Actualités

La loi biodiversité limite l’extension des brevets sur le vivant

Par Frédéric PRAT

Publié le 01/06/2016

Partager

Le « projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », a été adopté en deuxième lecture par le Sénat le 12 mai 2016 [1]. Mais il n’a pas fini son parcours pour autant, certains articles, suite aux désaccords persistants entre le Sénat et l’Assemblée nationale, devaient encore passer en commission mixte paritaire le 25 mai. Suite à de nouveaux désaccords, le texte est reparti pour une troisième lecture dans les deux assemblées. Objectif : le finaliser avant la fin de la session parlementaire de juillet. Un point acquis cependant : la non brevetabilité effective des plantes et des animaux obtenus par des procédés classiques de sélection dits « essentiellement biologiques ».

Dernière ligne droite pour ce vaste projet de loi sur la biodiversité, mis en chantier en 2013 [2], et dont le Sénat vient de terminer la seconde lecture. Pour beaucoup de sénateurs/trices, la déception est grande et pas seulement sur les bancs écologistes : recul en particulier sur la taxation de l’huile de palme, sur les pesticides néonicotinoïdes (le Sénat s’est prononcé pour une diminution progressive de ces derniers, mais sans fixer de date limite comme le souhaitaient le gouvernement et les députés…), disparition des dispositions sur la bio-piraterie…

Seul consensus trans courants politiques : la reconnaissance, enfin, du préjudice écologique, que le sénateur vendéen Bruno Rétailleau (Les Républicains), cherchait à inscrire dans le Code civil depuis plusieurs années, notamment suite à la catastrophe de l’Erika en 1999. Pour le reste «  l’esprit de compromis qui avait prévalu en première lecture ne s’est pas retrouvé lors de cette deuxième lecture et les lobbys de la chimie, de l’agro-industrie, de la chasse et du béton ont pesé de tout leur poids pour freiner toute reconquête de la protection de la biodiversité », a déclaré le sénateur écolo Ronan Dantec [3].

Limiter l’extension des brevets sur le vivant

La législation actuelle européenne permet de breveter une large partie du vivant, que ce soit via le brevetage de procédés techniques (comme par exemple les nouvelles techniques de modification du vivant [4]) et des produits qui en sont issus ; ou pire, via le brevetage de matières biologiques (information génétique, cellules…) y compris si ces éléments existent déjà naturellement… ce qui a pour conséquence de privatiser, de facto, de nombreuses plantes utilisées couramment par des paysans ou même des semenciers (cas par exemple de la laitue du semencier Gautier [5]).

Pour faire bouger cette législation européenne, on peut avancer via les législations nationales : c’est ainsi que les Pays-Bas, l’Allemagne – c’est à dire deux des trois principaux pays semenciers de l’Union européenne, la France étant le troisième – ont interdit la brevetabilité des produits issus de procédés essentiellement biologiques, donc de plantes ou d’animaux entiers.

Mais cette interdiction s’arrête à la moitié du chemin. En effet, puisqu’on peut breveter un élément de ces plantes ou de ces animaux (gènes, matière biologique…) doué d’une propriété particulière, ou même une simple « information génétique » (marqueurs génétiques ou moléculaires…) liée à une fonction particulière (résistance à un pathogène…), alors toute plante ou animal contenant ces éléments ou informations brevetées et exprimant les caractères ou fonction associés est dès lors sujet à autorisation du détenteur du brevet pour être utilisé. Il suffit alors de réécrire le brevet, de ne plus revendiquer la plante ou l’animal entier qui contient tel élément ou information génétique et de ne revendiquer que les mêmes élément ou information génétique pour que la plante ou l’animal qui les contient se retrouvent couverts par la protection du brevet, même s’ils ne sont pas eux-mêmes brevetables. Vous avez dit « pervers » ? Oui, le droit actuel du brevet sur le vivant est particulièrement pervers.

C’est pourquoi le Sénat avait, lors de sa première lecture, défendu l’article 4bis, maintenu non sans mal en seconde lecture à l’Assemblée nationale, qui en avait cependant proposé une nouvelle rédaction [6]. Cet article introduit un alinéa dans l’article L. 611-19 du Code de la propriété intellectuelle stipulant que ne sont pas brevetables « les produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques (…), y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent ». Cette version, que vient d’adopter aussi le Sénat, est donc définitivement acquise.

Par contre, les articles 4 ter et quater auraient dû passer en commission mixte paritaire. Le Sénat a en effet rétabli l’article 4 ter que l’Assemblée nationale avait supprimé, limitant l’extension de la protection des brevets à des parties de plantes cultivées ou d’animaux d’élevage déjà existants [7]. Et dans l’article 4 quater, le Sénat autorise « la cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit, de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d’espèces cultivées à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété ». Le collectif Semons la biodiversité, dans son communiqué de presse [8], s’en réjouit, mais regrette qu’il ne dise « rien quant à la possibilité de les commercialiser ! » (article 4 quater).

Les désaccords de la commission mixte paritaire du 25 mai ont cependant renvoyé ce texte pour une troisième lecture dans les deux assemblées : du 21 au 23 juin pour l’Assemblée nationale, puis vraisemblablement début juillet pour le Sénat, avec l’objectif de voter cette loi avant la fin de la session parlementaire de juillet (la procédure veut que les députés aient le dernier mot). Sur cette échéance, Barbara Pompili, secrétaire d’État à la biodiversité qui suit ce texte pour le gouvernement, n’est « pas certaine que le calendrier le permettra«  [9].

[1Voir le texte adopté par le Sénat : http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2015-2016/578.html

[3Afp, 13/05/2016

[7L’article L. 613-2-3 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées ne s’étend pas aux matières biologiques dotées de ces propriétés déterminées, obtenues indépendamment de la matière biologique brevetée et par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication. »

[8Collectif Semons la Biodiversité, « Sénat : un bilan mitigé pour la biodiversité cultivée », 13 mai 2016.

Actualités
Faq
A lire également