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Procès Glyphosate : le Parquet fait appel de la relaxe au nom de « l’état de nécessité »

Par Christophe NOISETTE

Publié le 10/06/2021

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Les 17 et 18 août 2017, une vingtaine de Faucheur·se·s volontaires et de paysan·ne·s étaient jugé·e·s par le tribunal de Foix pour avoir rendu impropre à la vente des bidons d’herbicide (Roundup) dans des supermarchés locaux. À l’instar de l’avocat de la défense, le Parquet a aussi demandé à poser une question préjudicielle à la Cour de l’Union européenne, afin de connaître l’avis de cette Cour sur la compatibilité du règlement qui encadre les herbicides par rapport au principe de précaution. Le 12 octobre, le juge a donc suivi l’avocat des Faucheurs et le Parquet a décidé de renvoyer les quatre questions préjudicielles à la Cour de justice européenne. Quelques jours plus tard, à Guingamp, comparaissaient sept Faucheurs volontaires pour des faits semblables. Le 15 décembre, le tribunal renvoyait à son tour le dossier à la Cour européenne de Justice. Le 1° octobre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne « conclut que l’examen des questions posées par la juridiction nationale n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement sur les produits phytopharmaceutiques ». Pour Maître Tumerelle, cet arrêt permet cependant de remettre en cause un grand nombre d’autorisations de mise sur le marché de produits pesticides. Dans son jugement, prononcé le 1er juin 2021, le Tribunal de Foix a relaxé l’ensemble des prévenus au nom de l’état de nécessité. Mais une semaine plus tard, le 7 juin, le Parquet a décidé de faire appel du jugement… Un nouveau procès aura donc lieu, probablement dans un an.

Le 21 septembre 2016 et le 1° mars 2017, des Faucheur·se·s volontaires ont détérioré des bidons d’herbicides à base de glyphosate – substance « probablement cancérigène » selon l’OMS [1] – dans les magasins Espace Émeraude (Saint-Jean-du-Falga), M. Bricolage (Pamiers) et Bricomarché (Foix). S’ils reconnaissent qu’il s’agit d’une action illégale, ils la considèrent néanmoins comme légitime et qualifient donc ces dégradations d’action de désobéissance civile.

Les 17 et 18 août 2017, 21 Faucheur·se·s volontaires étaient donc jugé·e·s par le tribunal correctionnel de Foix pour « dégradations et destructions de bien d’autrui en réunion ». Guillaume Tumerelle, avocat des Faucheurs volontaires, a expliqué que l’utilisation des herbicides contenant du glyphosate et d’autres « co-formulants » avaient des impacts sur l’environnement et la santé humaine : « Nous sommes dans un dossier de santé publique parce que ces herbicides sont vendus en libre-service alors qu’on sait que le glyphosate est très controversé ». Il a aussi rappelé aux juges que les méthodes d’évaluation de ces produits étaient « dépassées ». Les Faucheurs considèrent en effet que le fait que seul le glyphosate soit évalué, alors qu’il ne représente que 30 % de la composition du Roundup, est en soi problématique. Car les co-formulants posent eux aussi des questions sanitaires et environnementales. L’avocat a tout de même tenu à préciser que si « en France – contrairement à l’Union européenne – les analyses portent sur le produit dans son ensemble », ces dernières sont grandement lacunaires « puisqu’elles ne portent que sur son éventuelle irritabilité sur la peau ».

Il estime donc qu’il faut revoir la réglementation, tant française qu’européenne, qui « ne respecte pas le principe de précaution, notion pourtant inscrite dans le droit français et le droit européen ». Pour cela, il demande donc au président Hervé Barrié de se substituer à un juge administratif et de prononcer la nullité de l’arrêté interministériel du 6 septembre 1994 relatif au contrôle des produits phytopharmaceutiques.

Le glyphosate convoqué à Bruxelles

L’avocat a aussi plaidé devant le tribunal une saisine de la Cour européenne de justice. En effet, l’avocat souhaite connaître l’avis juridique de la Cour européenne sur la conformité du règlement européen 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques par rapport au principe de précaution (voir encadré ci-dessous).

Les quatre questions préjudicielles


Les questions préjudicielles proposées par Maître Tumerelle et reprises par le juge du Tribunal de Foix sont précisément les suivantes :

« – Le règlement européen est-il conforme au principe de précaution quand il omet de définir précisément ce qu’est une substance active, laissant le soin au pétitionnaire de choisir ce qu’il dénomme substance active dans son produit, et laissant la possibilité au pétitionnaire d’orienter l’intégralité de son dossier de demande sur une unique substance active alors que son produit fini en contient plusieurs ?

- Le principe de précaution et l’impartialité de l’autorisation de commercialisation sont-ils assurés lorsque les tests, analyses et évaluations nécessaires à l’instruction du dossier sont réalisés par les seuls pétitionnaires évidemment partiaux dans leur présentation, sans aucune contre analyse indépendante, et en ne publiant pas leurs rapports de demandes d’autorisation sous couvert du secret industriel ?

- Le règlement européen est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il ne tient aucun compte des pluralités de substances actives, et de leur effet cumulé ? Notamment lorsqu’il ne prévoit aucune analyse spécifique complète au niveau européen des cumuls de substance active au sein d’un même produit ?

- Le règlement européen est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il dispense en ses chapitres 3 et 4 d’analyses de toxicité (génotoxicité, examen de carcinogénicité, examen des perturbations endocriniennes…), les produits pesticides dans leurs formulations commerciales telles que mises sur le marché et telles que les consommateurs et l’environnement y sont exposés, n’imposant que des tests sommaires toujours réalisés par le pétitionnaire ?
 »

Face à ces deux demandes, la procureure de la République Karline Bouisset a demandé au Président du tribunal, Hervé Barrié, de rejeter l’exception de nullité, mais s’est rangée aux côtés des arguments des Faucheurs concernant la question préjudicielle rappelant que, pour le parquet de Foix, « la protection de l’environnement est une priorité ». Le Président a donc souligné qu’il « n’examiner[a] donc pas le fond du dossier ».

Lors du délibéré, le 12 octobre, le tribunal de Foix a donc suivi « mot pour mot » la requête du Parquet et a donc décidé de saisir la Cour européenne de justice sur cette question. Pour les Faucheurs, c’est « une excellente victoire ».

Octobre 2019 – La CJUE confirme la validité du règlement sur les pesticides

Dans son arrêt rendu le 1er octobre 2019 [2], la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) ne relève « aucun élément de nature à affecter la validité du règlement sur les produits phytopharmaceutiques ». Ce dernier respecte et permet une bonne mise en œuvre du principe de précaution. Cependant ne jugeant qu’en droit, il semble que la Cour n’interdit pas de remettre en question la manière dont les institutions européennes et les États membres mettent en œuvre correctement ou non les dispositions du règlement [3].

La Cour affirme que « le demandeur est tenu de faire état, lors de l’introduction de sa demande d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique, de toute substance entrant dans la composition de ce produit qui répond aux critères énoncés par le règlement PPP (règlement sur les produits phytopharmaceutiques), de sorte que, (…) il ne dispose pas de la faculté de choisir discrétionnairement quel composant dudit produit doit être considéré comme étant une substance active aux fins de l’instruction de cette demande ».

Ainsi, comme le précise l’avocat Guillaume Tumerelle, à l’initiative de ces questions préjudicielles : « Le défaut de déclaration de substances actives ne relèverait donc pas d’une insuffisance de la législation, mais de la fraude du déclarant, fraude qui à notre sens est avérée dans plusieurs dossiers d’autorisation« .

Ensuite, la Cour indique que « dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique, la prise en compte des effets cumulés et synergiques connus des composants de ce produit s’impose. En conséquence, les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit ».

Or, l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA /EFSA) déclare que « dans son rapport, le CIRC [NDLR : Centre international de Recherche sur le Cancer] a étudié le glyphosate – la substance active concernée – mais aussi des formulations contenant du glyphosate et d’autres co-formulants, regroupant ainsi dans son étude toutes les formulations, indépendamment de leur composition. Dans l’évaluation menée au niveau de l’UE, en revanche, les experts n’ont considéré que le glyphosate. Il incombe ensuite aux États membres d’évaluer chaque produit phytopharmaceutique spécifique (chaque formulation) commercialisé sur leur territoire » [4].

L’AESA ne semble donc pas appliquer la législation européenne. Guillaume Tumerelle souligne que « le fait de ne réaliser une analyse à long terme que sur une partie du produit tel que commercialisé alors que des co-formulants le rendent nettement plus toxique constitue manifestement un détournement de procédure ».

Contester bientôt des autorisations de mise sur le marché ?

À propos de la fiabilité et de la contre-expertise des dossiers d’évaluation des pesticides, la Cour précise que les dossiers « ne sauraient se fonder sur des essais, des analyses et des études pour lesquels celui-ci n’aurait pas fourni d’éléments démontrant qu’ils ont été réalisés par une institution fiable sur la base de méthodes conformes aux principes scientifiques admis ». Elle souligne qu’« il incombe aux autorités compétentes, en particulier, de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale et de ne pas donner dans tous les cas un poids prépondérant aux études fournies par le demandeur ». Enfin, elle rappelle que l’AESA « dispose de la faculté d’organiser une consultation d’experts et d’inviter la Commission à consulter un laboratoire communautaire de référence, auquel le demandeur pourra être tenu de fournir des échantillons et des normes d’analyse ». Ainsi, « la Cour conclut donc que le règlement PPP n’est pas davantage entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il prévoit que les essais, les études et les analyses nécessaires aux procédures (…) d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique sont fournis par le demandeur, sans exiger de manière systématique qu’une contre-analyse indépendante soit effectuée ». La question sera donc de savoir si l’UE a contrôlé la fiabilité de l’institution ayant produit les études prouvant l’innocuité de ces pesticides.

Guillaume Tumerelle, avocat à l’origine de ces questions préjudicielles, estime que « la Cour considère la législation conforme au principe de précaution mais elle apporte des précisions très importantes sur la lecture de cette législation ». Il considère que ces précisions et interprétations peuvent permettre de remettre « en cause un grand nombre d’autorisations de mise sur le marché de produits pesticides dont le très controversé glyphosate. Les procédures d’évaluation ne sont pas correctement appliquées par les autorités. Notamment, la Cour précise que les produits pesticides mis sur le marché doivent faire l’objet d’analyses de toxicité et de carcinogénité sur le long terme, ce qui n’est pas le cas actuellement  ». Il considère donc que « cet arrêt permet aujourd’hui de contester un grand nombre d’autorisations de mise sur le marché qui n’ont pas respecté la procédure européenne » [5].

Pour résumer, le règlement sur les produits phytopharmaceutiques est conforme mais les sources d’erreurs peuvent aussi venir d’ailleurs.

Rappelons qu’il est un principe de droit constant que la responsabilité de la bonne application du droit communautaire repose sur les États membres, et ces derniers peuvent être jugés et sanctionnés sur la base de cette responsabilité.

1er juin 2021 – Relaxe au nom de l’état de nécessité

Le Tribunal de Foix rappelle, dans son jugement prononcé le 1er juin 2021, que l’article 127-7 du Code pénal « dispose que n’est pas pénalement responsable la personne qui face à un danger actuel et imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien sauf s’il y a disproportionnalité entre les moyens employés et la gravité de la menace »… La Cour argue donc que le danger des produits détruits par les Faucheurs, à savoir des pesticides à base de glyphosate, est établi comme en témoigne leur interdiction aux particuliers… La Cour mentionne aussi un tweet du Président de la République de décembre 2017 dans lequel il s’engageait à sortir du glyphosate d’ici 2021… La Cour écrit : « Il faut souligner que la commercialisation des produits en cause serait aujourd’hui interdite »…

La Cour cite ensuite l’arrêt de la CJUE du 1er octobre 2019 (réponse aux questions préjudicielles posées par le Tribunal de Foix (voir ci-dessus), et conclut que « il est possible de déduire la sous-évaluation des risques des produits en cause «  cancérigènes probables  » en l’absence d’étude sur la détermination de la dangerosité de l’utilisation croisée des produits phytosanitaires entre eux, ou avec une hormone ou avec les molécules chimiques commercialisées répertoriées avec le règlement REACH »… Et plus loin : « Le problème de santé publique est donc certain ».

La conclusion est donc sans ambiguïté : « Face à ce danger, cette action nécessaire visant à informer la population ainsi que les responsables des magasins en cause, face à ce danger particulièrement insidieux, répond à l’exigence de proportionnalité exigée par la notion d’état de nécessité : elle est effectuée sans violence, a été limitée puisque les prévenus lors de leurs interventions ont pris soin de déployer une bâche de protection au sol lors du marquage des bidons au sol et n’ont dégradé ni le magasin ni d’autres produits que ceux en cause »…

Les prévenus sont donc relaxés.

Me Tumerelle, avocat des Faucheurs, remercie, sur son site [6], « l’ensemble des témoins, scientifiques, médecins, agriculteurs, militants qui travaillent avec nous au quotidien pour informer et mettre en avant ces problématiques [et salue] la décision du Tribunal qui, nous n’en doutons pas, va avoir un écho considérable pour faire évoluer la législation et les pratiques.

7 juin 2021 – Le Parquet fait appel

Le procureur de la République, Laurent Dumaine, a annoncé le 7 juin 2021 faire appel du jugement de relaxe « pour un motif strictement juridique« , selon le journal La Dépêche [7]. Il explique : » Après lecture de la motivation de cette décision, je ne partage pas l’analyse du tribunal correctionnel dans cette affaire sur la mise en œuvre de la notion d’état de nécessité exonératoire de responsabilité pénale pour les prévenus au sens des dispositions de l’article 122-7 du Code pénal« . Le même article de presse mentionne la déception chez les militants. Dominique Masset, l’un des militants relaxés, précise : « Déception de voir que l’occasion est manquée. Il y a de la surprise, aussi, de voir le procureur, surtout après son réquisitoire, faire un pas en arrière, lui qui se prétend défenseur de l’environnement. Là, malheureusement, il ne le démontre pas. Il aurait pu, comme l’a fait son collègue de Perpignan, laisser ce jugement comme il était… C’est dommage« .

Le glyphosate totalement interdit en 2022 ?


Le 25 septembre 2017, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a annoncé sur BFMTV et RMC que « le Premier ministre a (…) arbitré pour faire en sorte que ce produit [ndlr : le glyphosate] soit interdit en France, ainsi que tous ceux qui lui ressemblent et qui menacent la santé des Français, d’ici la fin du quinquennat », et il a aussi précisé que cette interdiction concernerait tous les usages, y compris l’agriculture.

[3La procédure de la question préjudicielle sert uniquement à faire remonter à la CJUE des questions de droit. C’est-à-dire des questions concernant l’interprétation du droit communautaire. La Cour ne pouvait se prononcer sur la bonne ou mauvaise application de ce règlement dont la responsabilité relève des autorités compétentes. L’application du droit par les États membres ou les institutions européennes et la condamnation de leurs carences nécessitent d’autres procédures.

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