n°143 - janvier / février 2017Fiche technique / Etat des lieux

Limagrain : dans le collimateur de la Confédération paysanne

Par Frédéric PRAT

Publié le 15/12/2016, modifié le 05/12/2023

Partager

 

Le 11 novembre 2016, des militants du syndicat Confédération paysanne ont investi plusieurs jardineries pour coller des étiquettes mentionnant « OGM » ou « semences brevetées » sur des sachets de graines de la société Vilmorin, dont Limagrain est actionnaire majoritaire. Mais pourquoi le géant Limagrain, 4e semencier mondial, est-il devenu une nouvelle cible du syndicat paysan ?

 

Dans l’inconscient collectif, et parce que l’entreprise entretient soigneusement cette image, Limagrain n’est, selon son site Internet, qu’une « coopérative agricole créée et dirigée par des agriculteurs français ». Créée en 1965, c’est effectivement ce qu’elle était, avec 35 salariés et 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires. Mais en 50 ans, Limagrain est devenu « un groupe coopératif international », fort de 9600 salariés, 2,4 milliards de chiffre d’affaires et 80 millions d’euros de résultats nets. Et quatrième semencier mondial, derrière les nouveaux géants en cours de fusion ou de rachat : Monsanto/Bayer ; Dow/DuPont ; et Syngenta/ChemChina, qui à eux trois contrôleront plus de 60% du marché des semences [1], [2] et 75% de celui des pesticides.

1975 : avec Vilmorin, Limagrain décolle

Ce développement fulgurant est dû au départ à la mise au point, en 1970, d’un premier maïs hybride, le LG11 (LG pour Limagrain bien sûr), variété précoce adaptée au nord de la France. Fort de ce succès, Limagrain souhaite se diversifier en abordant le marché des semences potagères par l’acquisition, en 1975, du semencier Vilmorin (lui-même fondé en… 1743). Aujourd’hui, le capital de la société anonyme Vilmorin & Cie, 318 millions d’euros, est possédé à 74% par des sociétés du groupe Limagrain [3], et 26% en bourse (20% d’investisseurs institutionnels – dont près de 10% par la Caisse des dépôts – et 6% de particuliers) [4]. Forte de 6900 collaborateurs, son chiffre d’affaires a été de 1,627 milliard d’euros en 2015-2016, pour un résultat net de 61 millions d’euros.
Vilmorin est le quatrième semencier mondial, dans le maïs et le blé, et numéro deux dans les semences potagères. Il est organisé en trois branches : les semences grandes cultures (48% du chiffre d’affaires), les semences potagères (47 %) et les produits de jardin. Pour le maïs, c’est le troisième aux États-Unis et quatrième en Europe. Et le premier en Europe pour le blé.
Avec 225 millions investis en recherche développement (soit 14% du CA) en 2015-2016, Vilmorin mise à la fois sur la sélection végétale classique et sur les biotechnologies, tant en France qu’à l’étranger.

Petite coopérative est devenue grand groupe

Des OGM se cachent-ils dans nos jardineries ?
Des OGM se cachent-ils dans nos jardineries ?Crédits : Confédération paysanne

Mais Vilmorin n’est qu’une des entreprises du groupe international Limagrain. Celui-ci a en effet, tout au long de ces 50 années d’existence, racheté ou pris des parts dans de nombreuses entreprises dont il a souvent conservé les noms (voir encadré ci-dessous), et acquis les brevets et les ressources génétiques, notamment aux États-Unis dès 1979 avec le maïs et le blé.
Sur les OGM, pas d’état d’âme : pour Bruno Carette, directeur Activité Semences de Grandes Cultures de Limagrain, les biotechnologies « sont un vecteur fort de progrès comme dans les secteurs de la santé, de l’industrie et de la protection de l’environnement où leurs bénéfices sont déjà reconnus », affirmait-il ainsi récemment [5]. À signaler notamment l’acquisition, aux États-Unis, de Trio research, pour développer le blé hybride et OGM ; et en Argentine de Don Mario pour le maïs… En 2014 et 2015, Limagrain a conclu des accords de licence avec Syngenta l’autorisant à utiliser, commercialement et de manière indépendante, les traits OGM de maïs actuels et futurs, développés et commercialisés par Syngenta. Le rachat en cours de Syngenta par ChemChina ouvre donc à Limagrain le marché chinois des OGM.
Limagrain possède ses propres centres de recherche, comme celui de Chappes (Puy-de-Dôme) implanté en 2012, pour les grandes cultures ; ainsi que ses propres laboratoires de biotechnologies (comme Biosem créé en 1986 à Clermont-Ferrand)… Ses implantations récentes ont eu lieu en Inde, Brésil, Afrique, Asie du Sud-Est, mais aussi en Chine, avec Hengji Limagrain Seeds Co Ltd., joint-venture entre Limagrain et la société chinoise Anhui Hengji Seed, dans le but de créer de nouvelles variétés, notamment de maïs, adaptées au marché chinois.
Dernier rapprochement en octobre 2016 : l’achat de parts, avec Michelin, d’une startup clermontoise d’objets connectés, Exotic Systems. « Il y a une forte attente dans le domaine agricole, qui est de plus en plus connecté », a souligné Sébastien Vidal, administrateur de Limagrain, à notre confrère L’Usine nouvelle.

Limagrain : une coopérative aux milles visages

 

Avec une logique de filière intégrée, « de la semence à l’assiette », le « groupe Limagrain » est ainsi divisé en six branches d’activités. Le chiffre d’affaire (CA, en million d’euros – M€) 2015 est cité entre parenthèse.

- Limagrain Coop (production, avec les sociétés AgReliant, AGT, Genective, Seed Co et Soltis) (CA 215 M€) ;

- semences grandes cultures (5e mondial, avec Limagrain Europe, AgReliant Genetics, Limagrain Asia, Limagrain Cereal Seeds, Limagrain South America, Limagrain Africa)(CA : 1212 M€) ;

- semences potagères (2e mondial avec HM. Clause, Hazera, Vilmorin, Mikado Kyowa Seed)(CA : 615 M€) ;

- produits de jardin (Vilmorin, Clause)(CA 58 M€) ;

- Ingrédients céréaliers (Limagrain Céréales Ingrédients) (CA : 103 M€) ;

- et boulangerie pâtisserie (Jacquet et Brossard) (CA : 308 M€).
source : http://www.limagrain.com

OGM, brevets et lobbying

Pour Jean-Yves Foucault, président de Limagrain « les OGM sont une des solutions existantes permettant aux agriculteurs de mieux répondre aux grands enjeux agricoles : produire plus avec moins de ressources dans un contexte de changement climatique » [6]. Or, qui dit OGM, ou même OGM cachés (issus de mutagénèse ou des nouvelles techniques), dit brevet, ce que confirme Bruno Carette, interrogé par La Montagne : « En termes de protection des droits des créateurs de nouvelles variétés, il faut conserver le bon vieux certificat d’obtention végétale, un outil indispensable pour maintenir la libre utilisation des ressources génétiques, tout en ouvrant la porte à des brevets uniquement pour des innovations biotechnologiques » [7]. Or, de traces de ces brevets sur les étiquettes des sachets de semences vendus dans les jardineries, il n’en est pas question dans la loi : le jardinier, comme le paysan, reste donc dans l’ignorance.
Et comme tout grand groupe industriel, Limagrain influence la législation en construction via ses actions de lobbying à l’Assemblée nationale [8] et à Bruxelles, mais aussi avec « ses cadres ou anciens cadres à tous les postes clefs des lieux de décision des politiques publiques concernant les semences : GNIS (interprofession semencière), Union Française des Semenciers, SOC (service officiel de contrôle des semences), GEVES (contrôle public de l’enregistrement au catalogue des semences et de l’octroi de Certificats d’Obtention Végétale), CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection), pôles de compétitivité agronomique… sans oublier pas moins de trois représentants au Comité Économique, Éthique et Social du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) » [9].
C’est pour toutes ces raisons que la Confédération paysanne, avec l’aide des faucheurs volontaires, a décidé de s’attaquer à Limagrain, qu’elle nomme le « Monsanto français », pour dénoncer à la fois le gigantisme de cette coopérative mais aussi la privatisation du vivant via les brevets et ses recherches en amélioration variétale via les manipulations génétiques. Après l’occupation du centre de Chappes en 2014, de Vilmorin à Portes les Valence (Drôme) en mai 2016 [10], les militants ont investi, le 11 novembre 2016, des jardineries pour étiqueter les semences de Clause et Vilmorin [11].

[130% pour Monsanto/Bayer, 23% Dow et DuPont et 8% pour Syngenta/ChemChina, voir : http://www.laizquierdadiario.com/Finalmente-Bayer-compra-Monsanto-el-agronegocio-aun-mas-concentrado

[2Pour donner un ordre de grandeur, le budget Recherche/développement de Monsanto/Bayer sera de 2,6 milliards d’euros, légèrement supérieur à celui de la recherche menée au Ministère de l’Agriculture des États-Unis (mais trois fois plus que celui de l’Inra en France – près de 900 millions d’euros), voir : http://www.vox.com/2016/9/20/12988616/bayer-monsanto-dupont-dow-agriculture-mergers-innovation et https://www.france-science.org/Le-budget-Recherche-et,8462.html

[3Ces 74% (en arrondis), sont divisés en : 63% de Groupe Limagrain Holding (GLH, société anonyme détenue majoritairement par la Société coopérative agricole Limagrain. GLH a ouvert ses parts à la Banque publique d’investissements (BPI) France (8% du capital), le groupe Crédit agricole et Unigrains) ; 6% Limagrain et 5% Selia (graines, semences et produits de jardin), voir : http://www.vilmorin.info/vilmorin/CMS/Files/DDR/2016/VILMORIN_DDR2015-2016_COMPLET11.pdf en p.67

Actualités
Faq
A lire également