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HCB : une neutralité très relative sur le dossier des nouvelles biotechnologies

Par Christophe NOISETTE

Publié le 10/03/2016

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Le Haut conseil sur les biotechnologies (HCB) vient de rendre public un document sur les nouvelles techniques de modification génétique, dont le statut juridique reste pour le moment très flou [1] : « note » [2], « synthèse », « première étape d’un avis » ? Ce « non-document » sera envoyé au gouvernement avant d’être rendu public. Comment a-t-il été produit, du moins pour sa partie « scientifique » [3] ? Et qui sont ces experts du groupe de travail que le HCB a mis en place pour l’élaborer ? : trois membres du Comité scientifique (CS) [4] du HCB et trois experts extérieurs [5]. Inf’OGM décrypte ci-dessous les liens étroits entre ces personnes et les intérêts financiers liés aux nouvelles techniques… avec trois thématiques mises en exergue : la neutralité et de potentiels conflits d’intérêts ; le contexte économique de la recherche scientifique avec les partenariats public-privé ; le fait que l’entreprise Cellectis, leader français sur ces nouvelles techniques, revienne régulièrement dans ce dossier.

Le HCB est composé de deux comités : si le Comité économique, éthique et social (CEES) est affiché comme un comité où siègent de façon équilibrée les parties prenantes, le Comité scientifique (CS) est en théorie composé d’experts volontaires nommés à titre individuel suite à un appel public à candidature du fait de leurs capacités personnelles d’expertise. Suivant la politique du HCB pour la prévention des conflits d’intérêts, les membres du CS doivent remplir annuellement une déclaration publique d’intérêts (DPI) (les experts extérieurs n’ont pas cette obligation). Selon le règlement intérieur du HCB, les membres du CS ne peuvent prendre part aux travaux et délibérations du HCB s’ils ont un conflit d’intérêt, direct ou indirect, avec l’affaire examinée. Le secrétariat et la présidence du HCB ont pour responsabilité d’y veiller.

En premier lieu, les membres des groupes de travail – dont la composition est précisée dans le texte du CS – sont nommés par le bureau du HCB [6]. Pour ce groupe de travail (GT), le choix politique a été fait de ne faire appel qu’à des personnes ayant partie liée au développement économique des techniques de modification génétique, que ce soient celles de la transgénèse ou des nouvelles techniques.

Il ressort que tous les membres du groupe ont pris position publiquement pour le développement des techniques de modifications génétiques. C’est bien sûr leur droit, mais les « capacités personnelles d’expertise » ne sont-elles pas présentes aussi chez les scientifiques qui pensent le contraire ? Ici, ils ne sont pas représentés dans ce groupe de travail.

Josep Cascacuberta, un des experts extérieurs, est chercheur au Centre de recherche en génomique agricole, en Catalogne, et a travaillé officiellement avec des plantes génétiquement modifiées (PGM). Il a été membre du panel « OGM » de l’Agence européenne de sécurité sanitaire (AESA / EFSA) [7]. Il prend régulièrement position en faveur des PGM dans la presse [8] [9] : pour lui elles sont nécessaires pour lutter contre la faim dans le monde et l’homme a « toujours » fait des modifications génétiques, un discours qui vise à ne plus considérer ces plantes comme devant être traitées différemment des plantes conventionnelles (évaluation, étiquetage) [10]. Plus récemment, il a publié dans CellPress un article co-signé avec deux responsables de l’AESA et deux chercheurs de l’Institut Jean-Pierre Bourgin (IJPB, Inra) qui tente de démontrer que l’utilisation de l’interférence à ARN permet des évaluations plus simples.

Autre expert du groupe de travail, Jean-Jacques Leguay, est à l’origine d’une pétition qui stipule que les « essais au champ [des plantes transgéniques] sont indispensables à la recherche en biologie végétale et à l’amélioration [11] des plantes »… Cette pétition a été signée par deux autres membres du GT : Philippe Guerche et Claude Bagnis. Jean-Christophe Pagès a souligné que les arguments scientifiques avancés par le gouvernement français pour justifier le moratoire sur le maïs MON810 n’étaient pas « recevables » [12], que l’étude du Professeur Séralini n’était pas non plus « recevable », mais n’a jamais émis de telles critiques pour des études venant de l’industrie dont la qualité scientifique laissait pourtant à désirer.

Les partenariats public-privé entraînent nécessairement des conflits d’intérêt

Si les membres de ce groupe de travail sont tous des chercheurs travaillant dans des instituts publics de recherche, la connaissance qu’ils ont de ces techniques récentes et complexes devrait leur permettre de mieux mesurer les risques. Mais, développeurs de ces techniques, les chercheurs académiques ont beaucoup perdu de leur « neutralité » pour de multiples causes : l’argent public destiné à la recherche se raréfie avec une multiplication des financements sur appels à projets, les contrats public-privé sont la condition de la plupart des financements publics, on incite les chercheurs à « valoriser » leur production via des brevets ou des start-ups, et enfin il leur faut montrer, dans un projet de recherche, l’impact sociétal et industriel de leurs travaux. Ces chercheurs doivent, pour obtenir des financements et attirer les investisseurs, vanter les avantages des techniques qu’ils souhaitent mettre en œuvre, occulter autant que possible les incertitudes et les risques et tenter de diminuer la pression réglementaire qui pourrait freiner leur utilisation. Comme tout bon commercial, on ne saurait attendre de quelqu’un qui vit de ses recherches liées aux NBT qu’il soit trop critique sur son fonds de commerce. L’État se désengage de la recherche publique, mais en même temps, via la Caisse des Dépôts ou la Banque publique d’investissement [13], il organise le transfert de l’argent public vers la création d’entreprises « innovantes ». Enfin, de façon pragmatique, étant donné les coûts inhérents à ces technologies génétiques, la recherche publique est obligée de passer des accords avec des entreprises privées pour financer ses propres travaux, puis de déposer des droits de propriété intellectuelle si elle veut que le résultat de ses recherches soient développés : dans notre modèle d’économie de compétition à outrance, aucune entreprise n’acceptera de les développer sans une telle protection. Délibérément ou non, les chercheurs du « public » sont conduits à s’inscrire dans une logique décrite sous le nom d’« économie de la promesse », qui consiste à entretenir des espoirs autour d’une technique émergente afin de capter des investissements.

Illustration de l’attitude de déni des incertitudes liées à l’édition de gènes, dans la position du groupe de travail : lorsque « un membre du CS a souhaité que le raisonnement de prise en compte des mutations hors-cible soit exposé », il lui a été répondu que « les mutations hors-cible sont un point qui relève d’une question avant tout technique, en cours de changements et d’améliorations importants ». Autrement dit, les effets hors-cible existent, les techniques sont immatures, mais les améliorations escomptées de ces techniques les réduiront à un nombre « acceptable » [14]. Or ces effets hors-cible sont précisément au centre de la polémique sur le choix réglementaire : s’il n’y en a pas, pourquoi une réglementation spéciale ? En revanche, si ces effets existent, l’évaluation et le suivi de leurs possibles impacts ainsi que l’information du public sont indispensables. D’où la tentation de nier leur existence…

Santé humaine et nouvelles techniques de modification génétique

L’établissement français du sang (EFS) et le Généthon sont en pleine mutation technologique et économique. Ces établissements ont choisi la voie de la course technologique et pour cela sont à la pointe du développement des outils biotechnologiques. En parallèle, les marchés du sang artificiel et des produits dérivés, des cellules souches reprogrammées et des thérapies géniques et cellulaires, sont en pleine expansion. Ces établissements ont donc créé des structures parallèles pour les aider au développement commercial de nouveaux médicaments, à l’instar de Généthon Bioprod ou d’Atlantic Bio GMP…

Jean-Christophe Pagès, président du CS, et Claude Bagnis, également membre du CS, sont salariés de l’Établissement français du Sang (EFS), respectivement directeur de la Valorisation de l’innovation (nommé à ce poste en 2015) [15] et chercheur à l’EFS Alpes-Méditerranée, unité qui, en 2009, annonçait avoir réussi à modifier génétiquement des cellules de sang [16] [17]. Deux ans après, en novembre 2011, l’EFS signait un contrat avec l’entreprise Cellectis [18] [19]. Cellectis [20] est une entreprise issue de l’Institut Pasteur, qui détient de nombreux brevets sur des nouvelles techniques de modification génétique, comme les Talen et autres méganucléases. La directrice de communication de l’EFS a précisé à Inf’OGM que « l’EFS n’a plus d’accord avec la société Cellectis depuis fin 2013. En effet, l’EFS s’est retiré du projet commun en raison de divergences de vues sur les choix stratégiques propres à la société Cellectis. BPI France (ex OSEO) a pris acte en février 2014 de la décision de l’EFS » [21]. La lecture des différents communiqués de presse ou entretiens permet d’établir qu’il s’agissait de produire des cellules souches pluripotentes induites (en anglais Induced pluripotent stem cell, iPS) via l’utilisation de ciseaux à ADN. Concrètement, la technique consiste à reprogrammer génétiquement des cellules adultes et à les transformer en cellules souches. L’EFS souhaite pouvoir utiliser cette technique pour produire un « sang artificiel ». L’EFS, créé après le scandale du sang contaminé, détient en France le monopole de la collecte du sang, du plasma et des plaquettes et celui de la commercialisation des produits sanguins labiles.

Suite à une décision du Conseil d’État du 23 juillet 2014, l’EFS a perdu l’exclusivité de la commercialisation du plasma « SD », considéré comme un médicament et non un produit sanguin labile, donnant ainsi raison au laboratoire suisse Octapharma. Pour la CFDT, « la porte de la marchandisation du corps humain est donc désormais largement ouverte, avec une totale remise en cause du principe du « don » de sang anonyme, volontaire et gratuit  » [22]. L’EFS ne peut vendre les autres plasmas qu’au Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), qui commercialise les médicaments dérivés du sang [23].

Le LFB est une société anonyme dont l’État est actuellement le seul actionnaire. Il est aussi le sixième acteur mondial sur le créneau des médicaments dérivés du plasma, avec un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros en 2014. Cellectis a signé un partenariat, dont la teneur n’a pas été rendue publique, avec une filiale du LFB, CellforCure, spécialisée dans les thérapies cellulaires [24]. Signe des temps, ou évolution structurelle, lors de l’examen de la loi Macron, un vif débat avait eu lieu en janvier 2015 à l’Assemblée nationale sur la fin du monopole d’État du LFB [25]. Pour Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique, il est urgent de faciliter l’entrée de capitaux dans le LFB : « Nous savons que les multinationales du médicament sont à la porte : le laboratoire, que j’ai interrogé, souhaite, à terme, s’ouvrir à ces sociétés. (…) Il y a urgence : le LFB, je l’ai dit, est en train de vendre, donc de céder à la concurrence, des brevets ». Si le ministre de l’Économie s’est « engagé » devant l’Assemblée nationale à ce que le LFB continue à ne pas servir de dividendes, certains députés, comme Karine Berger, restent inquiets : « Mais demain, ce sera la BPI qui fixera la politique des dividendes ». Inquiétude d’autant plus légitime que le LFB est une « pépite » qui actuellement est rentable.

Fin décembre 2014, l’EFS a signé un second « Contrat d’objectifs et de performance » (COP) avec l’État. Les deux partenaires réaffirment que « les quatre grands principes fondateurs de la transfusion sanguine (anonymat, bénévolat, volontariat et non-profit) doivent être préservés ». Cependant, le COP parle aussi de «  l’attractivité de l’établissement pour les professionnels de santé », de la mise en place récente d’une direction de la valorisation de l’innovation (celle que dirige J.C. Pagès) qui a « permis d’assurer la protection des résultats de la recherche de l’EFS, jalon indispensable à la valorisation et au transfert de technologies ». Ainsi l’objectif 5.1 du COP vise une augmentation (jusqu’à 50 % en 2018) des « cofinancements obtenus via des contrats de recherche en partenariat avec d’autres acteurs de la recherche ou de l’industrie dans le financement des activités de recherche » et une augmentation (jusqu’à 25 % en 2018) de la « part du portefeuille de brevets donnant lieu à licence ou option de licence ou à exploitation par l’EFS ». Ces deux objectifs n’induisent-ils pas, à terme, un changement de modèle économique ?

Jusqu’en 2014, l’essentiel des revenus de Cellectis à destination des chercheurs vient des licences d’utilisation de la technique permettant de modifier spécifiquement un gène dans tout type cellulaire. Sa filiale Cellectis bioresearch est en effet « spécialisée dans la conception, le développement et la commercialisation de produits et services essentiellement destinés aux chercheurs académiques et à ceux de l’industrie bio-pharmaceutique ». Cette filiale a été radiée du greffe le 26 janvier 2016 [26], et a fusionné avec la maison mère en novembre 2015 [27]. Le service « communication » de Cellectis nous précise que désormais « le modèle de la société a changé et ne s’appuie plus sur la commercialisation d’outils et services mais sur le développement d’immunothérapies contre le cancer ». Impossible de savoir ce qu’est devenue la filiale étasunienne de Cellectis bioresearch.

Dans sa déclaration publique d’intérêt (DPI) publiée sur le site du HCB, Jean-Christophe Pagès reconnaît avoir « bénéficié d’un financement direct et indirect par un organisme en lien avec les missions du HCB » [28]. Il s’agit d’un financement de plusieurs entreprises de biotechnologies : Amgen [29] [30], Biomatlante [31] et Xpand Biotechnology [32] [33]. Il a aussi des activités de consultance pour Vectalys, une société toulousaine spécialisée dans le transfert de gènes qui a réalisé en 2014 un million d’euros de chiffre d’affaires [34] [35]. Cette entreprise a été créée par Pascale Bouillée, cosignataire d’un article avec Jean-Christophe Pagès, et qui a travaillé, elle aussi, de 1998 à 2003, pour le Généthon. Un système de « portes tournantes » encouragé par les pouvoirs publics mais qui peut induire des biais.

Claude Bagnis précise aussi dans sa DPI avoir réalisé des consultances, notamment pour l’entreprise de biotechnologie, Innate Pharma [36], qui « développe des anticorps thérapeutiques innovants contre le cancer et les maladies inflammatoires ». Il reconnaît avoir travaillé notamment pour le CIML [37], « un institut de recherche fondamentale qui noue des partenariats académiques, cliniques et industriels », qui a signé en 2010, un accord de partenariat avec Sanofi-Aventis.

En matière de transparence, l’EFS peut mieux faire : sur les 13 membres du Conseil scientifique, seuls deux ont leur DPI sur le site : Armelle Leturque et Jean-Yves Muller. La liste du CA n’est pas en ligne, on peut malgré tout avoir accès aux DPI de certains administrateurs, liste non exhaustive malheureusement [38]. Quant à Sylvie Castaigne, administratrice pour l’EFS, sa DPI en ligne nous apprend qu’elle a été « consultante sur un dossier d’AMM » pour le compte de Pfizer.

Un autre des experts « hors HCB » impliqué dans ce groupe de travail est Fulvio Mavilio. Ce dernier est actuellement directeur (depuis 2012) du Généthon – officiellement une association (loi 1901), issue de l’association AFM-Telethon – et de Généthon BioProd – qui a reçu en 2013 le statut d’Établissement pharmaceutique. Jean-Christophe Pagès avait été pendant trois ans (1996 – 1999) responsable du groupe « Rétrovirus et vecteurs rétroviraux » au Généthon.

Avant d’examiner les relations entre le Généthon et ces nouvelles biotechnologies (voir encadré ci-dessous), il est important de noter que F. Mavilio est, comme J.-C. Pagès, un acteur du développement de la thérapie génique. En 1998, il a fondé l’entreprise de biotechnologies GenEra (laquelle a été rachetée depuis par MolMed). A MolMed, Mavilio était le directeur de la R&D. Ce dernier est l’auteur et le titulaire (déposant) de nombreux brevets qui mobilisent notamment la transgenèse.

Généthon : vers un changement de modèle économique ?


Fulvio Mavilio, rapporte le journal La Recherche, « envisage aussi des changements en profondeur : “nous devons rendre les traitements disponibles pour tous les patients, et pour cela il faudra changer le modèle économique car les dons récoltés lors du Téléthon ne suffisent pas” » [39]. En 2014, le budget global du Généthon est d’environ 33 millions d’euros, financé à environ 73% par l’AFM-Téléthon. Le Généthon est devenu un acteur économique et commercial qui mise sur le développement des biothérapies, comme en témoigne le document publié par Généthon et Atlantic Gene Therapies intitulé « Thérapies innovantes : Réussir l’industrialisation » [40]. On peut y lire : « Depuis quelques années, l’industrie pharmaceutique est confrontée à un phénomène d’essoufflement (…). Les industriels sont donc contraints de chercher de nouvelles voies d’innovation : les maladies rares et les biothérapies innovantes représentent aujourd’hui un intérêt significatif. Les géants de l’industrie pharmaceutique et les sociétés de biotechnologies spécialisées en thérapie génique investissent massivement dopant le marché qui devrait dépasser, selon les prévisions, les 20 milliards de dollars dans la prochaine décennie ».

Pour favoriser le développement de ces nouvelles technologies appliquées à la santé humaine, AFM-Téléthon a créé avec BPI France un Fonds d’Amorçage dédié « Biothérapies innovantes et maladies rares » et son objectif est de « soutenir les entreprises qui développent des innovations technologiques, en leur apportant des fonds propres à un stade très précoce. Le fonds est initialement doté de 50 millions d’euros pour un montant cible de 120 millions d’euros. L’objectif est de constituer un portefeuille de 12 à 15 participations dans des sociétés de biotechnologies émergentes ». Ce rapport précise que « les applications des biothérapies innovantes ne se limitent pas aux maladies rares. Les maladies fréquentes représentent déjà une part importante des indications visées par les essais cliniques à travers le monde. Il est donc indispensable, pour répondre à la demande et aux enjeux de santé publique mondiaux, de changer d’échelle de production et de développer des procédés industriels ». La présidente de l’AFM-Téléthon en 2013 avouait ainsi que « ces produits très innovants ont un intérêt au-delà des maladies rares. Si les Français peuvent être fiers d’avoir soutenu le Téléthon contre les maladies rares dans un complet désintéressement, demain, ils auront pour eux-mêmes un « retour sur investissement » concernant des maladies plus fréquentes (certains cancers ou le diabète, par exemple, ndlr) » [41]. La question est alors de savoir qui bénéficiera de la manne économique incroyable de ces nouveaux médicaments…

En décembre 2015, Généthon et Crispr Therapeutics [42] [43] – une entreprise biopharmaceutique fondée par Emmanuelle Charpentier, une des chercheuses qui a inventé l’édition de gène par Crispr/Cas9 – ont annoncé leur collaboration de recherche [44], qui mise sur l’utilisation de la technologie Crispr/Cas9 pour soigner, officiellement, des maladies génétiques du sang [45]. Le Généthon cible une partie de son programme post-doctoral sur le développement de cette technique [46].

Généthon et l’AFM Téléthon ont aussi, tous deux, des relations étroites avec l’entreprise Cellectis. L’accord entre AFM-Téléthon et Cellectis date de juillet 2008 : il s’agit, selon les termes du rapport d’activités de l’association, d’un « accord de recherche et de licence, mettant en place un programme de recherche sur cinq ans », afin notamment de « produire sept lots de méganucléases contre sept types de mutations géniques à l’origine de pathologies humaines ». Ce programme « sera financé par l’AFM à hauteur de 8,372 millions d’euros (…) [et] en contrepartie du financement accordé à ce programme, l’AFM percevra un retour financier assez conséquent », dès que les outils développés par Cellectis dans ce cadre généreront des revenus [47].

Des experts enthousiastes en modification génétique

Les autres membres du groupe de travail sont, eux, impliqués dans des programmes de recherche appliquée qui visent la modification génétique du végétal. Jean-Jacques Leguay, un des experts extérieurs, n’est pas un inconnu pour le comité scientifique du HCB, puisqu’il en était vice-président sous la précédente mandature. Ce chercheur a été directeur de la recherche en biotechnologie végétale chez Sanofi [48], avant de rejoindre le Centre d’Étude Atomique (CEA) en tant que directeur du Département d’écophysiologie végétale et microbiologie (DEVM). Le DEVM, lit-on dans le rapport d’activités du CEA, est chargé « d’étudier les effets des rayonnements et des stress oxydants sur les cellules végétales » [49].

Philippe Guerche fait partie de l’équipe de direction de l’Institut Jean-Pierre Bourgin (IJPB) de l’Inra, une méga-unité spécialisée dans les biotechnologies végétales. Il a récemment rejoint le panel OGM de l’AESA. Avec Jean-Jacques Leguay, ils ont participé à la création à la fin des années 90 du groupement d’intérêt scientifique « GRAINES, Groupement de Recherche d’Application, d’Innovation et d’ESsor en Biotechnologie » [50], destiné « à favoriser des collaborations entre laboratoires publics et industriels ». On retrouve dans ce GIS notamment la Société coopérative d’intérêt collectif agricole anonyme des sélectionneurs obtenteurs de variétés végétales (Sicasov). L’IJPB est impliqué dans de nombreuses collaborations avec l’industrie semencière – Biogemma, Limagrain, RAGT 2n, notamment : Amaizing [51], PeaMust [52], Rapsodyn [53] et Genius [54] qui vise délibérément à la production de plantes génétiquement modifiées, programme dans lequel on retrouve Cellectis. Cellectis et Biogemma ont d’ailleurs participé directement au financement des travaux de chercheurs de l’IJPB [55] [56] [57]. Philippe Guerche a reçu le prix Limagrain en 2013 [58]. Limagrain, 4è semencier mondial, développe des PGM, par transgenèse ou via d’autres techniques de modification génétique. Enfin, il est l’inventeur et le titulaire de plusieurs brevets impliquant la transgenèse [59].

Impartialité, transparence, pluralité, contradictoire : juste des mots ?

Le HCB affiche sa volonté de produire une expertise qui répond aux « principes d’impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire ». Pour comprendre les termes d’un débat, il est essentiel de savoir d’où parlent les parties qui s’expriment, les a priori, croyances et intérêts des scientifiques ne les quittant pas à l’entrée de leur laboratoire ou de la salle d’expertise. Ici nous constatons que le débat au sein du CS du HCB a été réduit au minimum. En effet, étant donné l’homogénéité intellectuelle et idéologique des membres de ce groupe de travail et des relations étroites qu’ils entretiennent entre eux et avec l’industrie des biotechnologies, on ne voit pas comment ils pourraient prétendre à la production d’un avis impartial et pluriel. En ce sens, demander au Comité scientifique de « discuter » en un laps de temps très court le texte produit par ce groupe de travail, déjà très structuré, et donc peu susceptible d’évoluer, et difficile à comprendre sur un sujet très vaste, évite tout débat et contestation possible par un passage en force, hormis un clash auquel peu de scientifiques osent se prêter au vu des risques d’excommunication et de retours de bâton sur leurs demandes de financement de recherche. Quant au respect des opinions contradictoires, la démission d’Yves Bertheau rend visible certains dysfonctionnements. Garantir l’expression de la diversité des points de vue afin de pouvoir en rendre compte doit être la principale mission d’un groupe de travail. Pour éviter à l’avenir de tels dysfonctionnements, Yves Bertheau – membre du CS démissionnaire – propose que « ces groupes de travail soient accompagnés d’un médiateur critique, suffisamment critique pour jouer l’avocat du diable, et n’ayant pas d’intérêt dans le développement des techniques ».

Le HCB est-il définitivement au service de projets industriels ou bien saura-t-il rebondir sur la crise qui le traverse aujourd’hui pour revenir à des pratiques plus compatibles avec ses missions publiques ?

[2La « note » est un type de document inconnu au règlement intérieur du HCB comme dans la réglementation

[3Comme Inf’OGM l’a déjà signalé, la genèse de ce texte a été problématique : la présidente du HCB s’est demandé un temps s’il devait être publié, puis a fini – du fait de la polémique suite à la démission de Yves Bertheau – par le considérer comme un avis incomplet qui doit, pour être cité, attendre que sa seconde partie soit publiée : une innovation étonnante dans l’arsenal de l’information gouvernementale

[4Claude Bagnis, Philippe Guerche et Jean-Christophe Pagès

[5Josep Casacuberta, Jean-Jacques Leguay et Fulvio Mavilio

[6Art 2.4. Les groupes de travail – Sur proposition ou après avis des présidents et vice-présidents des deux comités, le Bureau du HCB peut constituer des groupes de travail chargés de venir en appui aux travaux des comités. Chaque groupe de travail est dirigé par un ou deux rapporteur(s) qui rend(ent) compte des travaux du groupe au Bureau et aux comités et qui remet(tent) à ces derniers un rapport destiné à préparer l’adoption de l’avis ou de la recommandation

[11Notons, en passant, que le terme « amélioration » implique un jugement de valeur

[13La BPI a remplacé, sous la présidence Hollande, le Fonds public d’investissement créé par son prédécesseur. Elle reconnaît dans un communiqué de presse datée du 27 mars 2015 qu’elle a accompagné « chaque étape du développement » de Cellectis, via un financement de 19 millions d’euros d’aide à l’innovation, et se félicite désormais de l’introduction de cette entreprise en bourse

[14Le CS écrit qu’à terme, « en-deçà d’un seuil, le nombre des modifications hors-cible ne sera pas différent de celui des variations naturelles de séquence, il ne sera alors pas possible de faire une différence avec ces variations naturelles ». Cette approche quantitative de la part d’experts semble mettre de côté le fait que les variations produites par la manipulation génétique ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qui se produisent ou peuvent se produire naturellement… sans compter que de très faibles modifications peuvent rendre un organisme pathogène ou dangereux (ex : Marx 2016, Genetics : profiling DNA méthylation and beyond. Nature Methods 13(2) : 119-122), voir aussi Eric MEUNIER, « FRANCE – Cacophonie au HCB sur les nouvelles techniques de transformation du vivant », Inf’OGM, 9 février 2016

[15La déclaration publique d’intérêt de Jean-Christophe Pagès a été mise en ligne : http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/sites/www.hautconseildesbiotechnologies.fr/files/file_fields/2016/02/05/formulairedpipagesjean-christophe2015-2.pdf. Cependant, on notera qu’elle n’a pas été modifiée suite à sa nomination à l’EFS

[16en combinant les technologies de transfert de gène, d’interférence à ARN et de génération in vitro de globules rouges, Transfusion. 2009 May ;49(5):967-76. doi : 10.1111/j.1537-2995.2008.02078.x. Epub 2009 Jan 21

« A genetic strategy to control expression of human blood group antigens in red blood cells generated in vitro ». Bagnis C., Chapel S., Chiaroni J., Bailly P.

[20Une de ses filiales, Cellectis plant sciences, dédiée à l’agriculture biotechnologique, a signé un accord de coopération avec l’Inra « pour développer des programmes communs » et avec BASF Plant Science, Bayer Crop Science, Limagrain, Monsanto, etc.

[21Cette information nous a été apportée une fois l’article publié. Nous regrettons cependant que malgré nos demandes d’accéder à l’accord de collaboration entre Cellectis et l’EFS, l’EFS n’ait pas pris soin alors de nous communiquer cette information, pas plus semble-t-il qu’elle ne l’avait fait auparavant à la presse. Il était donc difficile, dans ces conditions, d’en rendre compte

[28Rubrique 3. de la DPI formulée ainsi : « Je bénéficie et j’ai bénéficié dans les cinq dernières années, pour moi-même, pour l’équipe ou la structure dans laquelle je travaille le cas échéant, d’un financement direct ou indirect par un organisme en lien avec les missions du HCB »

[30Le cabinet de communication Clai qui s’occupe de relations presse pour le HCB nous précise : « L’entreprise AMGEN a sollicité en 2013 Jean-Christophe Pagès pour une conférence dans le cadre de ses activités de responsable de la plateforme de diagnostic des cancers qu’il occupait à Tours jusqu’en octobre 2015. Cette activité n’est pas en lien avec les travaux du HCB ». Inf’OGM précise que dans la DPI de M. Pagès, l’entreprise AMGEN est citée dans la rubrique « 3. Activités ayant bénéficié d’un financement  » sur une période allant de 2008 à 2013 et non seulement à la rubrique 2.4 qui concerne la rédaction d’articles ou d’ouvrages ou la participation à des colloques, réunions, etc. avec un soutien financier direct ou indirect d’un organisme ayant un lien avec les missions du HCB

[33Précision de Clai : « Jean-Christophe Pagès n’entretient pas de liens directs avec les sociétés Xpand et Biomatlante. Il s’avère que ces deux structures étaient uniquement partenaires d’un programme européen auquel il contribuait »

[34Cette activité a été mentionnée dans sa DPI

[35Troisième précision de Clai : « Jean-Christophe Pagès a exercé une activité de conseil pour l’entreprise Vectalys, sur la période de vacances du HCB. Actuellement, il a une activité scientifique de recherche en vectorologie en lien avec cette entreprise »

[38En effet, Madame Elisabeth LEMAURE a été nommée au CA de l’EFS, le 24 juin 2015, mais impossible de trouver sa DPI sur le site de l’EFS

[43Crispr Therapeutics a aussi participé à la création d’une joint venture avec l’entreprise Bayer dans laquelle l’entreprise allemande a injecté quelques 335 millions d’euros, http://www.press.bayer.com/baynews/baynews.nsf/id/Bayer-CRISPR-Therapeutics-AG-Forces-Discover-Develop-Commercialize-Potential-Cures-Serious-Genetic

[45Voir le poster présenté en décembre 2015 à la rencontre annuelle de l’American Society of Hematology, intitulé « Gene Editing with Crispr-Cas9 for Treating Beta-Hemoglobinopathies », signé notamment par Thomas Cradick et Ante Lundberg, de Crispr Therapeutics et Fulvio Mavilio et Annarita Miccio, du Généthon, https://ash.confex.com/ash/2015/webprogram/Paper85536.html

[48J.-J. Leguay a signé en tant que chercheur à Sanofi un article avec Alain Toppan de Biogemma : « Field tolerance to fungal pathogens of Brassica napus constitutively expressing a chimeric chitinase gene » et il est aussi mentionné comme « inventeur » d’un brevet déposé par Biogemma et Sanofi, https://register.epo.org/application?lng=fr&tab=main&number=EP91913985

[57Anne Sophie Canoy, salariée de Biogemma a co-signé un article avec les chercheurs de l’IJPB, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24567494

[59Citons notamment le brevet qui « concerne une séquence d’acide nucléique codant pour une acyltransférase lysophosphatidique de colza. Cette séquence est utilisable notamment pour la transformation de végétaux, afin de réguler la teneur en acides gras des triglycérides produits par ceux-ci, https://www.google.com/patents/WO2000029585A1

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