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Royaume-Uni : bye-bye EU, bienvenue aux OGM ?

Par Charlotte KRINKE

Publié le 02/02/2017

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Les négociations pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit) n’ont pas encore débuté que déjà est évoquée une modification de la législation relative aux OGM, destinée à favoriser leur culture dans le pays. Plus récemment, nous apprenons que le Royaume-Uni envisage de signer un accord de libre échange avec les États-Unis. Une autre porte d’entrée des OGM chez nos voisins…

Dans une réponse écrite à la Chambre des communes datée du 21 octobre, le ministre de l’Agriculture conservateur, George Eustice, a affirmé que, dans le cadre des préparations pour quitter l’UE, son gouvernement envisageait de modifier la législation sur les OGM. Il ajoutait que la position générale du gouvernement restait inchangée : la politique et la législation en ce domaine doivent être fondées sur la science et être proportionnées [1].

Les OGM ou le commerce inter États membres ?

Les propos du ministre de l’Agriculture ne sont pas véritablement une surprise compte tenu de la position passée du Royaume-Uni face aux OGM. Traditionnellement, en effet, le Royaume-Uni est l’un des États membres de l’Union européenne favorables aux OGM. Ainsi par exemple, en 2014, le ministre de l’Environnement, Owen Paterson, affirmait, lors d’une conférence aux agriculteurs à Oxford, que l’Europe risquait de devenir le « musée de l’agriculture mondiale » pendant que des entreprises innovantes développent des nouvelles technologies dans d’autres marchés. L’Europe serait dépassée par le reste du monde si elle n’ouvrait pas grande ouverte sa porte aux OGM [2]. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que, lors des Comités ou au Conseil des ministres, le Royaume-Uni vote favorablement aux propositions d’autorisations de culture d’OGM faites par la Commission européenne. Et il n’est pas non plus difficile de comprendre pourquoi le gouvernement du Royaume-Uni était favorable à l’adoption de la directive 2015/412, laquelle permet aux États membres de demander à ce que tout ou partie de son territoire soit exclu de la portée géographique de l’autorisation [3].

La déclaration du ministre de l’Agriculture sous-entend qu’une fois hors de l’Union européenne, le pays pourrait enfin développer la culture des OGM sur son territoire à sa guise. Mais surtout, elle reflète l’exaspération du Royaume-Uni par rapport à l’opposition majoritaire des autres États membres de l’Union européenne aux OGM et comporte en creux une critique envers la réglementation de l’Union en matière d’autorisation des OGM, laquelle reposerait davantage sur des critères politiques et idéologiques que sur la science.

Par cette dernière affirmation, le ministre reprend à son compte une critique récurrente de l’industrie à l’endroit du principe de précaution sur laquelle repose la réglementation de l’Union européenne en matière d’autorisation des OGM. Ce principe, qui concerne les risques environnementaux incertains, veut que l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement.

Remettre en cause le principe de précaution ?

En mettant en place des procédures d’évaluation et d’autorisation préalables, la réglementation de l’UE en matière d’autorisation reconnaît que les OGM ne sont pas des marchandises comme les autres [4]. Mais contrairement à ce que semble affirmer le ministre de l’Agriculture du Royaume-Uni, s’il est difficile de faire abstraction des aspects politiques, la science est quant à elle loin d’être absente de ces procédures. Le recours au principe de précaution ne peut en effet se justifier par des critères purement idéologiques, il doit toujours s’accompagner, notamment, d’une évaluation scientifique aussi complète que possible. Des évaluations scientifiques parsèment d’ailleurs presque chaque étape de l’autorisation d’un OGM – pour la culture ou pour la mise sur le marché [5] : le dossier du pétitionnaire doit comporter un certain nombre d’études « scientifiques », l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA /EFSA) émet un avis scientifique, et une fois l’autorisation accordée, l’apparition des risques anticipés et non anticipés lors de l’évaluation avant autorisation une fois l’autorisation accordée est surveillée… L’UE impose ainsi d’une évaluation des risques des plus abouties dans le monde, et révise régulièrement ses exigences pour suivre les évolutions scientifiques. Si le ministre de l’Agriculture ne peut pas reprocher à la réglementation de l’Union européenne de ne pas reposer sur la science, il lui reproche peut-être tout simplement d’admettre la spécificité des OGM par rapports aux autres produits.

Mais les choses risquent de ne pas être si aisées. Les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’ont officiellement pas encore été engagées : le recours à l’article 50 du Traité sur l’Union européenne marquera le point de départ des négociations, et le Parlement du Royaume-Uni doit également voter formellement cette sortie de l’UE. Pour l’association GM Freeze, interrogée par Inf’OGM, la déclaration du ministre est tombée comme un cheveu sur la soupe, même si le soutien du gouvernement actuel aux OGM ne lui était pas inconnu. Selon Raoul Bhambral, coordinateur de l’association, « le gouvernement britannique attache une très grande importance à la propriété intellectuelle en tant qu’outil de croissance économique, et les plantes génétiquement modifiées sont plus aisément brevetables que les autres plantes agricoles. […] Pour autant, la déclaration ne doit pas être vue comme une politique pleinement aboutie. Il s’agit d’une réponse à une question parlementaire plus qu’une proposition d’action concrète ». Par ailleurs, compte tenu des conséquences d’une législation favorable à la culture des OGM au Royaume-Uni sur les relations commerciales avec les États membres de l’Union européenne, il n’est pas certain que la déclaration soit effectivement suivie d’effets. Comme le relève Clare Oxborrow, responsable de la campagne agriculture aux Amis de la Terre au Royaume-Uni, « les ministres connaissent l’importance du marché européen pour les agriculteurs britanniques, de telle sorte que tout changement dans la législation destiné à autoriser la culture d’OGM au Royaume-Uni serait un objectif dévastateur » [6].

Accord de libre-échange avec les États-Unis : une porte d’entrée des OGM


Même si la déclaration du ministre sur la révision de la législation relative aux OGM n’est pas suivie d’effets, les OGM pourraient entrer d’une autre façon au Royaume-Uni s’il quitte l’Union européenne : via un accord de libre-échange conclu avec les États-Unis.

La conclusion d’un accord commercial entre les deux États était l’un des sujets de discussion lors de la rencontre entre le Président des États-Unis Donald J. Trump et le Premier ministre Theresa May le 27 janvier 2017. Et ce futur accord soulève autant, sinon plus, de questions que le Traité de libre-échange transatlantique au regard de l’importation des OGM et de l’abaissement des standards en matière de sécurité alimentaire – puisque le Royaume-Uni ne sera plus soumis à la législation de l’UE en la matière. Ces questions se posent d’autant plus depuis que l’économiste en chef de l’American Farm Bureau Federation (une organisation non gouvernementale composée et représentant les intérêts des agriculteurs) a affirmé que le Royaume-Uni devrait, dans le cadre du futur accord avec les États-Unis, lever un certain nombre de restrictions sur les importations en provenance des États-Unis, notamment sur les denrées alimentaires GM non étiquetées [7]. Cette affirmation n’a pas provoqué d’émoi chez le syndicat national des agriculteurs du Royaume-Uni (National Farmers Union), au contraire… Selon son directeur stratégique, Martin Haworth, si ces produits peuvent être importés au Royaume-Uni, alors les agriculteurs britanniques devraient être autorisés à utiliser les mêmes techniques de production, afin de créer des conditions de concurrence équitables. Certes, il ne s’agit là que de propos de personnes privées qui n’engagent pas le gouvernement du Royaume-Uni. Mais, selon le journal The Guardian, la réponse évasive de Mme May sur le fait de savoir si elle dirait au Président Trump qu’elle n’abaisserait pas les standards de sécurité alimentaire montre qu’elle pourrait considérer le renoncement aux règles de sécurité alimentaire comme le prix à payer pour obtenir un accord avec les États-Unis [8].

[1Le ministre de l’Agriculture répondait ainsi à la question posée le 13 octobre 2016 par le député conservateur Grant Shapps, dans laquelle il interrogeait la Secrétaire d’État pour l’Environnement, l’Alimentation et les Affaires Rurales sur le fait de savoir si ce ministère envisageait de modifier sa position en matière d’utilisation des OGM dans l’agriculture quand le Royaume-Uni quitterait l’Union européenne. Pour lire la question et la réponse, en anglais, voir : http://www.parliament.uk/business/publications/written-questions-answers-statements/written-question/Commons/2016-10-13/48641/

[2« Owen Paterson : Embrace GM or risk becoming ’museum of world farming’  », The Guardian, janvier 2014. Des collusions entre le gouvernement et l’industrie des OGM ont par ailleurs été exposées et dénoncées par des associations telles que GeneWatch UK. Sur ce sujet, voir GeneWatch UK PR : UK Government and GM industry collusion exposed, http://www.genewatch.org/article.shtml?als[cid]=568547&als[itemid]=574495

[4Parce qu’elle repose sur les procédures d’évaluation et d’autorisation préalables, la réglementation de l’UE repose davantage sur le principe de prévention – dont les procédures précitées sont des traductions classiques.

[6Citée dans « British farmers could grow GM crops after Brexit, reveals minister  », The Telegraph, octobre 2016.

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