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OGM : Retour sur des moments forts de la mobilisation

Par Christophe NOISETTE

Publié le 21/06/2017

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En 1996, quand les premiers cargos de soja transgéniques débarquent en Europe, les promoteurs de ces plantes génétiquement modifiées (PGM) ne se doutaient pas que la contestation allait immédiatement s’implanter… Voici un résumé partiel des deux décennies de lutte qui ont freiné l’expansion des OGM en France.

France : quelques dates des 20 ans de mobilisations citoyennes contre les OGM
France : quelques dates des 20 ans de mobilisations citoyennes contre les OGM
Crédits : Lily Vergier, Inf’OGM

La mobilisation citoyenne, en France, démarre doucement à la fin des années 90 : en 1996, Greenpeace dénonce un cargo chargé de soja transgénique ; en 1997, 300 personnes fauchent un essai en champ à St Georges d’Espéranche (Isère) mais ce sont trois syndicalistes de la Confédération paysanne qui seront jugés ; en 1998, « la Conf’ » dénature des semences transgéniques commerciales à Nérac, empêchant un ensemencement imminent et à grande échelle… Immédiatement ces actions trouvent un accueil favorable auprès du public. Les premiers sondages annoncent un rejet massif des OGM. Certes les OGM transgéniques ont débarqué après une décennie de scandales politico-sanitaires – sang contaminé, vache folle, bœuf aux hormones, etc. – mais la santé n’est pas le seul mot d’ordre des opposants. Grâce aux mobilisations un peu partout en France, l’État organise en 1998 une conférence des citoyens sur les OGM dont les conclusions seront peu suivies.

Cantines, supermarchés, zones sans OGM : les cibles sont multiples

Dès 1999, les campagnes d’opposition aux OGM se construisent en direction des cantines scolaires pour qu’elles bannissent ces nouveaux ingrédients des menus. Les opposants investissent les supermarchés où, munis de la liste établie par Greenpeace, ils collent des autocollants « OGM Danger » sur les produits contenant des OGM, afin d’informer les clients et d’exiger leur étiquetage systématique. Les maires prennent la mesure de l’opposition et les premières délibérations pour se déclarer « zone sans OGM » sont transmises aux préfectures qui tentent d’étouffer le mouvement…

Rapidement, un certain nombre de scientifiques sortent de leur réserve et dénoncent des procédures d’évaluation caricaturales. Gilles-Éric Séralini, alors membre de la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), impose que son avis divergent soit annexé au rapport. Il fonde, avec Corine Lepage, le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), en 1999. C’est aussi l’année de naissance d’Inf’OGM, créée pour informer, certes les acteurs et parties prenantes, mais aussi Monsieur Tout-le-monde, sur tous les enjeux liés aux OGM. Inf’OGM considère que le débat ne peut exister que si une information solide, vérifiée et contextualisée existe, et qu’il existe une transparence des pouvoirs publics. Ces 17 ans de travail collectif ont amené notre association à réfléchir à l’omniprésence de la « science », et donc à essayer de libérer la parole du carcan scientifique dans laquelle certains souhaitent l’enfermer, à relativiser les arguments d’autorité ou les promesses…

La contestation passe aussi par les tribunaux (voir p.18). France Nature Environnement (FNE) (parfois accompagnée des Amis de la Terre) organise de nombreux recours en justice pour obliger le ministère de l’Agriculture à publier la localisation des parcelles d’essai d’OGM. Combat long et difficile mais couronné de succès… au grand plaisir des faucheurs. FNE dépose aussi de nombreux recours, en référé et sur le fond, auprès des tribunaux administratifs contre des essais en champs d’OGM, qu’elle considère comme illégaux, avec de belles victoires, notamment face à Meristem Therapeutics en 2007.

Des paysans indiens et français détruisent du riz OGM au Cirad, France
Des paysans indiens et français détruisent du riz OGM au Cirad, France
Crédits : Guillaume De Crop

Entre 1997 et 2003, la Confédération paysanne, accompagnée parfois d’autres organisations, neutralisent plusieurs dizaines d’essais et assume alors seule la responsabilité juridique de ces actions. Citons seulement deux fauchages emblématiques de cette période. En 2001, la Confédération paysanne, accompagnée de 200 paysans indiens, détruit des essais de riz transgéniques dans les locaux du Cirad. Il s’agit d’une première brèche dans le bloc de la recherche publique. En effet, plusieurs centaines de chercheurs soutiennent ouvertement cette action.

En juillet 2003, le Comité national de la Conf’ détruit, à Guyancourt (78), une parcelle du Geves (Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences) destinée à finaliser l’homologation et l’inscription au catalogue des variétés de maïs GM de Monsanto, Syngenta et Pioneer. En parallèle, des petits groupes opèrent de nuit, sans se faire connaître (voir p.16).

Greenpeace avec son réseau Info-conso, alors très investi dans ce combat, continue sa pression sur les fabricants pour qu’ils retirent les OGM de leur produits. Une nouvelle campagne est lancée : il s’agit désormais de faire en sorte que les animaux soient nourris sans OGM, seule garantie pour que la chaîne alimentaire en soit exempte. L’association publie une liste des produits issus d’animaux nourris aux OGM et sans OGM. Elle organise des actions dans les ports pour empêcher les importations de soja transgénique. Dès 1999, Carrefour, dont le dirigeant est acquis à la cause, s’engage dans des filières sans OGM. Quelques années plus tard, vers 2004, Greenpeace organise des « détectives OGM » qui démasquent les produits étiquetés dans les supermarchés, les jardineries, etc.

L’association Attac, elle, développe le lien entre OGM et brevet, notamment sous l’influence de l’agronome Jean-Pierre Berlan (Inra), et met en exergue les conséquences de la signature des accords de libre-échange sur le dossier OGM. En 2000, l’association OGM Dangers lance un « appel contre la brevetabilité des êtres vivants et la monopolisation des ressources génétiques »…

Petit à petit, toutes les professions se mobilisent : viticulteurs bourguignons (« appel de Beaune » en 2001) suivis rapidement par des viticulteurs de la Loire et du bordelais ; Moët et Chandon abandonne son projet de vignes transgéniques ; et la contestation s’installe aussi chez les chefs cuistot, les apiculteurs. Les paysans bio comprennent vite que les OGM menacent leur production et que la coexistence des filières est un leurre.

Entrée en scène des Faucheurs volontaires

En août 2003, lors du rassemblement altermondialiste sur le plateau du Larzac, Jean-Baptiste Libouban, Compagnon de l’arche, initie le collectif des Faucheurs volontaires d’OGM. L’objectif est double : que les citoyens prennent le relais des paysans dans la lutte contre les OGM et que les prétoires des tribunaux deviennent des tribunes pour rendre public le débat OGM. La Conf’ avait failli disparaître financièrement suite à ces actions et la création des Faucheurs volontaires a aussi pour objectif de continuer cette forme de lutte sans faire disparaître le syndicalisme paysan contestataire. Le 25 juillet 2004 à Menville (Haute-Garonne) a lieu la première « neutralisation » d’un essai de maïs GM à l’appel des Faucheurs volontaires : près de 1000 citoyens répondaient à l’appel. C’était le début d’une nouvelle série de fauchages d’essais puis de cultures commerciales, de procès et de manifestations diverses. Ces fauchages seront à visage découvert, et en revendiquant l’acte (les cartes d’identité sont données à la police).

Entre 2006 et 2008, l’ensemble des organisations opposées aux OGM se coordonnent et ensemble exigent un moratoire sur le maïs MON810 et une loi cadre sur les OGM. Pendant deux ans, une diversité incroyable d’actions voit le jour : occupation des locaux de plusieurs Directions régionales de l’agriculture, de la coopérative Lur Berri (Pays Basque), de l’usine agro-alimentaire de Guyomarc’h Nutréa, à Plouagat (Bretagne), deux grèves de la faim, une marche Chartres / Paris, pétitions, etc. À Paris, la CLVC, association de consommateurs, écrit aux députés de la Ville pour leur demander que la loi actuellement en débat « respecte le zéro OGM dans l’alimentation ». Le Groupe International d’Étude Transdisciplinaire (Giet) et FNE démontrent les insuffisances graves du dossier MON810. Ces données sont reprises par le Comité de préfiguration de la Haute Autorité (CPHA), présidé par le sénateur Legrand, qui demande alors une suspension des cultures transgéniques. Ce moratoire met un coup d’arrêt à l’expansion du maïs Bt en France [1].

Le 29 mars 2008, une manifestation dans plusieurs grandes villes « pour le droit de produire et consommer sans OGM » exige des députés qu’ils amendent le projet de loi pour permettre réellement au « sans OGM » de continuer à exister. Deux jours plus tard, à la veille du débat à l’Assemblée, le 31 mars 2008, Greenpeace livre neuf tonnes de maïs au siège de l’UMP, à Paris, « pour demander au parti majoritaire à l’Assemblée de défendre une agriculture et une alimentation véritablement sans OGM ». Les régions, départements, municipalités rejoignent à nouveau la bataille, et adoptent de nouvelles délibérations. Ces actions, et bien d’autres encore, aboutissent à une victoire importante : le préambule de la loi instaure le droit à produire et à consommer « avec ou sans OGM ». En mai 2014, une loi qui interdit la culture de l’ensemble des maïs transgéniques complète ce cadre.

Après les transgéniques, les OGM cachés

Fauchage d'une parcelle de colza muté en avril 2015
Fauchage d’une parcelle de colza muté en avril 2015
Crédits : Guillaume De Crop

Le moratoire a aussi pour effet de réduire de façon importante les actions d’opposition aux OGM. Pourtant, les OGM transgéniques continuent de rentrer sur le territoire français via les ports, pour l’alimentation du bétail ; et la recherche, publique et privée, continue d’expérimenter. Mais le nombre d’essais en champ, très important jusque dans les années 2000, diminue rapidement suite à la mobilisation, pour tomber à zéro en 2013.

En octobre 2008, au contre-sommet du gène à Paris, la notion d’« OGM caché » (issus de mutagénèse) se diffuse dans les réseaux… S’ensuivent alors diverses actions des collectifs au Cetiom, chez Pioneer… Le 25 juillet 2010, les Faucheurs volontaires détruisent une parcelle de tournesol muté tolérant un herbicide (VrTH) à Sorigny (Indre-et-Loire). Cette action est suivie par de nombreuses autres jusqu’à aujourd’hui [2]. La problématique « OGM caché » est plus complexe à expliquer que celle des OGM transgéniques et la médiatisation et le soutien citoyen ne viennent qu’après quelques années.

Les collectifs ont aussi régulièrement, au cours des dernières années, remis le projecteur sur les importations de soja. Le nombre d’actions dans les ports (bateaux et hangars de stockage) se multiplient en Bretagne et dans le sud, à Sète. Des usines d’élaboration d’aliments pour animaux utilisant des sojas transgéniques sont régulièrement occupées… Des supermarchés sont à nouveau la cible d’actions d’étiquetage pour dénoncer la présence d’OGM dans les mangeoires des animaux… et un défaut d’étiquetage notoire.

Par ailleurs, vers 2012, le Criigen mène un combat sans faille pour obtenir plus de transparence dans les dossiers d’autorisation. Il est à l’origine d’une vaste campagne nationale et européenne pour exiger que les données brutes soient publiées, pour qu’une contre-expertise puisse exister. C’est une des rares fois où Inf’OGM participe activement à une campagne. Inf’OGM, pour qui la question de la transparence est un objet statutaire, élabore des demandes claires sur ce sujet qu’elle communique directement au Haut conseil sur les biotechnologies (HCB) et à l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA). D’autre part, la création d’une instance dédiée à la société civile, le Comité économique, éthique et social (CEES), au sein du HCB, est en partie due aux organisations. Elles deviennent alors légitimes pour débattre du dossier OGM. C’est aussi une consécration de l’idée que les experts scientifiques ne sont pas les seules personnes qui ont voix au chapitre. Mais les associations opposées aux OGM ont décidé de boycotter le HCB, considérant que la mainmise de l’industrie et les problèmes de gouvernance les empêchaient de travailler.

Enfin, plus récemment encore, ce sont les actions contre les herbicides contenant du glyphosate qui prennent de l’ampleur. En effet, l’autorisation de cette molécule herbicide, présente notamment dans le Roundup (largement pulvérisé sur des plantes transgéniques), est sur la sellette et est sur le point d’être renouvelée. Ces actions sont menées dans les jardineries par des groupes de citoyens, de faucheurs, ou de paysans.

Tenter de résumer 20 ans de lutte est une gageure, tant les acteurs ont été nombreux, apparaissant et disparaissant en fonction de leurs autres objectifs ou combats. Ce qui est sûr, c’est que l’ensemble de ces actions, petites ou grandes, a permis de freiner le développement des OGM, et plus fondamentalement, a montré que la diversité de points de vue est une force, parfois difficile à contenir…

[1En 2007, 22 000 ha de maïs MON810 sont ensemencés en France. L’AGPM estime que 100.000 hectares auraient été semés en OGM en 2008 sans l’interdiction.

[2Le 14 avril 2017 à côté de Beaune (21) une parcelle d’essai de colza VrTH pour le compte de BASF a été neutralisée.

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