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États-Unis – Des agrocarburants OGM dans l’alimentation humaine

Par Christophe NOISETTE

Publié le 02/06/2017

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«  La contamination de cultures non OGM par des OGM est inévitable  », constate Inf’OGM depuis une quinzaine d’années. En voici un nouvel exemple, avec la découverte, dans la chaîne alimentaire humaine, du maïs Enogen de Syngenta, génétiquement modifié pour servir d’agrocarburant. Détails de ce dossier où Syngenta semble vouloir fuir ses responsabilités.

Du maïs génétiquement modifié destiné à la production d’éthanol, baptisé Enogen (voir encadré ci-dessous), s’est retrouvé dans des silos destinés à l’alimentation humaine. L’alerte a été donnée par Derek Rovey, propriétaire d’un silo dans le Nebraska. Il a annoncé récemment que certains de ces clients, maïsiculteurs, dont les cultures avaient été contaminées par des gènes issus du maïs transgénique Enogen, mis au point par Syngenta. Il a aussi retrouvé cet OGM dans des farines de maïs. Même son de cloche chez B.J. Katzberg, un vendeur de semences de maïs, qui raconte qu’un de ses clients a dû abandonner 635 tonnes de maïs blanc. L’origine de la contamination n’est pas connue, mais Derek Rovey précise que certains champs contaminés étaient voisins de champs « Enogen ». Enfin, Lynn Clarkson, président de Clarkson Grain, toujours dans le Nebraska, a lui aussi témoigné de la présence d’Enogen dans des lots de maïs. Interrogé par Inf’OGM, il nous précise que « désormais il n’acceptera plus de maïs alimentaire issu de champs situés à moins d’un mile [1] d’un champ Enogen ».

La perte économique est importante pour les agriculteurs contaminés qui doivent vendre leur maïs moins cher, sur les marchés de l’alimentation animale ou de l’éthanol. Et pour l’agriculteur certifié « bio », la perte est encore plus importante car les OGM sont interdits dans cette filière.

Maïs Enogen : pour produire de l’éthanol dans le monde entier


Le maïs Enogen (ou SYN-E3272-5) contient un transgène issu d’une bactérie (hermococcales spp.) qui produit une enzyme, l’alpha amylase, laquelle permet de dégrader l’amidon du maïs en sucre. La production d’éthanol à partir de maïs conventionnel demande l’ajout d’un liquide qui contient cette enzyme. L’intérêt économique d’un tel maïs (si l’on ne compte pas les surcoûts liés à la semence et aux potentiels effets négatifs environnementaux) est donc évident : simplification du travail et économie sur l’adjuvant. Enogen est une des toutes premières plantes génétiquement modifiées dont le transgène agit après la récolte. Les autres transgènes ont une action dans les champs. Ce transgène a donc un intérêt non pas pour l’agriculteur mais pour l’industriel.

Enogen est autorisé à la culture aux États-Unis (2011), Japon (2010), Brésil (2016) et Canada (2008). Et à l’importation dans de nombreux pays : Australie, Brésil, Canada, Chine, Colombie, Corée du Sud, États-Unis d’Amérique, Indonésie, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Philippines, Russie et Taïwan.

Un marché en hausse, malgré la forte opposition des meuneries

En mai 2017, Syngenta annonçait dans un communiqué de presse qu’environ 40 % du maïs cultivé aux États-Unis étaient destinés à la production d’éthanol [2]. Les agriculteurs qui cultivent ce maïs, ainsi que 20 usines de production d’éthanol dans neuf états, sont sous contrat avec Syngenta.

En 2011, un article du New York Times présentait l’opposition des meuniers industriels et de l’agro-alimentaire. Ces derniers craignaient en effet déjà des contaminations des maïs destinés à l’alimentation humaine avec le maïs Enogen. Ces opposants ne sont pas des militants anti-OGM et sont plutôt, en règle générale, favorables aux biotechnologies.

Ainsi, par exemple, l’association des meuniers étasuniens (The North American Millers’ Association, Nama) prévenait que « s’il devait entrer dans la chaîne de production alimentaire, la même fonction qui profite à la production d’éthanol nuira à la qualité des produits alimentaires » [3]. Le Nama est une organisation qui représente 43 entreprises de meunerie, dont des entreprises internationales, (General Mills, ConAgra Mills et ADM Milling). Elle estimait qu’une telle contamination engendrerait des problèmes colossaux pour la filière et notamment des chips de maïs friables et des céréales molles. En effet, calculait-elle, « il suffit d’un grain de maïs Enogen mélangé à 10 000 grains de maïs blanc pour affaiblir l’amidon de maïs et perturber les opérations de transformation alimentaire ».

Derek Rovey précisait à Non-GMO Report qu’en 2015 il avait vendu à un client californien de la farine de maïs destinée à la fabrication de « Tamales », un plat traditionnel mexicain. Or la farine avait du mal à s’agglomérer. Une analyse, demandée par Rovey, révélait la présence de maïs Enogen.

Syngenta plaide non coupable

En 2016, à nouveau, un phénomène comparable a été constaté en Californie avec de la farine de maïs vendue par l’entreprise Amapola Market, à Los Angeles [4]. D’après Juan Galván, vice-président d’Amapola, cette mauvaise farine provient d’un lot de 54,4 tonnes [5] de maïs blanc.

Contacté par Inf’OGM, Ken Roseboro, de Non-GMO Report nous précise qu’à l’heure actuelle, la présence d’Enogen n’a pas été détectée formellement dans ce lot. Il nous précise que « un des responsables d’Amapola Market lui a affirmé qu’ils allaient tester la présence d’Enogen dans les lots incriminés, mais il n’a jamais reçu les résultats ». Ken Roseboro nous précise encore que ce représentant a finalement cessé de communiquer avec lui sans donner d’explication. Deux possibilités, spécule-t-il : « Leur avocat lui a demandé de rester discret parce qu’ils avaient engagés un procès contre leur fournisseur de maïs… ou Syngenta les a contactés et conclu un accord pour régler le problème en toute discrétion ». Contacté par Inf’OGM, ni Amapola Market, ni Syngenta n’ont répondu à nos questions.

Interrogé par Non-GMO-Report après la contamination, Syngenta a déclaré « qu’il n’y a jamais eu d’incidents vérifiés ». L’entreprise a répété qu’elle faisait tout pour « respecter les autres usages du maïs », qu’Enogen est cultivé dans un système en vase clos avec des producteurs sous contrat (qui touchent d’ailleurs une prime pour la culture de ce maïs) et que ces derniers suivent une méthode précise qui permet d’éviter les mélanges. Syngenta rappelle qu’elle a établi un guide de bonnes pratiques pour éviter ce genre d’incident. Les agriculteurs sous contrat doivent cultiver du maïs non Enogen autour de leur champ, stocker le maïs Enogen dans des silos séparés, et nettoyer les machines utilisées pour semer ou récolter ce maïs. Syngenta précise qu’elle a développé pour les producteurs un « traceur violet  » qui permet de s’assurer visuellement que le grain est correctement séparé de la culture à la livraison et qu’elle a mis en place le « Enogen Field Finder  », un outil public sur Internet qui permet à chacun d’identifier la présence d’un champ « Enogen » [6]. Syngenta précise que cet outil « a été développé en utilisant des formules qui devraient aboutir à une approximation raisonnable des emplacements », et « uniquement à titre d’information ». Ainsi, l’entreprise « décline toute responsabilité ».

Syngenta est actuellement visée par plusieurs actions en justice aux États-Unis initiées par des agriculteurs qui reprochent à l’entreprise d’être responsable des pertes subies en raison de l’embargo chinois sur le maïs étasunien. À l’origine du litige, le maïs MIR162 Agrisure Viptera [7], qui s’est retrouvé dans les exportations à destination de la Chine en 2013 et 2014 alors qu’il n’était pas autorisé dans ce pays. En réaction, la Chine a décidé de suspendre les importations de maïs américain. Pour les agriculteurs qui ne cultivaient pas ce maïs et exportaient vers la Chine, les pertes économiques sont considérables. De telles pertes ne sont jamais prises en compte dans la balance économique des OGM. 

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