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#EGAlim : l’industrie aux avant-postes

Par Christophe NOISETTE

Publié le 04/08/2017

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Le ministère de l’Agriculture a rendu public [1], le jeudi 3 août, le nom des président-e-s des ateliers des États généraux de l’alimentation (#EGAlim). À l’évidence, l’industrie a réussi à se tailler la part du lion. Sur les 20 présidents, huit sont issus de l’industrie agro-alimentaire, six sont des élus, deux représentent la recherche publique et deux autres l’intérêt général d’un point de vue associatif [2].

Le ministère de l’Agriculture a rendu public le jeudi 3 août 2017, les noms des Président-e-s des ateliers des États Généraux de l’Alimentation qui sont, d’après le site du ministère, « des personnalités dont la compétence et la connaissance reconnue sur ces différentes thématiques favorisera l’émergence de propositions et d’initiatives concrètes et innovantes ».

Les associations environnementalistes, les partisans d’une agriculture paysanne et les organisations de solidarité internationale sont les grands perdants de cette distribution à l’inverse de l’industrie qui présidera huit ateliers sur 20.

Les deux seules structures issues du monde associatif dont un des membres s’est vu proposer un poste de président d’un atelier sont la CLCV, une des deux grosses associations de défense des consommateurs, et le réseau Alerte, une fédération d’associations de lutte contre l’exclusion (dont la Cimade, Emmaüs, ATD Quart Monde, Médecin du Monde). Jean-Yves Mano, président de la CLCV, co-présidera l’atelier 1 sur les attentes des consommateurs avec Dominique Verneau, directeur de production des laiteries Triballat, à Rians dans le Cher, une laiterie familiale [3].

François Soulage, président d’Alerte, économiste de formation, et qui a été pendant six ans responsable du Secours Catholique, présidera l’atelier 12 consacré à la lutte contre l’insécurité alimentaire.

Une forte présence de l’agro-industrie

Le monde de l’agro-industrie présidera entre autres l’atelier 3, consacré au concept flou de « bioéconomie ». À sa tête, on trouvera Rémi Haquin et Karen Serre, respectivement Président(e) d’Adivalor et du réseau Trame. Ces deux structures sont impliquées dans la valorisation des déchets. Adivalor « valorise » les déchets plastiques, recycle les produits phytosanitaires [4] et Trame promeut la méthanisation et le compostage industriels. À aucun moment, dans le rapport d’activité 2016 d’Adivalor n’est évoqué une quelconque stratégie pour réduire les déchets. Il ne s’agit que de les valoriser. Or, la présence de InVivo – l’un des plus importants producteurs et vendeurs de pesticides au monde – comme actionnaire partenaire d’Adivalor indique que l’objectif n’est pas la réduction de l’usage des pesticides mais la valorisation des bidons. On est loin de la problématique de l’alimentation. La question est donc, encore une fois, avant tout économique : oui, les déchets peuvent créer de la valeur, mais est-ce cette valorisation que les « mangeurs » attendent ?

Remi Haquin, Président d’Adivalor est aussi administrateur de Limagrain, le 4° semencier mondial, d’Unigrains Développement et Unigrains Diversification, de la Société pour l’expansion de l’agriculture céréalière [5], une société anonyme dotée d’un capital de 1,7 millions d’euros…

Axereal est « la première coopérative céréalière française, collectant cinq millions de tonnes de grains », et a réalisé un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros en 2016. Son président, Jean-François Loiseau, présidera l’atelier 4 qui réfléchira, entre autre, à comment « conquérir de nouvelles parts de marché sur les marchés européens et internationaux ». Axereal est une pieuvre aux mille ramifications présente dans de nombreux pays européens (Royaume-Uni, Irlande, Belgique, Roumanie, Serbie, Hongrie, Croatie) et en Algérie. Elle est investie dans le domaine des semences et dans la gestion des données météorologiques. Ce groupe entend utiliser le Big Data pour « guider l’exploitant dans son choix de variétés, l’aider à maximiser le rendement et la qualité de ses récoltes, et minimiser l’impact de conditions défavorables » [6].

Axereal joue sur tous les tableaux : « Sur l’ensemble des usines, nous réceptionnons trois catégories de matières premières : bio sur deux sites dédiés, sans OGM ou avec OGM » [7]. Mais la coopérative défend une agriculture intégrée dans un marché international. Sur leur site, à la page « stratégie », on peut en effet lire que « la compétitivité n’est pas une option, c’est une nécessité » ou encore que « l’international répond à la stratégie de conquête de valeur ajoutée » [8].

Quant à l’engagement en matière de développement durable, la stratégie du groupe se résume à une phrase : « Pleinement conscients de notre empreinte sociétale, nous sommes engagés dans une démarche de progrès volontaire et citoyenne. (…) Le groupe Axereal a choisi de manager la Responsabilité Sociétale par une approche pragmatique et réaliste »… Très pragmatique, car Axereal précise d’une part que « la démarche RSE est, pour nous, une possibilité de nous différencier et de fidéliser nos clients. Mais attention, il faut rester compétitif, le facteur prix reste le premier critère de sélection » et, d’autre part que « les contraintes environnementales de notre pays et l’insuffisance de progrès génétique des variétés se traduisent par une stagnation du taux de protéine indispensable à une bonne transformation ».

Autre acteur de la valorisation non alimentaire de l’agriculture, le groupe Avril qui défend contre vent et marée les agrocarburants (et notamment la filière Diester). Yves Delaine, son directeur général délégué, s’est vu confier la présidence de l’atelier 6 qui cherchera à « adapter la production agricole aux besoins des différents marchés et aux besoins des transformateurs ». On retrouve aussi le groupe Avril avec la présidence de l’atelier 13 consacré à « renforcer l’attractivité des métiers de l’agriculture et des filières alimentaires ». Son président, Sébastien Windsor, présenté comme le Président de la chambre d’agriculture de Seine-Maritime, est aussi vice-Président d’Avril et administrateur de Sofiprotéol (une filiale d’Avril), deux mandats passés sous silence par le ministère.

Après l’industrie et les big coopératives, le troisième pilier de l’agro-alimentaire, à savoir la grande distribution. François Eyraud, directeur général de « Produits frais Danone », et Serge Papin, président directeur général de Système U – présideront l’atelier 5 dont l’objectif est de « Rendre les prix d’achat des produits agricoles plus rémunérateurs pour les agriculteurs ». Deux co-présidents pourraient se justifier si l’un d’entre eux représentait le monde agricole. Cet atelier sera donc placé uniquement sous la tutelle des seuls acheteurs en gros.

L’industrie n’a pas toutes les présidences. Ainsi, La recherche publique a également récupéré deux présidences. Philippe Mauguin, président général de l’Inra, présidera l’atelier « préparer l’avenir » et Marion Guillou, ex-pdg de l’Inra et désormais présidente d’Agreenium, présidera l’atelier 8 « assurer la sécurité sanitaire de l’alimentation française dans une économie agroalimentaire mondialisée et dans un contexte de changement climatique tout en prévenant les contaminations chimiques ».

Les autres présidents sont des élu-e-s. L’équilibre semble un peu mieux respecté. On trouve des anciens ministres écologistes (Dominique Voynet) ou socialistes (Guillaume Garot), des députés / sénateurs Les Républicains (Sophie Primas), de la Nouvelle Gauche (Dominique Potier), etc.

Guillaume Garot a été ministre délégué à l’Agroalimentaire dans le gouvernement de Jean-Marc Ayraut. En tant que député socialiste, il a posé de nombreuses questions parlementaires qui témoignent d’un réel intérêt pour l’écologie [9], la défense de l’agriculture bio [10], le soutien aux associations [11] et exprimé ses craintes de certains pesticides comme le Cruser [12]. Il est actuellement président du Conseil national de l’alimentation et l’auteur du rapport parlementaire « Lutte contre le gaspillage alimentaire : propositions pour une politique publique » qui a abouti à la loi contre le gaspillage alimentaire votée à l’unanimité du Parlement en février 2016.

Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle du groupe « nouvelle gauche », est aussi agriculteur bio et président du comité consultatif de gouvernance Ecophyto sur la réduction des pesticides. Il a entre autres soutenu la loi contre l’accaparement des terres.

Sophie Primas, sénatrice Les Républicains des Yvelines, est une personne aux positions ambigües. En 2012, elle est chargée d’une mission commune d’information sur les pesticides et leurs impacts sur la santé. Le rapport final conclut à une sous-évaluation des risques des pesticides pour la santé. En 2016, elle a voté la loi « biodiversité » mais elle a contribué à amender le texte, se prononçant notamment contre les « zones prioritaires de biodiversité », contre l’interdiction totale des néonicotinoïdes mais en faveur de leur remplacement par des produits et méthodes de substitution sous l’égide de l’Anses. Elle s’est opposée aussi en mars 2016 à l’introduction d’un seuil de 20 % de bio en restauration collective publique d’ici 2020/21, et à l’engagement de la circulaire du 2 mai 2008 relative à l’exemplarité de l’État en matière d’utilisation de produits bio dans la restauration collective. En 2017, elle a soutenu François Fillon comme candidat à la présidentielle [13] qui défendait alors les OGM et les nouvelles techniques de modification génétique. À ce titre, dans le journal en ligne pro-ogm, pro-pesticide Agriculture et environnement » [14], elle affirme que « le pavillon tricolore qui orne la Ferme France doit retrouver sa grandeur dans une temporalité qui impose au politique de prendre en considération les réalités économiques et de ne pas sombrer dans un écologisme militant dogmatique. L’agroécologie ne peut être imposée en opposition à notre économie agricole contemporaine ». Elle conclut sa tribune ainsi : « Confiance. Liberté. Innovation : oui, renouons avec une agriculture forte et conquérante ».

Certes, les présidents ne feront pas la pluie et le beau temps de ces EGAlim, d’autres acteurs comme les associations et syndicats pourront s’exprimer au cours des ateliers. Cependant, en nommant de telles personnalités, le gouvernement envoie un signal clair. La question sera avant tout économique et ces États généraux ne devraient pas mettre en péril la filière des pesticides ni celle des circuits de production et de distribution actuels.

[2Les deux autres présidents sont Dominique Voynet, ex-ministre et actuellement inspectrice générale des Affaires sociales et Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation, ancien membre du Conseil constitutionnel

[3À ne pas confondre, comme nous l’avons fait dans une version précédente de cet article, avec les fromageries Triballat à Noyal sur Vilaine. Comme nous l’a précisé M. Verneau, « les deux sociétés sont indépendantes et n’ont aucun lien entre elles si ce n’est que les deux pdg sont de la même famille ». Les fromagerie Triballat de Noyal sur Vilaine gèrent de nombreuses marques : SojaSun, NutriSun, Vrai, Sojade, Petit Billy, Petit Breton, etc.

[4Extrait du Rapport d’activités 2016 « Nous démontrons ensemble que nous pouvons utiliser de façon responsable et durable, produits phytopharmaceutiques, engrais, plastiques, semences et produits d’hygiène, jusqu’à la fin de vie de ces produits »

[5La SEAC a parmi ses autres administrateurs l’Association générale des producteurs de maïs, l’Association générale des producteurs de blé, le Crédit agricole

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