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UE – Nouveaux OGM : un rapport politique… sous camouflage scientifique

Par Eric MEUNIER

Publié le 15/09/2017, modifié le 01/12/2023

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Le Mécanisme de Conseil Scientifique – un comité établi par la Commission européenne – a publié fin avril 2017 un rapport sur les nouveaux OGM, plus politique que scientifique. Officiellement, ce rapport constitue une note explicative « à jour » sur le sujet pour la Commission européenne. Mais, officieusement, il pourrait bien servir à préparer un changement de définition d’un « OGM », comme cela est en cours aux États-Unis… Le tout en parfaite contradiction avec le Protocole de Cartagena, pourtant ratifié par l’UE.

Le 28 avril 2017, le Mécanisme de Conseil Scientifique (Scientific Advice Mechanism, SAM) [1] [2], comité établi par la Commission européenne en 2015, publiait son rapport sur les nouvelles techniques de modification génétique, comme les mutagénèses, Crispr/Cas9, etc [3]. Un rapport rédigé et publié en six mois sur un sujet complexe qui a nécessité plusieurs années de réflexion à d’autres comités d’experts, qu’ils soient nationaux [4] ou européen [5].

Le 25 novembre 2016, la Commission européenne donnait en effet pour mission au SAM d’établir « une note explicative sur les nouvelles techniques de biotechnologies agricoles y compris leur utilisation agricole potentielle en biologie de synthèse et forçage génétique ». Une note qui devait présenter notamment « les caractéristiques clefs des différentes nouvelles techniques [et] un état des lieux des nouvelles techniques de biotechnologie agricole, qu’elles soient prêtes à être utilisées commercialement ou au stade de développement » [6].

Une classification des techniques… illégale et scientifiquement floue

En préambule, le rapport prévient le lecteur que « les termes sont utilisés selon leur signification scientifique plutôt que juridique ». Un avertissement pourtant très approximatif car le SAM a travaillé avec un classement des techniques faux sur le plan juridique et flou sur le plan scientifique, par manque de définitions préétablies et par oublis de nombreux points.

Sur le plan juridique, trois catégories arbitrairement définies par la Commission européenne dans son mandat au SAM sont considérées : « techniques conventionnelles d’amélioration », « techniques existantes de modification génétique » et « les nouvelles techniques d’amélioration ». Or, certaines méthodes de mutagénèse (dont la mutagénèse induite par agents chimiques ou physiques) sont rangées dans la catégorie des techniques conventionnelles d’amélioration et non dans celle des techniques existantes de modification génétique. La législation européenne est pourtant claire : elle considère que la mutagénèse, qui provoque des modifications génétiques que sont les mutations, génère des OGM (directive 2001/18). Ce nouveau classement imposé par la Commission européenne dans sa saisine, se réfère non pas à la définition légale et scientifique de l’UE mais à un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA) qui lui-même se réfère à un rapport de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas. Ainsi, cette assimilation de la mutagénèse induite à une technique conventionnelle est de fait entérinée par le SAM (qui aurait pu le discuter), avec comme conséquence d’orienter les conclusions du rapport.

On notera également qu’au long des 156 pages du rapport, les définitions peuvent changer. Ainsi, dans la partie consacrée à l’historique de l’évolution des techniques d’amélioration végétale, le terme de nouvelle technique de modification génétique s’applique à l’arrivée de la transgenèse [7]. Pourtant, plus loin [8], les modifications génétiques des années 70-80 sont présentées comme concernant « l’insertion d’information génétique dans un organisme », une définition ambigüe qui peut néanmoins s’appliquer à toutes les techniques, de la mutagénèse à la transgenèse, en passant par les cisgénèse et intragénèse. Le rapport précise d’ailleurs bien que « les techniques de modification génétique existantes les plus courantes […] utilisent des acides nucléiques recombinants ». L’expression « les plus courantes » induisant que les techniques de modification génétique ne se limitent pas à celles utilisant des acides nucléiques recombinant comme la transgénèse. Mais de sous-entendus en sous-entendus, même les auteurs du rapport semble s’être pris les pieds dans le tapis…

Des exemples d’utilisation ? Rapides et assez vagues


Pour répondre à la seconde question de la saisine, le SAM doit fournir des exemples d’utilisations commerciales des nouvelles techniques, en cours ou à venir. On aurait attendu de cet organisme de « haut niveau », qu’il apporte à son mandataire, la Commission européenne et donc les citoyens européens, une information aussi détaillée et exhaustive que celle de la partie « description des techniques ». Or, sur le volet végétal, le rapport se contente de quelques exemples sans mentionner leur intérêt commercial ni leurs implications socio-économiques : pour Crispr, le champignon de Paris à brunissement retardé ; pour la cisgénèse, une pomme de terre résistante au Phytophtora (mildiou), et une pomme résistante à la tavelure ; pour la mutagénèse dirigée par oligonucléotides, un colza résistant aux herbicides. Sont également cités sans référence à une technique un soja à teneur en huile modifiée, un concombre résistant au potyvirus, un maïs à teneur en amidon modifié. Autant d’exemples que tout un chacun peut trouver sur Internet.

Une utilisation asymétrique et biaisée de certains constats scientifiques

Le rapport aborde beaucoup de données scientifiques liées à ces techniques de modification génétique et à leur mise en œuvre. Mais d’une part, le style rédactionnel adopté apparaît choisi pour minimiser plusieurs « problèmes » qui seront dès lors rapidement oubliés, et d’autre part cette quasi-exhaustivité disparaît de manière critique dans le résumé qui reste la partie principalement lue – sinon la seule – par les responsables politiques. Le rapport évoque ainsi certains effets non intentionnels liés à ces nouvelles techniques, effets qui font l’objet « de beaucoup de recherches actuellement » [9]. Il renseigne également l’absence de contrôle des sites d’insertion de « gènes » [10] ; que les gènes ou les modifications génétiques sont insérés de façon aléatoire induisant des mutations ou une modification de l’expression d’autres gènes [11] ; et qu’il est difficile d’éliminer les effets non intentionnels même après plus de 15 rétro-croisements successifs [12] ou de détecter toutes les mutations, sans compter les épimutations, par séquençage [13]. Sont également évoqués les problèmes liés à la mise en œuvre des techniques connexes aux modifications génétiques comme la culture de protoplastes et la régénération de plantes qui occasionnent mutations et épimutations [14] ; les problèmes liés à la technique Crispr/Cas9 qui nécessite une intégration d’ADN dans le génome qui augmente les chances d’effets hors-cible ou l’emploi des ARN ou complexes nucléoprotéiques contaminés par de l’ADN [15] ; ou encore les échanges qui ont lieu entre porte-greffe et greffon (allant de petites molécules comme les ARN à de l’ADN, le tout pouvant s’exprimer dans les parties non-OGM).

Autant d’effets ou limites qu’Inf’OGM a déjà détaillés en 2016 [16] [17]. Mais le SAM, malgré cette liste d’effets non intentionnels, hors-cible, d’absence de maîtrise ou de nécessité de continuer les recherches scientifiques, suggère fortement – tout en se gardant bien de conclure – une solution étonnante : ne plus considérer la technique mais uniquement le produit final pour l’évaluation des risques.

Alors ? Alors seul le produit final devrait être pris en considération. CQFD !

Dès le résumé, cette approche visant à considérer les seuls produits finaux et non plus la technique est habilement suggérée [18]. Le SAM explique dans ce résumé que « aucune conclusion ne peut être tirée sur la sécurité absolue ou comparée des techniques sur base de l’occurrence d’effets non intentionnels. Une évaluation sanitaire peut n’être réalisée de façon réaliste qu’au cas par cas, et en fonction des caractéristiques du produit final ». Il précise paradoxalement aussi que « il ne rentre pas dans le cadre de la saisine d’évaluer les risques présentés par chaque produit final » tout en expliquant « qu’il n’est pas attendu que les produits similaires génétiquement et phénotypiquement obtenus par différentes techniques présentent des risques significativement différents ». Une opinion qui laisse perplexe d’autant que le SAM affirme également par ailleurs que « les dangers potentiels des produits finaux obtenus par différentes techniques d’amélioration dépendent de leurs caractéristiques dont font partie les effets intentionnels et non intentionnels aux niveaux génétiques et phénotypiques » [19]. Il est donc suggéré par le SAM que seuls les produits finaux doivent être considérés pour l’évaluation des risques, peu importe la technique utilisée, tout en indiquant que les dangers potentiels liés à un produit dépendent de la technique utilisée…

Cette opinion se retrouve également dans la partie consacrée au forçage génétique. Le SAM y affirme que « du fait des différentes manières de mettre en œuvre le forçage génétique, les questions de sécurité doivent être liées au produit spécifique et une évaluation générale n’est pas réaliste ». Une référence scientifique à l’appui de cette affirmation ? Aucune car, de fait, il s’agit d’une opinion non documentée.

Par plusieurs aspects, le rapport du SAM rappelle la proposition en cours de discussions aux États-Unis pour modifier la définition de ce qu’est un OGM [20]. Mais on notera surtout que sa suggestion à ne considérer que le produit final et non la technique utilisée, rejoint celle du Conseil consultatif des Académies des sciences européennes [21]. Ce réseau d’Académies des sciences demande que les produits issus de ces nouvelles techniques – lorsqu’ils ne contiennent pas d’ADN étranger – ne soit pas soumis au champ d’application de la législation sur les OGM. Un réseau qui a participé… au rapport du SAM.

Le point saillant, de la détection à la traçabilité


Au vu des enjeux de transparence et d’information des producteurs et consommateurs, la question de la traçabilité telle qu’abordée par le SAM mérite toute notre attention. Considérer que les nouvelles techniques donnent des OGM soumis à la législation induit que les modifications doivent être identifiables, détectables, traçables pour la mise en œuvre de l’étiquetage « OGM » afférent. Inf’OGM a déjà expliqué que tous les éléments et expériences scientifiques permettaient une telle traçabilité, si tant est qu’un projet de recherche était financé par la Commission européenne pour établir les protocoles, à l’instar de ce qui a été fait pour les plantes transgéniques à la fin des années 90 et au début des années 2000.

Sur cette question, le rapport du SAM fait preuve de la même étonnante ambiguïté : il mentionne tous les constats scientifiques qui permettent d’envisager une traçabilité mais se refuse d’en conclure à sa faisabilité. Le résumé dit explicitement : « la détection de tous changements obtenus par quelque technique que ce soit […] est possible avec différentes méthodes si une information moléculaire détaillée est disponible a priori ». Conclusion : sans cette information a priori, pas de détection possible. Or les chercheurs de l’Inra [22] et du réseau ENGL hébergé par le Centre Commun de Recherche d’Ispra, organe de la Commission européenne, ont montré qu’il était possible de détecter des OGM inconnus (donc sans information préalable)… Cherchez l’erreur !

Le SAM précise également qu’il « est généralement impossible de distinguer la cause d’un changement, qu’il soit naturel ou le fait d’une technique d’amélioration ». Une conclusion du rapport pourtant contredite par les données scientifiques fournies dans ce même rapport. En effet le SAM liste bien les différents effets hors-cible et/ou non-intentionnels des techniques elles-mêmes, des étapes communes de leur mise en œuvre, et les caractéristiques de chaque technique… Or ce sont autant d’éléments qui, dans le cadre par exemple d’une approche matricielle, permettrait d’envisager une traçabilité, autant des produits mutés en conditions in vivo qu’in vitro, et des produits dérivés par exemple de l’application des Crispr-nucléases. Mais tous ces éléments ne sont à nouveau pas retenus dans la conclusion.

Un exemple ? La nucléase du système Crispr nécessite une courte séquence d’accrochage appelée PAM pour que la nucléase modifie une séquence génétique, ce que reconnaît explicitement le SAM. Si, dans un lot de plantes similaires, une mutation est trouvée à chaque fois à proximité d’un PAM, on peut imaginer que Crispr a été utilisée et non que la mutation soit apparue spontanément, ceci d’autant plus qu’elle sera accompagnée de plusieurs mutations pas loin (les effets non-intentionnels). Mais le SAM ne pipe mot de cette possibilité de combinaisons de signatures. À l’instar des entreprises, le SAM considère qu’une information préalable est obligatoire sinon, impossible de différencier l’origine des modifications. Heureusement que les scientifiques d’ENGL ne se sont pas contentés de ce genre d’approximations.

Un rapport scientifique ou politique ?

La présence d’opinions, de recommandations, d’un contenu qui se veut exhaustif mais asymétrique dans ses conclusions… tout suggère que ce rapport répond à une commande politique plutôt que scientifique.

Premier exemple : outre le classement illégal des techniques (abordé précédemment), le SAM aborde des notions qui ne participent pas à définir légalement un OGM. Le tableau 3A traite ainsi de « la présence de molécule d’ADN exogène » suite à la mise en œuvre d’une technique de modification génétique. Or, la définition légale d’un OGM n’est en rien limitée à cette seule notion de présence ou d’absence d’ADN exogène. Sans parler du fait que sur le seul plan scientifique, les préparations d’acides nucléiques (ARN) ou de protéines de laboratoire ou commerciale utilisées dans un protocole de modification génétique peuvent être contaminées par de l’ADN exogène [23]. Au final, une information ambigüe sur le plan légal et discutable sur le plan scientifique…

Deuxième exemple : les suggestions et opinions, noyées dans un rapport « scientifique », laissent croire que les assertions sont démontrées, alors que d’autres articles prouvent les nombreuses difficultés rencontrées en routine dans les laboratoires. On lit ainsi que « en général, les techniques de modification du génome induisent beaucoup moins, voire pas du tout, de mutations non-intentionnelles comparées aux organismes obtenus par les techniques d’amélioration conventionnelles ». Des références scientifiques à l’appui de cette affirmation ? Aucune… La « bonne science », qui se veut la référence, implique pourtant de référencer les affirmations. De telles références nous auraient dans ce cas intéressés car de fait, de nombreux effets non intentionnels sont induits par les étapes de mise en œuvre des techniques de modification génétique, ce que le SAM lui-même rappelle mais qu’il oublie aussi vite. Le SAM précise ensuite que cette absence d’effets peut « être vérifiée par séquençage complet du génome avec certaines limites techniques ». Les « limites techniques » auxquelles il est fait ici référence ne sont ni plus ni moins que l’incapacité du séquençage complet à détecter toutes les mutations comme expliqué par… le SAM !

Troisième exemple : pour la mutagénèse dirigée par oligonucléotides, le SAM affirme que « du fait des caractéristiques de cette technique […] aucun effet hors-cible n’est attendu » alors même que «  aucune donnée publiée n’a été trouvée concernant le taux d’effet hors-cible de la mutagénèse dirigée par oligonucléotides » [24]. On est d’autant plus étonné de ce paradoxe du fait que la technique est mise en œuvre sur culture de cellules qui, comme le souligne le SAM dans d’autres endroits de son rapport, induit des… effets non intentionnels. Mais le SAM résume sa position scientifico-politique en expliquant finalement que « les mutations hors-cible sont un souci dans le cas des plantes génétiquement modifiées […] mais que ce souci est moins important que pour la mutagénèse classique ». Une analyse critique de la littérature ? Une simple référence scientifique ? Rien, sinon la confiance que l’on veut mettre dans la foi d’experts scientifiques…

Quatrième et dernier exemple : le SAM considère que, quelle que soit la technique utilisée, « lorsque le phénotype final et l’utilisation [de l’organisme modifié] sont comparables, il en suit que les risques devraient être similaires » [25]. Outre le flou du terme « comparable » et l’usage du conditionnel, le SAM se contredit dès la phrase qui suit en expliquant qu’une « attention particulière doit être apportée aux effets génétique et phénotypique non-intentionnels qui pourraient apparaître avec n’importe quelle technique […] Toute technique d’amélioration peut produire des effets inattendus à fréquence et gravité variables ». Dur de comprendre comment il peut affirmer, scientifiquement et sans aucune référence ou raisonnement explicite, que des techniques induisant des effets inattendus différents engendreront des risques similaires…

Le SAM est un comité qui délivre des conseils scientifiques « de haut niveau, opportuns et indépendants », composé de sept membres au « niveau d’expertise excellent ». Si les sept membres du SAM ont validé ce rapport, sa rédaction est le fait de trois d’entre eux (Janusz Bujnicki, Pearl Dykstra et Henrik Wegener) qui ont bénéficié d’appuis extérieurs. Parmi ces appuis extérieurs, on trouve notamment Joachim Schiemann, ancien président du comité OGM de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), co-fondateur et président de l’International Society for Biosafety research (ISBR), aux positions pro-OGM connues et au conflit d’intérêt déjà relevé par CEO et Inf’OGM [26] [27]. Ces contributions extérieures sont intervenues dans le cadre d’un soutien officiel fourni par les Académies européennes pour un conseil scientifique en politique (SAPEA). Réseau de réseaux, le SAPEA a donc fourni expertise et salariés pour accompagner le SAM dans son travail. Or, il compte dans ses « membres » le Conseil consultatif des Académies des sciences européennes (EASAC) évoqué précédemment pour avoir pris position en faveur d’une dérèglementation des produits issus des nouvelles techniques de modification génétique. Hasard ou pas, le rapport du SAM, qui sera présenté par Janusz Bujnicki à Bruxelles le 28 septembre lors d’une conférence de la Commission européenne, constitue un bel appui de cette position qui nécessitera éventuellement, selon la décision à venir de la Cour de Justice de l’Union européenne saisie du sujet [28], de changer la définition légale d’un OGM…

[4Le HCB en France n’a toujours pas rendu son avis.

[5Un Comité européen d’experts dédié a travaillé sur ce sujet entre 2008 et 2012 mais le rapport n’a jamais été officiellement rendu public.

[6Rapport du SAM, page 116

[7Rapport du SAM, page 24 et 25

[8Rapport du SAM, page 46

[9Rapport du SAM, page 18

[10Rapport du SAM, page 25

[11Rapport du SAM, page 51

[12Rapport du SAM, page 35

[13Rapport du SAM, page 35

[14Rapport du SAM, pages 51 et 65

[15Rapport du SAM, page 61

[18Rapport du SAM, page 18

[19Rapport du SAM, page 78

[24Rapport du SAM, page 57

[25Rapport du SAM, page 79

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