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Canada – Occasion manquée d’étiqueter les OGM

Par Charlotte KRINKE

Publié le 28/12/2016

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Le gouvernement fédéral canadien a lancé depuis 2013 une procédure de modernisation du système d’étiquetage des aliments. Si deux consultations publiques ont déjà été organisées, le gouvernement a exclu l’information sur les aliments génétiquement modifiés (GM) de la réforme alors même qu’une grande majorité de la population souhaite leur étiquetage. Un paradoxe pour une réforme qui prétend répondre aux attentes des citoyens de plus en plus désireux de consommer des produits qui répondent à leurs attentes en matière de sécurité et de santé.

Les premiers OGM ont été commercialisés au Canada dans les années 1990. En 2015, le pays devenait le cinquième producteur mondial d’OGM, avec quatre plantes génétiquement modifiées (PGM) cultivées : le maïs, le colza (appelé localement canola), le soja, et la betterave à sucre [1].

Ces PGM sont utilisées principalement pour nourrir les animaux, mais aussi comme ingrédients dans les produits transformés. Autrement dit, dans les deux cas, elles aboutissent dans l’assiette des consommateurs. Selon Lucy Sharratt du réseau Canadian Biotechnology Action Network (CBAN), opposé aux OGM, plus de 75% des aliments transformés vendus au Canada contiendraient ainsi des ingrédients GM [2]. Pourtant, l’étiquetage des produits contenant des OGM n’est pas obligatoire au Canada.

Dans ce contexte, la modernisation du système d’étiquetage des aliments lancée en 2013 par le gouvernement fédéral apparaissait comme l’occasion d’instaurer un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM. Il n’en sera toutefois rien, le gouvernement ayant exclu de la réforme l’information sur les aliments GM. Les arguments mis en avant pour justifier cette exclusion paraissent toutefois peu convaincants face à la préoccupation exprimée de longue date par les citoyens vis-à-vis des OGM.

Un manque de volonté politique derrière une argumentation peu convaincante

Le maintien de l’absence d’obligation d’étiquetage est d’abord justifié par le gouvernement fédéral (à travers l’Agence canadienne d’inspection des aliments – ACIA) par le fait que l’étiquetage volontaire est autorisé avec ces deux mentions : «  Ne contient pas d’OGM » ou « Contient des OGM  ». Or, ne pas mettre en place un étiquetage obligatoire sous prétexte que l’étiquetage volontaire est autorisé révèle avant tout un manque de volonté politique et une confiance excessive dans le secteur privé pour se réguler lui-même dans un domaine où l’industrie alimentaire ne brille pas par sa transparence. Pour preuve, selon le réseau CBAN, aucune entreprise n’a jusqu’à présent indiqué que ses produits contenaient des OGM [3].

Le gouvernement fédéral soutient ensuite qu’il n’est pas nécessaire d’inclure l’étiquetage des aliments GM dans la réforme du système d’étiquetage des aliments parce que ces produits font déjà l’objet d’une procédure d’évaluation des risques avant de pouvoir être mis sur le marché. Celle-ci est menée par Santé Canada [4] et destinée à s’assurer qu’un aliment issu de la biotechnologie « est aussi sécuritaire et nutritif que les aliments déjà disponibles sur le marché au Canada » [5]. La procédure d’évaluation des risques comporte pourtant des failles : pour autoriser les aliments contenant ou issus d’OGM, Santé Canada s’appuie en effet sur les études fournies par les entreprises qui veulent voir leurs produits autorisés. Le fait que le public n’intervienne à aucun stade de la procédure est également critiqué. Par ailleurs, l’étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM aurait été une façon de donner aux citoyens la faculté d’exprimer, à travers leurs achats, l’opposition aux OGM qu’ils n’ont pas pu exprimer en amont de la procédure (ou des arguments non pris en compte comme l’éthique, les brevets, les monopoles industriels…).

Enfin, le gouvernement justifie l’exclusion des aliments GM de la modernisation du système d’étiquetage des aliments par le fait qu’ils sont déjà couverts par la réglementation générale relative à l’étiquetage. Actuellement, les denrées alimentaires doivent en effet comporter une étiquette lorsque surviennent des problèmes en matière de salubrité ou de santé à leur sujet qui peuvent être atténués par un étiquetage (par exemple si la valeur nutritive ou la composition ont changé ou si un allergène est présent). Cette disposition générale s’applique également aux produits GM. 

Mais soumettre les produits GM au droit commun en matière d’étiquetage revient à admettre que les aliments GM sont équivalents en substance aux aliments non GM, ce que contestent de nombreuses organisations de la société civile.

La position du gouvernement canadien se comprend toutefois au vu de l’approche générale retenue dans le cadre réglementaire relatif aux biotechnologies, adopté en 1993. Celui-ci pose le principe que plutôt que d’adopter des nouvelles lois, les produits issus des biotechnologies doivent être soumis à la réglementation applicable aux produits traditionnels. Le but était d’éviter la création d’une agence spécialisée et d’un cadre législatif spécifique applicable aux biotechnologies. Mais les citoyens n’en sont pas satisfaits pour autant…

Un étiquetage depuis longtemps souhaité par les citoyens

Les sondages réalisés sur ces vingt dernières années montrent une constance dans la volonté de la grande majorité des canadiens de voir instauré un étiquetage obligatoire des aliments GM [6]. Ainsi, en 1994, 95% des canadiens voulaient que figure sur l’étiquette la mention que l’aliment est génétiquement modifié. Une étude réalisée sur la demande de Santé Canada en juin 2016 montre que 78% des participants appuient l’étiquetage obligatoire des OGM dans les aliments et que 62% préféreraient acheter un aliment exempt d’OGM plutôt qu’un aliment qui en contient [7].

La méfiance des citoyens vis-à-vis des aliments GM s’est manifestée notamment à l’occasion d’une campagne lancée par l’association Vigilance OGM, exigeant l’étiquetage obligatoire des OGM dans la Province du Québec [8].

Pas étonnant dans ces conditions que lors de l’ouverture des consultations publiques sur la modernisation du système d’étiquetage des aliments, dont la troisième phase a été lancée le 1er décembre, de nombreux citoyens aient demandé au gouvernement la mise en place d’un étiquetage obligatoire des OGM. Ce n’est pas la première fois que le Canada passe à côté d’une occasion d’introduire un étiquetage obligatoire des OGM.

L’étiquetage obligatoire des OGM au Canada, véritable serpent de mer

La récurrence du sujet de l’étiquetage obligatoire des aliments GM dans les travaux parlementaires montre combien la classe politique est divisée sur ce point.

Plusieurs propositions de loi visant à instaurer un étiquetage obligatoire ont été introduites depuis les années 2000, toutes se soldant par un échec. Ainsi, en 2001 une proposition de loi du député libéral Charles Caccia a été rejetée par le Parlement. Le même sort est subi par une proposition de loi présentée en 2016 par le député Pierre-Luc Dusseault du Nouveau Parti Démocrate (NPD) visant à rendre obligatoire l’étiquetage des OGM au Canada. L’on croyait alors que le Canada serait le premier État du continent Nord américain à imposer un étiquetage obligatoire des OGM [9]. Entre temps, les États-Unis ont devancé le Canada [10]. Avec la mise à l’écart de l’étiquetage des OGM de l’initiative de modernisation du système d’étiquetage des aliments, les citoyens canadiens voient s’éloigner de nouveau la reconnaissance de leur droit de connaître le contenu des aliments qu’ils consomment.

[1Selon le Rapport du réseau Canadian Biotechnology Action Network de 2015, 100% des betteraves à sucre cultivées au Canada seraient génétiquement modifiées. Pour le canola, il s’agirait d’environ 95 %, pour le soja plus de 60% et pour le maïs-grain plus de 80%.

[2« Canada’s New Food Labels Won’t Include GMO Information », Epoch Times, Décembre 2016. Et dans « Genetically Modified Foods : a primer », CBC News, mai 2004, environ 60% des produits transformés au Canada contenaient des OGM.

[4Santé Canada est un ministère fédéral responsable, avec l’Agence canadienne d’inspection des aliments (Acia), des politiques relatives à l’étiquetage des aliments en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Santé Canada établit les règlements, les normes et les politiques encadrant la santé, la sécurité et la qualité nutritionnelle des aliments vendus au Canada. L’Acia est chargée de faire appliquer les règlements et politiques formulés par Santé Canada et d’assurer l’application des politiques non liées à la santé et à la sécurité.

[5Santé Canada, Aliments et nutrition, Les questions les plus demandées – Biotechnologie et aliments génétiquement modifiés.

[6Le Réseau Canadian Biotechnology Action Network recense sur son site Internet les sondages réalisés depuis 1994.

[7Report on Consumer views of genetically modified foods, The Strategic Council, Juin 2016. A propos de cette étude, voir : «  Les Canadiens veulent l’étiquetage des aliments OGM », La Presse, septembre 2016. Voir également : « Canadians anxious but ill-informed about genetically engineered food », CBC News, octobre 2016.

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