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UE – Révision a minima de l’évaluation des risques environnementaux

Par Charlotte KRINKE

Publié le 20/10/2017

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Le 13 octobre 2017, les représentants des États membres ont adopté une révision de l’évaluation des risques environnementaux, proposée par la Commission européenne. Cette révision prend en compte certaines demandes des ministres de l’Environnement faites dès 2008, l’évolution majeure concernant l’évaluation des effets à long terme.

Avant toute autorisation de mise en culture commerciale ou expérimentale d’un OGM, une évaluation au cas par cas des risques environnementaux associés à la dissémination de cet OGM s’impose. Cette évaluation des risques doit être menée selon l’annexe II de la directive 2001/18 qui en décrit les objectifs, les principes généraux et la méthodologie. La Commission européenne devait mettre à jour cette annexe, ainsi que d’autres qui concernent l’évaluation des risques environnementaux, « au plus tard le 3 avril 2017 » [1]. En retard sur le calendrier, la Commission européenne a donc proposé un projet visant à réviser ces annexes. Il a été soumis au vote des représentants des États membres le 13 octobre et adopté à la majorité qualifiée (voir encadré ci-dessous).

Une procédure de révision qui exclut le Parlement


Les annexes qui concernent l’évaluation des risques environnementaux sont révisées selon la procédure de « comitologie ». Mais la révision d’une directive par la voie de cette procédure n’est pas la règle. La directive 2001/18 a été adoptée selon la procédure législative ordinaire, où le Parlement européen est co-législateur avec le Conseil. C’est donc normalement selon cette procédure-là que ce texte devrait être révisé. Mais la directive prévoit que certaines de ses annexes, dont celles concernées par l’évaluation des risques environnementaux, peuvent faire l’objet d’une « adaptation au progrès technique » [2]. Et, pour éviter la longueur de la procédure législative ordinaire, cette « adaptation » se fait selon la procédure de « comitologie ». Cela veut dire que la Commission européenne soumet un projet de texte aux représentants des États membres réunis en comité, et que ces derniers votent sur le texte. Le Conseil ou le Parlement européen ne votent pas sur le texte et ne peuvent pas proposer d’amendements [3].

Alors que l’actuelle évaluation des risques souffre d’importantes lacunes, son résultat influence très largement la décision d’autoriser ou non l’OGM en question. L’enjeu de la révision est donc important. Le texte adopté le 13 octobre apporte des clarifications et modifications (voir encadré ci-dessous), la plus importante concernant l’évaluation des effets à long terme. Il manque toutefois de corriger d’autres lacunes de l’évaluation des risques des OGM sur l’environnement.

Les autres modifications apportées


En plus d’intégrer les lignes directrices de l’Autorité européenne de sécurité des aliments de 2010, le texte proposé par la Commission apporte des clarifications sur les informations que doit fournir le notifiant dans le cadre de l’évaluation des risques environnementaux. Auparavant, la directive donnait la liste de ces informations sans distinguer entre les cas où l’évaluation concernait un OGM destiné à la culture commerciale de ceux où il était destiné à la culture expérimentale. Elle précisait cependant que « tous les points cités ne s’appliquent pas à chaque cas. Chaque notification n’est donc censée répondre qu’au sous-ensemble particulier de considérations correspondant à une situation donnée », ce qui donnait lieu à des interprétations différentes. Le projet de la Commission européenne sépare désormais clairement les deux objectifs visés par la dissémination d’OGM et établit une liste pour chacune d’entre elles.

En outre, le projet de la Commission introduit deux nouvelles catégories d’effets des OGM sur l’environnement. En plus des effets directs, indirects, immédiats et différés, l’évaluation des risques environnementaux doit identifier les effets intentionnels et non intentionnels. La définition des effets non intentionnels paraît toutefois assez restrictive puisqu’ils ne couvrent que les différences constantes observées entre l’OGM et son comparateur, ce qui exclurait les différences apparaissant uniquement dans des conditions particulières comme la sécheresse.

L’analyse des effets à long-terme enfin prise en compte

L’une des grandes faiblesses de l’actuelle évaluation des risques environnementaux est l’analyse des effets cumulés à long terme. Selon la directive, l’évaluation doit certes « comporter comme principe général une analyse des « effets cumulés à long terme » liés à la dissémination et à la mise sur le marché » [4]. Mais cela ne se traduit ni dans la méthodologie à appliquer dans l’évaluation des risques, ni dans les informations que doit fournir le notifiant.

Il en résulte que l’analyse des effets cumulés – comme par exemple la combinaison de la culture ou la consommation de plusieurs OGM – à long terme est bien aléatoire. Ces effets sont en effet mal connus et évalués. Mais la directive indique clairement que le principe de précaution doit guider l’évaluation des risques [5]. Ce principe implique que la difficulté d’avoir une solution tranchée sur ces risques ne justifie pas qu’ils ne soient pas pris en compte dans l’évaluation. En effet, celle-ci ne vise pas à apporter une solution tranchée aux risques soulevés, et c’est justement lorsqu’il y a peu de données disponibles que des mesures de gestion des risques doivent être adoptées.

Le Conseil – qui représente les États membres – avait donc demandé en 2008 que l’analyse des effets à long terme soit mieux prise en compte [6] [7] [8] [9]. Le projet finalement soumis au vote le 13 octobre prend en compte cette demande [10], ce qui marque une évolution importante dans l’évaluation des risques environnementaux des OGM. 

La directive donne désormais une définition des effets à long terme. Ceux-ci sont définis comme les « effets résultant soit d’une réaction tardive d’organismes ou de leur progéniture à une exposition chronique à long-terme à un OGM, soit d’un large recours à un OGM dans le temps et l’espace ».

La directive précise aussi, dans la méthodologie, les éléments à prendre en compte pour les identifier et les évaluer. Parmi ces éléments, il y a les interactions à long-terme entre l’OGM et l’environnement récepteur ou encore les cultures répétées ou la mise sur le marché de l’OGM sur une longue période. Pour les effets cumulés à long-terme, la directive ajoute que leur identification et évaluation devra également prendre en compte la culture et la mise sur le marché passées d’OGM. 

Il reste maintenant à savoir si et comment seront concrètement appliquées ces dispositions. Entre le droit en puissance et le droit en acte, il y a parfois des écarts…

Des occasions manquées

Une des lacunes de l’actuelle évaluation des risques environnementaux, également relevée par le Conseil en 2008, est l’absence de cohérence entre la réglementation OGM et pesticides. Le Conseil insistait sur la nécessité d’évaluer les effets sur l’environnement de la modification dans l’utilisation de pesticides due aux plantes génétiquement modifiées tolérantes aux herbicides. Sur ce point, la proposition de la Commission n’apporte qu’une amélioration à la marge.

Dans l’actuelle évaluation des risques, l’effet de la culture de plantes génétiquement modifiées sur l’utilisation de pesticides n’est pas évalué en tant que tel. En effet, le notifiant doit identifier les caractéristiques de son OGM qui pourraient avoir des effets sanitaires et environnementaux négatifs. Dans l’Annexe II de la directive, il est précisé que « les effets négatifs peuvent se produire directement ou indirectement, par des mécanismes pouvant comprendre (…) les modifications de la gestion, y compris des pratiques agricoles ». Cela inclut l’usage des pesticides [11]. Mais il est donc envisagé comme un « mécanisme » pouvant induire ces effets négatifs et non comme un effet négatif en tant que tel.

Le texte adopté le 13 octobre ne modifie pas fondamentalement cette approche même s’il est désormais précisé que le notifiant doit fournir – « en tant que cela est pertinent au regard de l’usage demandé de l’OGM » – des informations sur « l’évaluation des modifications dans les techniques spécifiques de culture, de gestion et de récolte et les effets environnementaux négatifs de celles-ci ». Une expression floue qui recouvre entre autres l’usage des pesticides.

Il faudra là aussi être vigilant sur la façon dont est appliquée concrètement cette disposition. Par ailleurs, le recours à cette expression générale et floue signifie aussi qu’il n’y a pas d’évaluation spécifique du couple plante génétiquement modifiée tolérante à un herbicide / herbicide.

Juge et partie : ça continue !

Enfin, une des critiques majeures de l’actuelle procédure d’évaluation des risques environnementaux, non formulée par le Conseil en 2008, est qu’elle est réalisée par les entreprises elles-mêmes et que c’est sur la base des analyses qu’elles ont conduites que les agences d’évaluations nationales (Haut conseil sur les biotechnologies pour la France) ou européennes (EFSA / AESA) émettent un avis.

Le texte proposé par la Commission européenne introduit des nouvelles dispositions sur les données que doit fournir le notifiant dans le cadre de l’évaluation des risques. La précédente version de l’annexe II de la directive 2001/18 ne comportait aucune précision sur la forme des données à fournir par le notifiant. La Commission souhaite soumettre certaines études que le notifiant doit fournir répondent à des exigences de forme précises. Plus spécifiquement, les études toxicologiques devront respecter les « Bonnes pratiques de laboratoire » (« Good Laboratory Practice » GLP) définies initialement au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans les années 1980 [12]. Loin de répondre à la critique, cette exigence pourrait au contraire renforcer le manque d’indépendance dans l’évaluation des OGM.

Selon le Réseau de chercheurs européens engagés pour une responsabilité sociale et environnementale [13], exiger que seules les données issues de laboratoires accrédités « GLP » puissent être fournies par le notifiant conduira à favoriser les études menées par les entreprises qui demandent la mise sur le marché de leurs OGM. Peu de laboratoires publics seraient en effet accrédités « GLP » [14]. Pour le Réseau de chercheurs européens, cela conduit aussi à limiter le rôle des recherches examinées par les pairs puisque nombre des études produites par les laboratoires accrédités GLP ne seront pas publiées dans les journaux scientifiques évalués par des pairs [15].

Si cette mise en garde est évidemment sérieuse, le caractère public du laboratoire n’est pas nécessairement une garantie de l’indépendance de son étude, et l’affaire des « Monsanto papers  » a montré que la parution d’un article dans une revue évaluée par les pairs n’est pas non plus nécessairement un gage d’indépendance.

Par ailleurs, le texte de la directive ne semble pas empêcher les agences nationales ou européennes chargées d’émettre un avis sur l’évaluation des risques de se baser sur des études toxicologiques de laboratoires non accrédités. Enfin, le fait que le notifiant a tout intérêt à fournir une étude qui ne conclut pas à la dangerosité de l’OGM qu’il veut mettre sur le marché réduit la portée de la nouvelle disposition : même s’il pouvait fournir des études réalisées par des laboratoires publics non accrédités, il y a peu de chances que le notifiant les mette en avant dans le cadre de l’évaluation des risques si elles compromettaient la mise sur le marché de son produit. Encore une faiblesse dans l’évaluation des risques que la nouvelle version de la directive ne corrige pas…

Une fois que la directive révisée sera publiée au Journal officiel de l’Union européenne, les États membres devront la transposer dans les 18 mois.

Depuis l’adoption de la directive 2001/18, c’est la première fois que ses annexes relatives à l’évaluation des risques environnementaux sont révisées. Cette révision était demandée par le Conseil depuis décembre 2008 [16]. Suite à la réunion du Conseil, la Commission européenne avait demandé à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) d’adopter des lignes directrices sur l’évaluation des risques environnementaux des plantes génétiquement modifiées, ce qu’elle a fait en 2010 [17], que le texte adopté le 13 octobre vise à intégrer dans la directive 2001/18.

La portée de la révision des annexes de la directive 2001/18 concernant l’évaluation des risques est limitée à deux titres. D’une part, les nouvelles dispositions ne s’appliqueront pas aux dossiers d’autorisation de culture en cours présentées sur le fondement de la directive (les maïs génétiquement modifiés Bt11 et 1507). D’autre part, seules les plantes transgéniques sont pour l’instant, de fait, soumises à l’évaluation des risques environnementaux. La question du statut des organismes issus de mutagénèse – exclus du champ d’application de la directive – et de ceux issus des nouvelles techniques de manipulation génétique prend alors toute son importance.

[1L’article 3 de la directive 2015/412 qui modifie la directive 2001/18 dispose que, « au plus tard le 3 avril 2017, la Commission met à jour les annexes de la directive 2001/18/CE conformément à l’article 27 de ladite directive en ce qui concerne l’évaluation des risques environnementaux, afin d’intégrer les lignes directrices renforcées de l’Autorité de 2010 pour l’évaluation des risques environnementaux relatifs aux plantes génétiquement modifiées, et d’en tirer parti ». C’est le second projet de révision proposé par la Commission européenne, après une première proposition de révision, en 2010, qui n’a pas abouti, voir Eric MEUNIER, « UE – Vers une officialisation de l’équivalence en substance », Inf’OGM, mai 2010

[2Article 27, directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil

[3Le Conseil et le Parlement européen disposent d’un droit de regard dans la procédure de comitologie, mais il est limité à pouvoir indiquer que la Commission a outrepassé ses compétences d’exécution. Dans ce cas, la Commission devra certes réexaminer le projet d’acte d’exécution, en tenant compte de la position exprimée, mais il reste que Parlement et le Conseil sont cantonnés à une position de passivité.

[4Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, Annexe II.

[5Annexe II de la directive 2001/18/CE, point B. La proposition de la Commission européenne ne modifie pas cette partie de l’annexe.

[10Le projet de texte publié sur le site internet de la Commission européenne, sur lequel l’institution invitait à émettre des commentaires ne comportait aucune avancée sur ce point : l’analyse des effets cumulés à long terme n’était pas prise en compte. Les organisations de défense de l’environnement et de l’agriculture biologique qui avaient réagi au texte sur le site de la Commission européenne n’avaient pas manqué de le relever.

[11Cela ressort des lignes directrices de l’Autorité européenne de sécurité des aliments de 2010. L’Autorité y affirme qu’il est nécessaire d’évaluer les potentiels effets négatifs sur l’environnement qu’une plante génétiquement modifiée tolérante à un herbicide peut causer en raison de modifications des pratiques agricoles, y compris celles résultant de modifications dans l’utilisation d’herbicides. Autorité européenne de sécurité des aliments, Guidance Document on the ERA of GM plants, 2010.

[12Annex to Commission directive (EU) ../.. of XXX amending Directive 2001/18/EC of the European Parliament and of the Council as regards the environmental risk assessment of genetically modified organisms, Section C.3, a), et b). Les «  Bonnes pratiques de laboratoire » comprennent les protocoles à suivre, selon le type d’analyses souhaitées (cancérologie, toxicologie à court terme, long terme, aigüe…). Elles établissent par exemple la lignée de rats, souris ou autre animal à utiliser, le nombre d’animaux dans chaque groupe, la température des cages, les régimes alimentaires… S’agissant des études autres que toxicologiques, elles doivent au moins être réalisées conformément « aux normes internationales reconnues ».

[13European Network of Scientists for Social and Environmental Responsibility

[14Il faut savoir qu’il existe différents types d’études de toxicologie. La toxicologie dite réglementaire est celle pratiquée pour obtenir des autorisations de commercialisation de différents produits pouvant s’avérer toxiques, comme les pesticides, OGM ou autres additifs alimentaires… Elle répond aux critères des « Bonnes pratiques de laboratoire ». La toxicologie dite de recherche ou fondamentale, comme l’étude du Pr. Séralini, n’est pas soumise aux mêmes normes.

[15European Commission, Draft Commission Directive updating the environmental risk assessment of GMOs, Feedback from : European Network of Scientists for Social and Environmental Responsibility, Décembre 2016.

[16Council of the European Union, Council conclusions on genetically modified organisms, Décembre 2008.

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