Actualités

Brevets sur les plantes et animaux : une campagne d’opposition européenne

Par Frédéric PRAT

Publié le 24/05/2016

Partager

Une coalition d’associations européennes vient de lancer une procédure d’opposition de masse contre le nouveau brevet octroyé à Syngenta sur une tomate obtenue par des croisements classiques. Elles espèrent beaucoup de cette mobilisation citoyenne pour interdire les brevets sur le vivant.

Le 12 août 2015, l’Office européen des brevets (OEB) a octroyé à Syngenta un brevet (EP 1515600 B1) sur une tomate non transgénique qui exprime une teneur élevée en flavonols – anti-oxydants censés réduire par exemple les risques de maladies cardio-vasculaires – dans la chair et dans la pelure de la tomate. Ce brevet concerne les plants cultivés, les graines et les fruits de ces plants. La description du brevet [1] (voir encadré ci-dessous) montre que le plant de tomate domestiqué peut être obtenu par introgression de caractères génétiques à partir de plants sauvages, c’est-à-dire par simples croisements successifs. En d’autres termes, rien que de la sélection classique (croisement), aucune transgenèse ni autre manipulation génétique.

Changer la réglementation européenne

La directive européenne 98/44 sur les « inventions biotechnologiques », reprise dans le règlement d’exécution de l’OEB, énonce (article 4) que « 1. Ne sont pas brevetables : a) les variétés végétales et les races animales ; et b) les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention de végétaux ou d’animaux ». Ici, ce n’est donc pas le procédé – essentiellement biologique – qui est breveté étant donné que – répétons-le – les plants ont été obtenus par simple croisement, mais le produit qui en est issu ; et ce produit n’est pas une variété particulière mais tous les plants de tomates non transgéniques qui expriment des flavonols avec une certaine teneur, quelle que soit la variété à laquelle ils appartiennent. Et à ce titre donc, ce produit peut être brevetable.

Cette subtilité a déjà permis aux entreprises semencières d’obtenir de nombreux brevets sur des plantes issues de procédés essentiellement biologiques (PEB). Mais une forte opposition contre cette pratique a déjà conduit l’Allemagne et les Pays-Bas à interdire dans leurs lois nationales la brevetabilité des produits obtenus exclusivement par des procédés essentiellement biologiques d’obtention des végétaux et des animaux. Et la France est en passe de faire de même, ce que confirmera (ou non) le passage en deuxième lecture au Sénat (à partir du 10 mai) de la loi sur la reconquête de la biodiversité [2].

L’intérêt que des pays membres adoptent des lois plus restrictives que la réglementation européenne est double : tout d’abord, et même si une loi nationale peut annuler uniquement un brevet national et non un brevet européen, c’est leur loi nationale qui s’impose, à l’intérieur de ces pays, pour l’application des revendications du titulaire d’un brevet européen tout autant que national. Concrètement, on peut donc contester, devant les juridictions nationales de ces pays, l’obligation de payer un droit de licence sur un brevet portant sur un produit issu d’un PEB ; ensuite, cela renforce l’idée de la nécessité d’une révision de cette réglementation européenne, en en montrant la voie.

Il est cependant illusoire de laisser entendre que ces lois allemandes et néerlandaises peuvent, telles qu’elles sont rédigées, annuler tous les brevets. Il suffit en effet que ceux-ci ne revendiquent plus la protection de la plante entière, qui est le seul produit pouvant être issu d’un procédé essentiellement biologique, mais uniquement celle du trait génétique (ici la teneur en flavonol), pour que ces lois ne puissent pas s’y opposer, alors même que la protection d’un tel brevet sur un seul caractère génétique s’étendra à toutes les plantes (ici les plants de tomates) qui en sont dotées.

Pour les associations européennes luttant contre la brevetabilité du vivant, la coupe est pleine. Et comme l’octroi d’un brevet par l’OEB s’accompagne toujours de la possibilité d’un recours pendant neuf mois suivant la date de cet octroi, elles ont décidé, sous l’égide de la coalition No Patents on Seeds [3], de se mobiliser, et de mobiliser dans leur sillage l’ensemble des citoyens qui le souhaitent, pour contester plus particulièrement ce brevet, et se servir de cet exemple comme levier pour mettre les politiques face à leurs responsabilités et demander « une modification immédiate du Règlement d’exécution de la Convention sur le Brevet Européen et (…) [le] droit européen des brevets pour enfin exclure de la brevetabilité tous les procédés de sélection et le matériel de sélection, les plantes, les animaux, les traits natifs, les séquences génétiques ainsi que la nourriture qui en est issue » [4] [5].

La campagne a été lancée le 20 avril et durera jusqu’au 2 mai. Ses résultats seront présentés aux délégués du comité « droit des brevets » qui se réuniront le 12 mai à l’OEB.

24 mai 2016 : La pétition a recueilli 65000 signatures provenant de 30 pays (et finalement 800 000 au 29 juin), Elles seront remises le 29 juin, lors du prochain Conseil d’Administration de l’OEB. Interrogé par Inf’OGM, Laurent Gaberell, de la Déclaration de Berne, nous informe qu’une « décision de l’EPO n’est pas attendue avant un moment. La première audition aura sans doute lieu l’année prochaine (2017) et ce ne sera que le début du processus puisque des recours seront toujours possibles. Concernant la campagne pour un changement au niveau des lois européennes, nous n’attendons pas non plus de décision du Conseil d’administration de l’Organisation européenne des brevets avant 2017« . Johanna Eckhardt, coordinatrice de NPoS, constate que, le 12 mai, « plusieurs États membre se sont montrés très critiques par rapport la pratique de brevets actuelle (…). La Commission a promis de travailler sur une interprétation de la loi existante (…). [Elle] va entrer en contact avec les États membres. C’est pour cela que les gouvernements nationaux doivent formuler très clairement leur position » a-t-elle déclaré à Inf’OGM après un symposium à Bruxelles le 18 mai.

Tomate cultivée exprimant des flavonols et son procédé de production


Extrait du brevet n°EP 1 515 600 B1, publié le 12 août 2015

1. Plante de L. esculentum domestiquée non transgénique développant des fruits ayant une teneur en flavonols dans la chair du fruit qui est supérieure à 0,5 µg/mg de poids sec et une teneur en flavonols dans la peau dudit fruit d’au moins 5 µg/mg de poids sec en raison d’une biosynthèse de flavonol régulée à la hausse dans la chair du fruit de ladite plante et une expression de CHI restaurée dans la peau du fruit de ladite plante, ladite plante de L. esculentum domestiquée non transgénique pouvant être obtenue par introgression du gène CHI et des gènes de la voie de biosynthèse de flavonol CHS, FSH et FLS des numéros d’accession de Lycopersicon sauvage LA1963, LA2884 et LA1926 dans une plante de L. esculentum domestiquée.

D’autres revendications suivent pour la plante, la graine, le fruit, avec des teneurs différentes en flavonols..

Source : http://www.google.com/patents/EP1515600B1?cl=fr

Actualités
Faq
A lire également