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États-Unis – Les indiens Yurok interdisent les OGM sur leur territoire

Par Christophe NOISETTE

Publié le 27/01/2016

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Les indiens Yurok (en Californie) ont adopté en novembre 2015 une ordonnance qui interdit la culture de plantes génétiquement modifiées et l’élevage de saumon transgénique, un animal très important dans leur culture. Les Yurok possèdent une réelle autonomie politique sur le territoire de la réserve et cette ordonnance peut effectivement permettre de juger toute personne qui ne respecterait pas cette interdiction. D’autres tribus amérindiennes s’étaient déjà opposés aux OGM sur leur territoire ou aux brevets sur le vivant.

L’autorisation du saumon transgénique a été « la goutte qui a mis le feu aux poudres » pour les indiens Yurok. Parfois qualifié du « peuple du Saumon » [1], et forte d’une population d’environ 5000 membres, cette tribu amérindienne, dont le territoire se situe dans l’état de Californie, a adopté le 10 décembre 2015, à l’unanimité, une ordonnance qui interdit la culture, l’élevage, la dissémination, la reproduction d’organismes génétiquement modifiés dans leur territoire. Cette ordonnance fait donc de leur réserve (voir encadré ci-dessous) une « zone sans OGM » en vue de protéger l’animal totémique de la tribu, comme les Navajos ont souhaité protéger le maïs, une plante sacrée.

La relation entre les Yurok, la rivière et les saumons remonte à la nuit des temps. Comme le précise le communiqué de presse qui accompagne l’ordonnance, « la tribu a un intérêt vital dans la viabilité et la survie des espèces de saumon sauvage, et natives de la Rivière Klamath, et dans toutes les autres ressources alimentaires traditionnelles ».

Que ce soit donc le saumon ou le maïs, dans les deux cas, la modification génétique en laboratoire et l’appropriation par des brevets ont été perçues comme une atteinte directe à leur identité. Les OGM ne sont pas seulement une affaire de risques sanitaires ou environnementaux : leur rejet peut aussi s’appuyer sur le respect de la diversité culturelle. Modifier le saumon n’est pas un acte anodin pour les Yurok et ils entendent continuer à défendre leur façon d’être au monde, de penser le monde.

A propos des réserves indiennes aux États-Unis

La réserve des Yurok est située dans les comtés californiens de Humbold et de Del Norte. Elle s’étend sur 255 km2, le long de la rivière Klamath, notamment riche en saumons. Les Yurok sont une population pauvre : 80% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Selon le recensement de 2000, la population Yurok en Californie s’élevait à 4 413 individus et à 5 793 dans tous les États-Unis. Il s’agit ainsi du groupe d’Amérindiens le plus important de Californie.

Selon le bureau des affaires indiennes, 227 000 km², soit un peu plus de 2% du territoire étasunien, sont prêtés en fiducie par les États-Unis aux tribus indiennes. Cette superficie est répartie entre 326 réserves. La plus grande est celle des Navajos (64 000 km²) répartie sur trois états : Arizona, Nouveau Mexique et Utah ; et la plus petite est une parcelle située en Californie sur un peu plus de 5300 m2 : elle accueille le cimetière de la tribu Pit River.

Il y a environ 550 tribus reconnues. Toutes les tribus n’ont donc pas de réserve et certaines réserves sont partagées par plusieurs tribus.

Pour une « Terre-mère » en bonne santé

Bien que les terres des réserves indiennes ne soient que « prêtées » à leurs occupants, et restent donc la propriété des États selon la loi américaine, les Indiens ont une autonomie importante. En effet, le site du bureau des affaires indiennes (BIA) précise que la législation étasunienne donne des pouvoirs particuliers aux Indiens dans les réserves. Ces dernières sont aussi généralement exemptées de la juridiction des états (dont la fiscalité). Les tribus ont donc par conséquence le droit de former leurs propres gouvernements, de faire appliquer leurs lois tant civiles que pénales, de gérer l’impôt, d’établir et de déterminer la citoyenneté tribale et d’exclure des personnes de terres tribales. Bien entendu, les Indiens sont aussi soumis à certaines lois fédérales, notamment en matière de criminalité. La Cour suprême étasunienne précisait en 1981 qu’une « tribu peut également conserver le pouvoir inhérent d’exercer une autorité civile sur la conduite des non-Indiens sur les terres en location présentes sur la réserve lorsque ce comportement menace ou a un effet direct sur l’intégrité politique, la sécurité économique, la santé ou le bien-être de la tribu » [2]. Ceci dit, comme le notait la chercheuse Angela Riley, peu de tribus ont adopté des outils juridiques pour protéger leurs ressources génétiques ou leurs savoir-faire.

Les Yurok se sont ainsi dotés d’une Constitution le 24 novembre 1993, et d’un tribunal. Cette ordonnance du 10 décembre s’inscrit dans la logique de prise en main de leur destin. Ainsi, même si, comme nous le précise Indian Land Tenure Foundation, « une personne non indienne peut louer des terrains dans la réserve pour y pratiquer l’agriculture, le Conseil des Yurok a le pouvoir d’empêcher les plantes génétiquement modifiées (PGM) d’être cultivées sur leurs terres en fiducie ». En effet, comme cela nous a été précisé, il s’agit non pas d’une déclaration mais d’une ordonnance. Ainsi, le non-respect de cette interdiction pourra donner lieu à des poursuites devant la Cour Tribale des Yurok.

Le saumon transgénique n’est pas la seule menace qui pèse sur cet écosystème et ses espèces sacrées. Depuis plusieurs années, une sécheresse sévit dans cette région, l’eau se réchauffe, ce qui favorise le développement de pathogènes du saumon (comme Ichthyophthirius multifiliis). Les Indiens notent aussi une augmentation importante d’algues toxiques liées aux activités agricoles intensives ou aux barrages hydro-électriques vétustes. Résultat : les poissons meurent en masse…

Cette ordonnance vise à protéger la terre et les ressources naturelles traditionnelles. En effet les Yurok estiment qu’il en va de leur responsabilité de tout faire pour protéger les plantes et les animaux sauvages, non seulement car il s’agit de leur alimentation et leurs médecines, mais aussi car la cosmogonie amérindienne associe le bien-être de la Terre Mère à la santé spirituelle, culturelle et physique des hommes et des femmes. S’opposer aux OGM est donc, pour eux, une nécessité. Ils estiment notamment que le système « OGM » est intrinsèquement dépendant de l’utilisation massive d’herbicides, de pesticides, d’antibiotiques et que ces produits ne menacent pas seulement leur sécurité alimentaire mais aussi le lien profond et sacré qui les unit à cette Terre, à cette rivière. Ainsi, un des juges du Tribunal Yurok, Yurok Abby Abinanti, précise dans ce même communiqué de presse que « cultiver des plantes à partir de semences naturelles et traditionnelles est un droit inhérent et souverain du Peuple Yurok », comme cela s’est toujours fait, « depuis des temps immémoriaux ».

Ce n’est pas la première fois que les Yurok s’opposent à des décisions prises par les autorités. Ainsi, avec d’autres tribus indiennes de Californie (Hoopa, Karuk et Klamath), ils se sont battus pendant plus de douze ans et ont obtenu la démolition progressive de quatre grands barrages hydro-électriques sur la rivière Klamath [3] [4]. Lors de la COP21, le chef d’une tribu indienne d’Amazonie, Raoni Metuktire, a souligné avec force les menaces que ces grands projets font peser sur leur culture, leurs ressources vitales et sacrées et a demandé que soit reconnu la notion d’écocide, qui deviendrait un outil juridique pour « criminaliser les dommages graves et durables commis à l’encontre des écosystèmes dont dépend la vie de populations entières, ou de sous-groupes comme les Indiens des forêts brésiliennes, mais aussi contre ce que nous appelons les « communs planétaires » : l’espace, l’atmosphère terrestre, les fonds marins, l’Antarctique… C’est-à-dire ce qui n’appartient à personne » [5].

D’autres tribus préservent en amont leur patrimoine

D’autre tribus indiennes avaient déjà adopté des mesures pour restreindre ou interdire les PGM (plantes génétiquement modifiées) sur leur territoire. Ainsi, en septembre 2013, les indiens Diné (Navajo) avaient pris position contre les OGM et les pesticides [6]. Le point d’entrée de leur opposition était le maïs, qui est pour eux une plante sacrée, comme il l’est aussi pour les peuples indigènes du Mexique. Pour eux, comme ils l’ont souligné lors du Tribunal des Droits de la Nature qui s’est tenu à Paris en novembre 2015, la relation entre l’Homme et le Maïs est une relation de type filiale. On comprend mieux alors sous cet angle l’impossibilité qu’ils ont à concevoir qu’on manipule, qu’on privatise cette plante. Les Diné ont quatre plantes sacrées : le maïs, la courge, les haricots et le tabac. Cette position précise que « [nous ferons] notre part pour protéger nos semences traditionnelles, nos plantes, et notre savoir-faire des nombreuses menaces qui pèsent sur eux comme le changement climatique, l’exploitation minière, les industries extractives, les modifications génétiques, le capitalisme et la privatisation, (…), les pesticides », etc. Le territoire Diné s’étend sur environ 40 500 km² sur les états de l’Arizona, du Nouveau-Mexique et de l’Utah. Cette résolution s’appuie notamment sur l’article 31 de la Déclaration des Nations unies des droits des peuples autochtones (adoptée en 2007) qui stipule que « les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, (…) de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles » [7].

De même, à Hawaï, la mobilisation des peuples indigènes contre les OGM s’est faite au nom de leur rapport sacré à la nature. Ainsi, Mililani Bernadette Trask [8], avocate hawaïenne qui a notamment participé à la rédaction de la Déclaration des droits des peuples autochtones, souligne que « pour les peuples indigènes d’Hawaï, les concepts qui sous-tendent la modification génétique des formes de vie sont offensants et contraires aux valeurs culturelles de aloha ‘ʻāina [l’amour de la terre] » [9].

D’autres tribus ont souhaité préserver en amont leur patrimoine culturel et biologique. Ainsi, en 2004, les Indiens Odawa de la réserve de Little Traverse Bay (dans le Michigan) ont adopté une loi qui interdit le brevetage des organismes : « Nul ne peut prétendre à un quelconque brevet ou un droit de propriété exclusive dans la composition de n’importe quel organisme » sur les terres tribales, car précise le préambule de cette loi, « le brevetage d’organismes menace la santé de la tribu, son bien-être et sa sécurité économique ». Plus loin, le texte précise que les brevets sont une menace sur la biodiversité « car ils limitent l’accès à des variants génétiques et encourage la diffusion d’une variante unique ». Or la biodiversité entendue dans un sens large est « une ressource essentielle », tant pour l’alimentation, la médecine, l’énergie, les fibres, la production d’œuvre d’art, et les cérémonie et « en outre, la tribu reconnaît que la biodiversité de son territoire crée l’harmonie entre la tribu et la nature et favorise la coexistence pacifique et éthique de la tribu avec les espèces vivantes qui l’entourent  ». Des sanctions sont prévues, comme la confiscation des équipements utilisés pour la « bioprospection » [10].

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