Le Ceta contient un mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs. Établi par les articles 8.18 et suivants de l’accord, le Tribunal peut être saisi par un investisseur d’une Partie - Canada, États membres de l’UE ou Union européenne - d’une plainte contre des mesures prises par un État ou l’Union européenne qu’il estime être contraires aux obligations découlant du Ceta. Il pourra également demander réparation s’il estime avoir subi des dommages du fait de ces mesures.
Le monopole des juridictions de l’UE remis en cause
Composé de juges issus du Canada, des États membres de l’Union européenne et d’États tiers, ce Tribunal pose problème au regard du droit de l’Union européenne. Ce dernier prévoit en effet que les juridictions de l’Union européenne (Cour de justice, Tribunal et tribunaux spécialisés) assurent le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités [3]. Pourtant, en se basant sur le Ceta, un investisseur pourrait contester devant le Tribunal une mesure prise au niveau de l’Union européenne, par exemple celle exigeant l’étiquetage des produits contenant plus de 0,9% d’OGM [4]. Il pourrait arguer que cette obligation d’étiquetage constitue un obstacle au commerce contraire au Ceta. Les juges du Tribunal seront alors amenés à apprécier si le Règlement de l’UE posant l’obligation d’étiquetage est contraire au regard des obligations découlant du Ceta. S’il est vrai que les juges ne pourront pas ordonner le retrait de la mesure contestée, il n’en reste pas moins qu’en vertu du droit de l’Union européenne, seule la Cour de justice peut se prononcer sur la validité d’un acte de l’Union et ce afin de garantir l’application effective et uniforme du droit de l’Union.
Cette incompatibilité entre le Ceta et le droit de l’UE, également relevée par ClientEarth et Foodwatch [5], est l’une des raisons pour laquelle des députés français ont déposé une proposition de résolution européenne pour que la France s’oppose à toute application provisoire du Ceta et s’assure de sa compatibilité avec les traités de l’Union européenne [6]. Dans leur proposition de résolution, les députés demandent également au gouvernement français de saisir la Cour de justice sur la compatibilité du Ceta avec les Traités européens [7].
Le principe de précaution, à valeur constitutionnelle, n’est pas garanti par le Ceta
Malgré les multiples déclarations de Mme Cecilia Malmström, Commissaire européenne chargée du Commerce, destinées à rassurer les citoyens européens sur la prise en compte du principe de précaution dans l’accord de libre échange négocié avec le Canada, il faut se rendre à l’évidence : le principe de précaution n’est pas directement mentionné dans le Ceta.
L’absence du principe de précaution dans le Ceta mais également dans le traité commercial en négociations avec les États-Unis (TTIP), a été relevée par l’ONG Foodwatch, qui craint que le principe soit remis en cause du fait de ces accords de libre-échange [8].
Consacré au niveau de l’Union européenne [9], le principe de précaution a valeur constitutionnelle en France depuis 2005. Dans le domaine de la santé, de l’environnement ou de l’alimentation, ce principe permet de prendre des mesures visant à protéger les populations ou l’environnement, en interdisant par exemple l’importation d’OGM ou de produits en contenant, même en l’absence de certitude scientifique quant à l’existence du risque [10].
Pour rappel, la réglementation de l’Union européenne relative aux OGM est fondée sur le principe de précaution. Et en France, le gouvernement a invoqué ce principe pour justifier l’interdiction de la commercialisation, l’utilisation et la culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON810).
Si le Ceta ne comporte pas de référence explicite au principe de précaution, c’est qu’il prend pour référence les règles issues de l’Organisation Mondiale du Commerce. Ces dernières ne reconnaissent pas en tant que tel le principe de précaution. Elles prévoient certes qu’en l’absence de preuves scientifiques pertinentes suffisantes, un État peut adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires restrictives au commerce. Mais ces mesures ne peuvent être que temporaires et doivent dans tous les cas être suivies d’efforts en vue d’obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et d’un examen en conséquence de la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable [11].
Selon l’ONG Foodwatch, compte tenu de la probable inconstitutionnalité du Ceta, il est inconcevable que le Ceta fasse l’objet d’une entrée en vigueur provisoire et urgent que le Conseil constitutionnel soit saisi de la conformité du Ceta à la Constitution [12].