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Nouveaux OGM : l’Europe mobilise (à nouveau) des scientifiques

Par Eric MEUNIER

Publié le 29/03/2017

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Selon la ministre française de l’Environnement, Ségolène Royal, la Commission européenne a annoncé aux États membres qu’au cours du premier semestre 2017, « un nouveau mécanisme d’évaluation scientifique » aborderait la question du statut réglementaire des produits obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique (nouveaux OGM). En effet, dix ans après le lancement de la réflexion au sein des instances européennes, la Commission européenne a lancé ce second chantier scientifique. Cet article décrit les objectifs d’un rapport attendu dans les heures ou jours qui viennent.

En 2012, un comité d’experts, mis en place par la Commission européenne, avait rendu un avis qui n’avait pas satisfait la Commission car il n’avait pas recueilli l’unanimité des experts. Depuis 2012, la Commission annonce chaque année la publication d’une interprétation de la législation européenne par son service juridique concernant le statut réglementaire des produits obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique (nouveaux OGM). En 2016 enfin, dernier changement de programme en date, ce sont de nouveau des scientifiques qui sont mobilisés par la Commission européenne mais cette fois, en interne. Le « Mécanisme de Conseil Scientifique » (Scientific Advice Mechanism, SAM) doit rendre son rapport fin mars.

Le SAM, pour des conseils scientifiques indépendants

Le Mécanisme de Conseil scientifique [1] a été mis en place fin 2015 pour notamment « fournir à la Commission des conseils scientifiques indépendants sur certaines questions de politique [… et] aider la Commission à déterminer pour quelles questions de politique des conseils scientifiques indépendants sont nécessaires » [2]. Nommés pour une durée de deux ans et demi, ses membres sont au nombre de sept (voir encadré ci-dessous) et se réunissent « quatre à six fois par an », sachant que la Commission « peut inviter des experts qui ont des compétences spécifiques sur un sujet inscrit à l’ordre du jour à participer aux travaux du groupe ».

Les sept membres du SAM


Les sept membres actuellement en place [3] sont :

- Janusz Bujnicki, chercheur en « bioinformatique, biologie structurelle et biologie de synthèse » à l’Institut international de biologie cellulaire et moléculaire de Varsovie ;

- Pearl Dykstra, professeur de sociologie à l’Université Erasmus de Rotterdam ;

- Elvira Fortunato, professeur en sciences des matériaux à l’Université Nova de Lisbonne ;

- Rolf-Dieter Heuer, un ancien directeur de l’Organisation européenne de recherche nucléaire ;

- Carina Keskitalo, professeur en sciences politiques à l’Université d’Umea ;

- Cédric Villani, directeur de l’Institut Henri Poincaré à Paris ;

- et Sir Paul Nurse, généticien et biologiste cellulaire, directeur de l’Institut Francis Crick à Londres et signataire d’un appel en 2016 demandant à Greenpeace de cesser toute opposition aux OGM [4].

Le SAM doit s’exprimer sur les nouvelles techniques de modification génétique

Le 25 novembre 2016, le SAM recevait donc de la Commission européenne une saisine sur les « nouvelles techniques en biotechnologie agricole ». Selon cette saisine, la SAM doit « fournir une note explicative sur les nouvelles techniques en biotechnologie agricole dont leur potentielle utilisation agricole en biologie de synthèse et forçage génétique ». Et de détailler deux axes principaux attendus : « les caractéristiques clefs des nouvelles techniques » et « une comparaison avec les techniques actuelles ». Ce second point est bien sûr important puisque le SAM doit fournir à la Commission européenne une description « des différences et similarités de chaque nouvelle technique comparée 1) aux techniques de modification génétique actuelles et 2) aux techniques d’amélioration conventionnelles », avec notamment une éventuelle identification des risques sanitaires et environnementaux « quand cela est possible » et les possibilités de détection des produits obtenus.

Et pour accomplir son travail, le SAM peut consulter d’autres acteurs que sont « les académies européennes et la communauté scientifique »…

Des parties prenantes déjà positionnées ?

Cette possibilité a bel et bien été exploitée puisque la lecture du compte-rendu de la réunion des 30 et 31 janvier 2017 du SAM nous apprend que « des experts du SAPEA contribuent activement à la rédaction de cette note explicative ». Le SAPEA est un projet de « conseil scientifique au service de la politique par les académies européennes » financé à hauteur de six millions d’euros sur quatre ans par la Commission européenne. Un projet qui rassemble cinq réseaux d’académies – Academia Europaea, ALLEA, EASAC, Euro-CASE et FEAM – et qui fournit « des employés et des experts » au SAM sur le sujet des nouvelles techniques [5]. Son coordinateur est Rudolf Hielscher, ex-membre entre autres du comité de pilotage d’un rapport publié en octobre 2016 par le Forum européen sur le risque intitulé « Preuve scientifique et gestion du risque ». Dans ce comité de pilotage, étaient également représentées les entreprises Chevron, DuPont, Bayer et BASF. Ce rapport indiquait avoir identifié certains problèmes dans l’évaluation scientifique comme « l’exclusion des experts ayant des liens avec les entreprises […], l’utilisation inappropriée du principe de précaution […], l’influence indue de l’opinion publique sur la sélection et l’interprétation de preuves scientifiques… » et recommandait un encadrement formalisé de la collecte de données scientifiques utilisables par les agences et administrations européennes.

Mais surtout, parmi les cinq réseaux composant le SAPEA, celui d’EASAC retient l’attention. L’EASAC est le Conseil consultatif des Académies des sciences européennes. Il n’est pas inconnu dans le dossier des nouvelles techniques puisqu’il demande à l’Union européenne « de déclarer que les produits issus des nouvelles techniques, lorsqu’ils ne contiennent pas d’ADN étranger, ne [soient] pas soumis à la législation sur les OGM » et que l’Union européenne réglemente « les produits et/ou caractéristiques agricoles, pas la technologie », et ce depuis 2013 [6] [7] [8].

Côté Commission européenne, impossible de savoir qui a contribué à la rédaction de l’avis qui doit sortir sous peu. Seule certitude, « les noms des académiciens nommés par le SAPEA pour assister le SAM […] seront rendus publics lors de l’adoption de la note explicative », de même que leur déclaration d’intérêt nous précise-t-on.

Le rapport du SAM est donc attendu dans les jours qui viennent, avec à la clé une potentielle seconde étape pour « anticiper les développements à venir dans le secteur agricole ». Cette seconde étape pourrait être l’occasion, selon la Commission européenne, « de faire participer d’autres groupes d’experts pertinents pour explorer les problèmes sociaux liés, ce qui pourrait inclure les aspects de perception publique des biotechnologies agricoles et l’engagement public dans le développement des conseils scientifiques ».

Tout le monde pris de vitesse par le Conseil d’État français ?

En France, le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) va rendre avant l’été son second rapport sur les nouvelles techniques de modification génétique suite à une saisine gouvernementale d’avril 2016. Au niveau européen, le mécanisme de conseil scientifique de la Commission européenne va rendre à cette dernière son rapport avant fin mars 2017. Ces deux commanditaires, gouvernement français et Commission européenne, ont pourtant d’ores et déjà été sollicités dans le cadre de la procédure du Conseil d’État français auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne [9].

Alors, à quoi vont donc servir ces deux rapports, français et européen ? Difficile de répondre mais les questions posées par la Commission européenne au SAM pourraient bien suggérer qu’un travail de modification de la législation européenne sur les OGM – et notamment de la définition même d’un OGM – est envisagé…

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