n°142 - novembre / décembre 2016

Aide au Vanuatu : altruisme ou cadeaux empoisonnés ?

Par Frédéric GUERIN, Claire CHAUVET

Publié le 14/12/2016

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Les catastrophes naturelles drainent une importante mobilisation d’organisations internationales à travers des actions humanitaires d’urgence qui peuvent, volontairement ou non, compromettre sur le long terme l’équilibre agricole et alimentaire, à travers des « cadeaux empoisonnés ». Illustration par l’exemple avec le cas du cyclone Pam au Vanuatu en mars 2015.

Le Vanuatu est un archipel de 81 îles, situé dans l’océan Pacifique au nord-est de la Nouvelle-Calédonie. Plus de 80% de la population vit d’une agriculture traditionnelle de subsistance. Celle-ci a été fortement touchée lors du cyclone Pam de catégorie cinq avec des vents de plus de 300 km/h, faisant onze morts et des dégâts considérables. La cellule de crise post-cyclonique gérée par l’organisme d’état National Disaster Management Office (NDMO) instaure une délégation partielle de la réponse humanitaire du gouvernement aux ONG et agences internationales, organisées en cellules de crise thématiques (eau, santé, agriculture, etc.) et draine toutes les bonnes volontés prêtes à mettre leur aide à contribution… pour le meilleur comme pour le pire.

Un besoin « urgent » de semences

Une semaine à peine après le cyclone, la chambre d’agriculture de Nouvelle-Calédonie lance, à grand renfort de médias, un appel aux secours du côté de l’approvisionnement en semences. Son chargé de mission « coopération régionale », François Japiot (également conseiller auprès du ministre de l’Agriculture du Vanuatu, et responsable pendant sept ans du Vanuatu Organics Ltd), annonce que les habitants de l’Ile « ont à peine une semaine de nourriture devant eux ». La Nouvelle-Calédonie débloque ainsi 100 000 euros pour acheter « une tonne » de semences. Conseillés par ce même chargé de mission, assisté de la FAO, les services de biosécurité du Vanuatu definissent très vite le type et la provenance des semences : uniquement des semences commerciales, dont la liste officielle inclut des marques de Monsanto ou Syngenta et l’Université de Hawaii… impossible donc d’envoyer de Nouvelle-Calédonie les graines paysannes reproductibles généreusement collectées dans les jardins mélanésiens, qui, en vertu de ces lois, sont interdites car considérées comme moins sûres que celles importées. Stop OGM Pacifique avait collecté environ 15 kg de semences : « Nous savions la difficulté de faire passer ces semences à la biosécurité, les avons apportées avec nous, elles ont été « arrêtées » à l’aéroport, stockées et finalement détruites ».

Craignant un « Haïti-bis » (voir encadré p.16), Stop OGM Pacifique demande, soutenu par des organisations paysannes locales (Slow Food Vanuatu, Pifon, etc.), de la transparence sur les semences envoyées par la chambre d’agriculture. OGM ou hybrides, l’introduction de semences non-reproductibles, inadaptées aux conditions locales et nécessitant l’utilisation de produits chimiques, se justifie-t-elle par l’urgence alimentaire… surtout dans des états insulaires, comme le Vanuatu, qui ne possèdent pas de réglementation sur les OGM ?

Cadeau empoisonné… à qui profite-t-il ?

Sans réponse à ses questions, une délégation de Stop OGM Pacifique se rend au Vanuatu et parvient à obtenir une accréditation du NDMO ainsi qu’un feu vert du Gouvernement pour contrôler les semences importées. Le constat est alarmant : il s’agit de semences hybrides françaises, australiennes et asiatiques – dont des semences de papayes de Taïwan, pays connu pour être contaminé par les papayes GM (alors qu’il est avéré que les papayers se ressèment naturellement après les cyclones par dispersion des graines). Encore plus choquant, la « tonne » de semences annoncée fait 300 kg sans les emballages… les grands gagnants restent donc les revendeurs (comme Coopagri) en Nouvelle-Calédonie et les compagnies semencières à qui vont les bénéfices. Concrètement, ces derniers ont au final gagné 100 000 euros versés par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour l’achat des semences… Les ni-Vanuatu quant à eux, constateront avec relativisme quelques mois plus tard que les plants issus de ces semences hybrides (finalement) plantées ont été mangés par une chenille qui, faute de traitement adapté, a tout ravagé.

Les alertes lancées par Stop OGM Pacifique ont créé un mini-scandale régional, avec une bataille rangée contre l’association, menée par la chambre d’agriculture et relayée par France-TV : Stop OGM Pacifique se voit accusée « d’ingérence » et « persona non grata au Vanuatu », sans possibilité de démenti. Quels intérêts ont-ils bien pu être autant dérangés ?

Le gouvernement du Vanuatu s’entoure de conseillers issus des milieux agronomiques occidentaux. Par les programmes de coopération, le Vanuatu reçoit de nombreuses aides financières dans le domaine agricole de la Nouvelle-Calédonie et de la France, toutes soumises à validation du Haut-Commissariat de la Nouvelle-Calédonie, de l’ambassade de France au Vanuatu et de l’Agence française de développement (AFD). Difficile dans ces conditions de refuser une aide même inutile, voir dangereuse, sans briser ce délicat équilibre de dépendance financière.

Plus récemment, c’est la coopération agricole australienne (ACIAR), soutenue par la Communauté du Pacifique (CPS), qui fournit des semences. La CPS, qui réunit une vingtaine d’états membres de la région, dont la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les états-Unis sont membres associés et financeurs, est connue pour ses positions pro-OGM. Aussi, face à la récurrence des catastrophes naturelles dans la région, et la mainmise des programmes tels que la Climate Smart Agriculture qui prône l’utilisation de semences « adaptées » au changement climatique, une lettre ouverte adressée aux ministères des Affaires étrangères australiens et néo-zélandais a été signée par une vingtaine d’ONG du Pacifique et envoyée début 2016. Elle demande le maintien de la richesse des semences du Pacifique et la mise en place de banques de semences reproductibles permettant d’augmenter durablement la résilience des populations face aux aléas climatiques… et l’arrêt de l’envoi de semences hybrides et GM en cas de catastrophe, un néo-colonialisme déguisé en aide humanitaire au profit des lobbies de l’agrochimie pour conquérir de nouveaux marchés. Cette lettre est restée jusqu’à présent sans réponse.

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