ces pays, la primauté de l’usage de semences paysannes diversifiées et d’aliments complémentaires récoltés « en brousse » (beaucoup de fruits ou de feuilles utilisées pour les sauces sont encore issus de la nature même si celle-ci est moins diversifiée que par le passé vu la pression des humains et animaux sur les écosystèmes).

Dans les pays tropicaux humides, la nature est généreuse et, pour ceux qui ont accès à ses ressources, les signes de malnutrition sont plus fréquemment induits par des parasites ou un manque d’hygiène [1] plutôt que par une réelle pauvreté en nutriments des aliments ingérés. Une exception cependant est observée pour les populations consommant trop de manioc, aliment pauvre en protéines et en iode, ce qui peut induire des goîtres. Signalons aussi que ces remarques s’appliquent aux populations rurales qui maîtrisent les facteurs de production de leur alimentation. En effet, certaines populations rurales et les populations urbaines (ces dernières représentent désormais 50 % de la population mondiale) ne les maîtrisent plus suite aux accaparements de terre pour des cultures industrielles d’exportation, aux importations d’aliments industriels du nord ou d’Amérique latine, etc. Ces populations-là sont celles qui réellement souffrent de sous-nutrition chronique.

Dans les pays du Sud touchés par des sécheresses récurrentes, des famines ou des guerres, les aides alimentaires mises en place par le Programme alimentaire mondial (Pam), l’Unicef, l’Usaid, etc. se traduisent bien souvent par la distribution de denrées alimentaires de base comme des farines blanches, de l’huile raffinée, du sucre blanc, etc. Ce type d’aides contribue à modifier dans le mauvais sens les régimes alimentaires des populations concernées et il doit être dénoncé avec vigueur. Si une aide alimentaire est nécessaire, il est préférable de fournir des céréales, légumineuses et tubercules correspondant aux traditions alimentaires et culinaires de ces populations, aide produite et achetée dans les régions plus arrosées ou dans les pays voisins, comme le fait en Afrique de l’Ouest l’ONG Afrique Verte qui applique concrètement le slogan « l’Afrique nourrit l’Afrique ». Actuellement, l’aide alimentaire vient souvent de loin et une partie de cette aide est composée d’excédents difficiles à commercialiser sur les marchés du Nord.

De plus, dans les pays du Sud faisant l’objet d’accaparements de terres que ce soit pour produire à destination des pays du Nord, des pays du Golfe ou de la Chine, les paysans locaux n’ont plus assez de terres pour poursuivre leurs cultures traditionnelles et donc maintenir leurs régimes alimentaires. Chassés de leurs terres, des milliers de familles paysannes deviennent des ouvriers temporaires de groupes financiers et, avec leurs maigres salaires, doivent se contenter d’une alimentation bien moins diversifiée que celle de leurs aïeux.


Ci-après, deux encadrés illustrant des situations africaines contrastées.

Un exemple camerounais mettant en évidence la résilience des traditions alimentaires


Une rizerie moderne a été mise en place il y a quelques décennies dans la plaine des Mbos dans le Sud Cameroun. Conçue selon des concepts occidentaux, après le nécessaire décorticage, cette rizerie séparait strictement le riz banc, les brisures de riz et la « farine basse » de riz destiné aux animaux. Les consommateurs camerounais ont refusé de consommer le riz blanc issu de cette rizerie et les personnes gérant la rizerie ont dû changer complètement les réglages pour aboutir à un riz semblable à celui obtenu par le pilage traditionnel des femmes !

Une évolution très inquiétante : l’utilisation d’herbicides réduisant la biodiversité cultivée (et consommée) dans les zones soudaniennes africaines


L’extension de l’utilisation de vieux herbicides très toxiques de type atrazine, diuron, glyphosate, etc. dans les sorghos et maïs des zones soudaniennes africaines met à mal les systèmes traditionnels de cultures associées avec, en conséquence, moins de légumineuses produites par les familles paysannes, moins d’agroforesterie (exit les jeunes nérés et karités détruits par ces herbicides…) et, comme résultat très inquiétant, le développement de carences alimentaires induites par l’accroissement de la primauté des céréales dans l’alimentation.

On peut aussi rajouter que la réduction des associations de cultures se traduit par moins de revenus pour les femmes qui bénéficient traditionnellement des cultures associées aux céréales produites dans les champs de leurs maris.

[1Dans beaucoup de pays du Sud, les enfants des familles les plus pauvres ont des parasites intestinaux, lesquels utilisent en premier les aliments ingérés. On constate le même problème chez les petits porcelets ou les agneaux non vermifugés (certaines plantes sont très efficaces comme vermifuges).

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