n°145 - mai / juin 2017

Oligopole semencier : main basse sur notre alimentation

Par Sébastien Chailleux, Action Aid / Peuples solidaires

Publié le 21/06/2017

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Le 27 mars, plus de 200 organisations de la société civile ont adressé une lettre ouverte à l’attention de la Commission européenne pour demander le rejet de la fusion imminente des plus grandes entreprises mondiales de l’agrochimie et des semences.

Les sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse certains seuils, qui exercent des activités dans l’Union européenne et qui souhaitent fusionner, doivent demander l’autorisation de la Commission européenne. Ces seuils sont notamment dépassés si le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à cinq milliards d’euros (soit environ l’équivalent du produit intérieur brut du Surinam). Les pouvoirs de la Commission européenne sont déterminés par le droit de la concurrence et elle peut sanctionner les ententes illicites et les abus de position dominante. Trois fusions sont actuellement en cours : Dow Chemical avec DuPont (approuvé sous conditions par la Commission européenne le 27 mars), Monsanto avec Bayer AG et Syngenta avec ChemChina (en cours d’examen). Les fusions de ces grandes entreprises de l’industrie chimique et agroalimentaire vont augmenter leurs parts de marché contrôlées et la concentration déjà très forte des marchés dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture (voir encadré).

Le mariage de l’enfer

L’association ActionAid France a rejoint les 33 signataires de cette lettre ouverte à la Commission européenne initiée par Friends of the Earth Europe. La même semaine, un mariage a été célébré à Bruxelles devant le siège de la Commission européenne pour illustrer les dangers de ces fusions colossales. Devant les drapeaux de l’Union européenne, sous un portique noir sur lequel flottaient les flammes de l’enfer, un faux couple s’est uni (voir photos). La mariée Monsanto à la robe blanche et aux dents noircies brandissait son épi de maïs transgénique. Le marié Bayer, comme un zombie victime de produits chimiques, avait quant à lui le visage recouvert de plaies purulentes. Ce couple horrible s’est embrassé, entouré par des militant·e·s qui par leurs pancartes dénonçaient cette dangereuse union (#MergerFromHell). En effet des organisations de la société civile analysent et dénoncent depuis des années les impacts dévastateurs des multinationales de l’agro-business. Avec cette action collective, elles pointent du doigt la responsabilité des décideurs·ses face aux conséquences négatives de ces fusions sur la population, les agriculteurs·rices, les travailleurs·ses agricoles, les consommateurs·trices, l’environnement et la sécurité alimentaire. Aussi, dans ce contexte, il serait crucial que la Commission européenne soit en mesure d’user d’autres leviers que celui du droit de la concurrence qui n’inclut pas les enjeux majeurs de responsabilités sociales et environnementales des entreprises. Or, à l’heure actuelle, l’objectif premier des règles de concurrence de l’Union européenne est de veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée, afin que le marché intérieur soit « libre et dynamique ».

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Crédits : Friends of the earth Europe

La souveraineté alimentaire en danger

Les paysannes et les paysans, au Nord comme au Sud, sont les premières victimes des mastodontes grossissants de l’agro-industrie, en particulier car les deux tiers du marché mondial des semences commerciales sont contrôlés par seulement dix sociétés. Avec ces fusions, quid du choix des semences davantage limité, de l’augmentation de leur prix et de celui des intrants et de la vente d’OGM cachés ? Dans ce contexte, ActionAid France souhaite que le soutien des institutions européennes s’oriente davantage vers le développement d’une agroécologie durable à petite échelle, et que les décideurs·ses renforcent les clauses environnementales et sociales afin de réduire l’impact de l’agro-industrie sur les populations, les paysans·nes, les travailleurs·ses et l’environnement. Ainsi, avec d’autres organisations défenseuses de l’agroécologie paysanne au sein de la plate-forme Coordination Sud et de sa commission Agriculture et Alimentation, ActionAid participe aux travaux de plaidoyer collectif pour défendre le droit aux semences et le droit à l’alimentation en France et auprès des institutions internationales.

Un contrôle depuis la production jusqu’à la consommation

Ces fusions accroissent encore davantage le monopole des multinationales sur le business des semences et le contrôle des entreprises sur l’agriculture, notamment en augmentant l’utilisation de produits chimiques et les nuisances à l’environnement qui en résultent. Les pays en développement sont particulièrement touchés car les grands semenciers y mettent en œuvre un intense lobbying pour modifier les normes et imposer des lois semencières défavorables aux paysans·nes. Au sein des entreprises qui fusionnent et deviennent gigantesques, les travail-leurs·ses et leurs organisations syndicales sont souvent encore davantage écrasé·e·s par un rapport de force toujours plus inégal en faveur des actionnaires. Quant aux consommateurs·rices, leur choix d’une alimentation responsable se voit limité par les monopoles grandissants de l’agriculture et de l’alimentation. L’appel de la société civile à rejeter les fusions vise ainsi à rendre publics ces enjeux, à prévenir les dommages causés par ces entreprises et à prendre d’urgence des mesures pour soutenir des systèmes alimentaires justes et durables, moins dépendants de l’agro-industrie.

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