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UE – Le glyphosate, cancérigène dans sa formulation commerciale, réautorisé pour 18 mois

Par Eric MEUNIER, Pauline VERRIERE

Publié le 28/06/2016

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Alors que l’innocuité du glyphosate divise les experts, la question du renouvellement de son autorisation se pose au sein de l’UE. Depuis 2012, la substance, présente dans de nombreux herbicides, est en effet en attente de ce renouvellement. Elle reste cependant autorisée grâce à des prolongations successives de son autorisation, accordées depuis 2012. Les 6 et 24 juin 2016, les États membres n’ont pas atteint de majorité pour ou contre une nouvelle prolongation de plusieurs mois, le temps qu’un nouveau comité d’experts se prononce sur la substance. La Commission européenne avait donc les mains libres pour décider. Le 28 juin, lors d’une conférence de presse, le Commissaire à la Santé a annoncé que l’autorisation du glyphosate a été prolongée de 18 mois [1].

Le glyphosate est le principe actif de plusieurs herbicides (dont le Roundup de Monsanto, mais depuis 2000, année de fin du brevet sur cette molécule, de nombreuses autres entreprises commercialisent des herbicides à base de glyphosate). Dans l’Union européenne, les pesticides sont autorisés pour une période de dix ans. Ce délai, pour le glyphosate, devait expirer en 2012, mais cette molécule reste autorisée le temps de « négocier » son renouvellement pour quinze ans. Si l’ensemble des comités d’experts soulignent des impacts avec le glyphosate sous sa forme commerciale (dont l’Anses dans son avis du 9 février 2016) – l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) arguant de son côté d’un manque de données « pour permettre une évaluation conforme aux lignes directrices de l’Union européenne » – ils publient cependant des avis divergents sur la molécule de glyphosate elle-même. Mais 96 scientifiques ont demandé à la Commission européenne d’ignorer l’avis de l’AESA accusée d’être déficiente et non transparente. Et des États membres – dont la France, mais aussi la Suède et peut-être à terme les Pays-Bas et l’Allemagne – ont déjà fait savoir qu’ils s’opposeraient au renouvellement d’autorisation. La décision de renouvellement – ou non – d’autorisation de cette dernière aura bien sûr des conséquences aussi sur les dossiers des plantes génétiquement modifiées (PGM), la majorité d’entre elles ayant été modifiées pour « tolérer » le Roundup.

Monsanto est la première entreprise à avoir mis au point un herbicide foliaire non sélectif utilisant le glyphosate comme principe actif. Cet herbicide est le Roundup, qu’elle vend à des agriculteurs, des jardiniers et à plusieurs organismes gérant et entretenant des terrains (comme en France la SNCF ou les collectivités territoriales). Le Roundup est un mélange à base de glyphosate auquel est ajouté notamment un surfactant pour faciliter la pénétration de l’agent toxique dans la plante. Selon une étude publiée en 2014 par le Transparency Market Research, une entreprise étasunienne qui réalise des études de marché, le marché du glyphosate représentait 5,46 milliards de dollars en 2012 et pourrait atteindre 8,79 milliards de dollars en 2019 [2]. En 2012, l’Union européenne représentait 12,2% de la demande en glyphosate. L’enjeu financier du renouvellement de l’autorisation est donc considérable…

Une autorisation donnée dans l’UE jusqu’en 2012… puis prolongée d’abord jusqu’en 2015, puis jusqu’en 2016…

C’est en 1974 que l’entreprise Monsanto protégeait le glyphosate par un brevet. A l’expiration de ce brevet en 1991, l’entreprise avait déjà obtenu un autre brevet sur le sel d’isopropylamine (la forme la plus courante de glyphosate) qui courait jusqu’en 2000 [3]. C’est donc cette année-là que le glyphosate, tombé dans le domaine public, devenait une molécule utilisée par d’autres entreprises comme Syngenta, Dow Agroscience ou d’autres entreprises notamment en Chine (ce pays est le plus gros producteur de glyphosate. En 2012, 40 % du glyphosate était produit en Chine [4]).

Dans l’Union européenne, l’actuelle autorisation du glyphosate a été donnée en 2002 selon une législation adoptée en 1991 : la directive 91/414 qui liste en son annexe I les substances autorisées à la commercialisation [5]. Cette autorisation de 2002 a été alors demandée par 36 entreprises (dont Elf Atochem qui deviendra une filiale de Total) qui s’étaient regroupées en « Task force » pour gérer la demande [6].

La directive 91/414 a été remplacée, en 2009, par le règlement 1107/2009 [7]. C’est donc lui qui couvre aujourd’hui l’autorisation du glyphosate. Initialement autorisée pour dix ans, soit jusqu’en 2012, cette molécule – ainsi que d’autres – a bénéficié d’une prolongation d’autorisation jusqu’au 31 décembre 2015 grâce à la directive 2010/77 adoptée en 2010 [8]. Cette prolongation d’autorisation permettait que la demande de renouvellement, qui devait être déposée avant le 31 mai 2012 selon le règlement 1141/2010 [9], soit étudiée. Plusieurs entreprises regroupées à nouveau en « Task force » ont donc déposé une demande de renouvellement d’autorisation. Une demande pour laquelle l’Allemagne s’est vu confier la responsabilité d’en évaluer les risques avant que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) ne se penche à son tour dessus.

Enfin, en octobre 2015, arguant que « l’évaluation des substances ayant été retardée pour des raisons indépendantes de la volonté des demandeurs, les approbations de ces substances actives risquent d’expirer avant qu’une décision n’ait été prise concernant leur renouvellement », la Commission européenne et les États membres de l’Union européenne ont prolongé l’autorisation du glyphosate jusqu’au 30 juin 2016 [10].

Depuis, la question de son renouvellement est sans cesse repoussée, faute de trouver une majorité qualifiée. Initialement prévu le 8 mars 2016, le vote a été décalé au 19 mai, puis au 6 juin. Face à l’opposition de certains États (dont la France et l’Allemagne), il n’est désormais plus question de renouveler l’autorisation pour plusieurs années, mais de prolonger l’autorisation de 2002, pour quelques mois supplémentaires [11]. Le 6 juin, aucune majorité n’a pu être atteinte, pour ou contre le projet. Allemagne, France, Italie, Grèce, Autriche, Portugal se sont en effet abstenus. Seule Malte a voté contre. Les 20 États en faveur du prolongement n’ont pas fait le poids pour faire basculer le vote (Les votes sont en effet pondérés en fonction de la population de chaque pays) [12]. Le 24 juin, le Comité d’appel n’a pas non plus atteint de majorité qualifié. La France, cette fois, a voté contre le projet de décision, tout comme Malte. L’Allemagne, l’Italie, la Belgique, l’Autriche, le Portugal, la Lithuanie se sont abstenus.

Faute de majorité qualifiée, la balle était dans le camp de la Commission européenne. Le 28 juin, elle a finalement tranché en faveur d’une prolongation de 18 mois de l’autorisation du glyphosate.

Avis opposés : depuis « cancérigène probable » jusqu’à « aucun problème », en passant par « on ne peut savoir »

L’avis de l’Institut fédéral d’évaluation des risques en Allemagne (BfR) a été finalisé fin 2013 et adressé à l’AESA. Un avis dont la version finale n’a jamais été rendue publique (cf. encadré ci-dessous). C’est via la diffusion par l’AESA d’une version provisoire de cet avis qu’il a été possible d’en connaître le contenu. L’agence allemande recommandait que l’autorisation du glyphosate soit non seulement renouvelée – la molécule, selon elle, ne présentant pas de risque – mais que la dose journalière admissible soit augmentée, passant de 0,3 à 0,5 milligrammes par kilo de poids corporel de la personne exposée au glyphosate (par ingestion au moment de l’épandage par exemple) et par jour [13]. Aucun problème avec le glyphosate donc, selon l’autorité allemande.

Avis du BfR et de l’AESA : un problème de transparence…


Le rapport final du BfR n’est pas encore public. Seule une version provisoire a été accessible lors d’une consultation publique organisée par l’AESA elle-même en mai 2014, consultation dénoncée par plusieurs organisations comme visant à « décourager les réponses du public » [14]. L’organisation GM Free Cymru a ainsi décidé de saisir le médiateur européen, entre autres, parce que l’AESA « forçait les commentaires à rentrer dans certaines catégories avec d’importantes limites en termes de place ». De son côté, Food and Water Watch lançait une pétition pour dénoncer cette consultation [15].

Deux organisations, Testbiotech et les Amis de la Terre Europe, ont, à plusieurs reprises, demandé à recevoir la version finale du rapport allemand, demande rejetée par la Commission européenne arguant du caractère confidentiel du rapport. Suite à ce refus, les Amis de la Terre Europe ont démissionné, le 12 novembre 2015, de la plateforme consultative de l’AESA [16], en expliquant qu’ils ne pouvaient plus remplir leur rôle de partie prenante face aux caractère confidentiel du rapport.

Pour Corporate Europe Observatory [17], il est également frappant de noter que les noms des personnes ayant établi le rapport des deux organismes ne sont pas rendus publics. Si l’AESA s’en est défendu en affirmant vouloir protéger ses experts internes de toute influence, le cas du BfR est plus problématique, des producteurs de pesticides faisant partie du groupe d’experts pesticides de cet organisme…

En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) publiait un avis qui concluait que le glyphosate est un cancérigène probable, dernière qualification dans l’échelle de dangerosité, avant celle de cancérigène. Le CIRC est un autre groupe d’experts non impliqué directement dans la procédure européenne de renouvellement, dépendant de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Selon Dana Looms du CIRC, la qualification « cancérigène probable » signifie « que les indications chez les animaux de laboratoire sont suffisantes mais qu’elles sont limitées chez l’homme » [18].

Le 12 novembre 2015, l’AESA publiait à son tour son avis qui corroborait les conclusions allemandes et qui affirmait que « contrairement à l’évaluation du CIRC, les experts européens, à l’exception d’un, ont conclu que le glyphosate ne présente pas de risques carcinogéniques pour les humains et que les éléments disponibles ne permettent pas sa classification comme cancérigène probable selon le règlement 1272/2008 » [19]. Cependant l’AESA souligne dans son avis que plusieurs données sont manquantes pour « permettre une évaluation conforme aux lignes directrices de l’Union européenne », comme « des données toxicologiques, en lien avec l’utilisation sur des variétés végétales GM importées en Europe et permettant une évaluation des risques liés à [l’AMPA, résidu du glyphosate] pour le consommateur ». L’AESA demande aussi des informations complémentaires sur le « destin et le comportement dans l’environnement [du glyphosate] ». En clair, il semble manquer beaucoup d’informations à l’AESA pour pouvoir conclure à l’innocuité du glyphosate.

Une querelle d’experts sur la molécule seule…

Ifoam Europe – fédération de mouvements d’agriculture bio, laquelle refuse l’utilisation d’herbicides de synthèse – rapporte [20] que « des scientifiques indépendants ont étudié des versions provisoires du rapport d’évaluation allemand » et ces derniers ont constaté des lacunes dans cette évaluation. Par exemple, ils notent que de nombreuses études publiées dans des revues scientifiques n’ont pas été prises en compte contrairement au CIRC, que certaines études retenues initialement ont finalement été mises de côté car jugées non pertinentes, et que, enfin, les conclusions sont largement basées sur des études réglementaires (c’est-à-dire obligatoires dans le cadre d’une demande d’autorisation) non publiées dans des revues scientifiques de renom et fournies par l’entreprise elle-même.

Même son de cloche chez la toxicologue Kathryn Guyton, qui a participé au rapport du CIRC, et qui, lors d’une émission de la BBC4 le 13 novembre 2015 [21], a réagi à l’avis de l’AESA : « Notre évaluation reste l’étude la plus indépendante, rigoureuse et transparente […], nous avons utilisé seulement les études disponibles publiquement dans les revues scientifiques indépendantes alors que l’AESA a utilisé d’autres études que nous n’avons pas pu évaluer [celles des entreprises fournies dans le seul dossier de demande de renouvellement, non publiques] (et), notre évaluation est basée sur des études de personnes exposées au glyphosate dans le cadre de leur travail, faisant de ces études des études du monde réel ». La Dr Guyton rappelle également que l’autorité allemande elle-même a confirmé les conclusions du CIRC mais n’a pas pour autant modifié ses propres conclusions. Pourquoi ? Car le BfR considère que « le CIRC a conduit une analyse […] qui n’est pas destinée à servir de recommandations aux gouvernements et autorités […]. Dans les cas ou l’effet [un cancer] dépend de la quantité de substance ingérée, le type de classification [retenue par le CIRC] ne s’intéresse pas à la probabilité d’un cancer effectivement causé », contrairement au BfR [22].

De son côté, Jose Tarazona, Président du groupe « pesticides » de l’AESA, interviewé par la radio BBC4, a argumenté avoir pris en compte plus de données que le CIRC. Mais il a également déclaré que les utilisateurs de glyphosate devaient prendre toutes les mesures possibles pour ne pas y être exposés… Et le résumé fait sur la BBC4 par J. Tarazona est très clair : « nous disons clairement qu’il [le glyphosate] est toxique et qu’il y a des seuils maximum d’exposition »…

…mais un accord sur la dangerosité de la formulation commerciale

Dans cette vaste controverse scientifique et politique, un commentaire du BfR sur l’avis du CIRC mérite d’être lu avec attention. Dans sa foire aux questions publiée le 12 novembre, le BfR écrit notamment que « les résultats [cités par le CIRC] sont connus du BfR et ont déjà été pris en considération dans le cadre du rapport d’évaluation [du glyphosate]. Il est établi que nombre de ces études et publications sur une possible carcinogénicité et génotoxicité […] ne concernent pas la substance active glyphosate seule mais seulement en tant que formulation, soit en d’autres termes sous forme de produits disponibles commercialement, et l’exacte composition étant rarement décrite dans ces articles de journaux scientifiques, la valeur informative de ces études s’intéressant à des agents contenant du glyphosate est faible en ce qui concerne l’évaluation de la substance active » dans le cadre de la procédure d’autorisation européenne [23].

L’AESA de son côté reconnaît également, dans un document accompagnant son rapport, qu’il « est probable que les effets génotoxiques observés pour certaines formules commerciales de glyphosate soient le fait des autres constituants » [24]. Un constat qui rappelle les propos du chercheur Gilles-Eric Séralini qui, en 2009, publiait un article sur des impacts sanitaires des formules commerciales de glyphosate [25]. Une publication qui avait été l’occasion pour le scientifique de rappeler que ce type de résultats d’impacts n’était pas mis en évidence car la toxicité de l’herbicide Roundup était étudiée en s’intéressant au principe actif seul, le glyphosate, et non à la toxicité de l’herbicide tel que vendu dans le commerce.

BfR / AESA et CIRC ne sont donc pas d’accord sur le caractère possiblement cancérigène du glyphosate car les deux premiers comités évaluent la molécule seule, notamment sur la base de données fournies par les entreprises alors que le troisième comité évalue le glyphosate seul et tel que vendu commercialement, sur la base des seuls articles scientifiques disponibles publiquement. Mais BfR et AESA reconnaissent le caractère toxique du glyphosate sous forme commerciale.

Le désaccord entre scientifiques énerve l’AESA, qui campe sur ses positions

En novembre 2015, dans une lettre adressée à la Commission européenne, 96 scientifiques lui demandent de « ne pas tenir compte de l’avis erroné de l’AESA […] et de mettre en œuvre une étude transparente, ouverte et crédible de la littérature scientifique » [26]. Pour les signataires, l’avis du CIRC est l’aboutissement d’une « évaluation de la littérature en toxicologie et épidémiologie [réalisée] sur une période de 12 mois [selon] une procédure ouverte et transparente mise en œuvre par des scientifiques indépendants qui ont fourni des déclarations de conflits d’intérêt complètes et n’étaient pas affiliés ou soutenus financièrement par l’industrie chimique ». Or, estiment-ils, l’avis du BfR (qui a servi, rappelons-le, de base de travail à l’AESA) est un avis non crédible : il ne s’appuie pas sur les preuves réunies et est le fruit d’une procédure non ouverte et non transparente. La Commission européenne a invité, en réponse, les scientifiques à accepter une invitation de rencontre faite par l’AESA pour début 2016, avec «  le CIRC et toutes parties intéressées [pour] résoudre ou au moins clarifier ce problème de contentieux scientifiques […] les opinions scientifiques divergentes sur un tel produit fortement utilisé étant pour le moins déconcertantes » [27]

Piquée au vif, l’AESA a répondu deux mois plus tard par la voix de Bernard Url, son directeur exécutif [28]. Ce dernier souligne dans un premier temps que le travail de l’AESA est « une évaluation plus complète des risques » que celle du CIRC, définie comme une « première étape d’évaluation ». Il rappelle ensuite que le glyphosate n’est pas la seule molécule faisant l’objet de différences entre le CIRC et l’AESA, indiquant que « bien que l’évaluation du CIRC ait été prise en compte, elle n’a toujours pas été confirmée ». Surtout, Bernard Url rappelle que le CIRC s’est intéressé au glyphosate seul et en formulation alors que l’AESA ne s’est intéressée qu’au glyphosate seul, « comme requis par la législation européenne »… Et d’annoncer que l’AESA et le CIRC se rencontreront « début 2016 pour discuter des preuves et des méthodologies différentes que ces deux organisations ont utilisées ».

Mais cette rencontre n’aura finalement pas lieu. Le 5 février 2016, le directeur du CIRC, Christophe P. Wild, demandait – comme M. Url l’avait incité à le faire au cours d’une conversation téléphonique, le 25 janvier 2016 – à l’AESA de corriger la présentation qu’elle faisait du travail du CIRC sur son site Internet. Point d’orgue des corrections demandées : le CIRC demande que l’AESA retire de son site l’affirmation que le travail du CIRC n’est qu’une « première étape d’évaluation préalable« . Une affirmation qui a hérissé le poil du CIRC qui sous-entendrait que son travail est superficiel ou préliminaire. Le CIRC rappelle donc dans son courrier à l’AESA que son travail est non pas préalable mais bel et bien « reconnu comme un travail de base faisant mondialement autorité dans l’évaluation des risques cancéreux. Loin d’être « préalable », il s’agit d’évaluations complètes ». Le 12 février, constatant qu’aucune des modifications demandées n’avait été faite, le directeur du CIRC annulait le rendez-vous avec l’AESA.

Lors d’une audition parlementaire le 1er décembre 2015, Bernard Url s’était d’ailleurs montré moins poli envers les scientifiques signataires de la lettre à la Commission européenne. Cité par Franziska Achterberg, de Greenpeace Europe [29], le directeur de l’AESA a accusé ces scientifiques de parti pris, les amenant à ne plus agir comme scientifiques mais comme lobbyistes, et à pratiquer une science type « Facebook » en comptabilisant le nombre de personnes aimant leur analyse…

Des déclarations d’intérêt au compte-gouttes

Sur la question de la transparence, Bernard Url défend que l’AESA s’est montrée « ouverte et objective » en mettant en œuvre ce que la législation lui impose. Et de préciser que « bien qu’ils n’y soient pas obligés par la loi, l’AESA a demandé aux experts des États membres qui ont participé à l’évaluation de soumettre une déclaration d’intérêt ». De quels experts parle-t-il ? Il faut en effet préciser que l’évaluation du glyphosate par l’AESA a suivi une procédure interne différente de celle des OGM : les experts appelés à travailler pour l’AESA sur ce dossier ont été nommés par les États membres et le panel « pesticides » de l’AESA – composé d’experts choisis par l’AESA – n’a eu aucun rôle dans cette évaluation [30]. Côté AESA, seuls ses salariés travaillant dans l’unité « pesticides » ont travaillé sur cette évaluation.

Or, selon l’association Corporate Europe Observatory (CEO), s’il est vrai que ces déclarations d’intérêt ont été demandées, reçues et publiées, leur contenu laisse pour le moins à désirer [31]. Sur 73 experts, « seuls quatorze ont accepté que leur nom soit rendu public […] L’AESA a rendu public le nom de leurs organisations nationales ». On peut ainsi lire que pour la France, six personnes de l’Anses ont participé mais les noms de cinq d’entre elles ont été gardés confidentiels. Toujours d’après CEO, sur ces quatorze experts, treize ont rempli une déclaration d’intérêt et douze ont accepté qu’elle soit publiée ! Soit 16% du total d’experts impliqués…

L’Union européenne et sa législation présidant à l’autorisation du glyphosate s’intéresse au glyphosate seul, sur la base notamment d’un avis de l’AESA qu’on ne saurait qualifier de positif. Il reste donc maintenant à attendre juin 2016 pour connaître le vote des États membres sur cette demande d’autorisation… Mais on observe d’ores et déjà que les discussions sont difficiles.

Des États membres s’opposent à la prolongation de l’autorisation, la Commission fait des propositions

Six organisations (Global 2000, PAN Europe, PAN UK, Générations Futures, Nature et Progrès Belgique et wemove.fr) ont porté plainte contre Monsanto, l’AESA et le BfR pour détournement de résultats scientifiques [32]. Dès le 4 mars, la France affirmait, par la voix de sa ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, qu’il « faut vraiment que l’Union européenne et la Commission s’alignent sur la position la plus protectrice de l’environnement et de la santé. La France va pousser pour la position la plus offensive, qui est la position de l’OMS » [33]. Une position qui se base notamment sur l’avis des experts français de l’Anses publié mi-février (cf. encadré). De son côté, la Suède a exprimé la même approche, déclarant « Nous n’allons pas prendre de risque avec le glyphosate et nous pensons que l’analyse conduite jusqu’à maintenant n’est pas bonne » [34]. Aux Pays-Bas, le Parlement a voté contre la prolongation de l’autorisation, amenant le gouvernement à demander un délai supplémentaire pour voter. Enfin, en Allemagne (pays ayant assuré l’évaluation de la demande de prolongation), une étude montrant la présence de glyphosate dans la bière paraît avoir fait flancher le ministre de l’Agriculture qui a déclaré vouloir « limiter, peut-être aussi interdire l’utilisation du glyphosate chez les particuliers » [35]. Une interdiction sélective qu’il devra justifier scientifiquement : pourquoi le glyphosate serait considéré dangereux pour les particuliers et pas pour les professionnels ?

Début mars, le Commissaire européen à la Santé, M. Andriukaitis [36], indiquait lors d’une conférence de presse que la Commission était prête à un compromis, comme par exemple réduire la durée de prolongation d’autorisation de 15 à 10 ans, d’interdire certains co-formulants ou encore encourager les États membres à conduire des surveillances environnementales. Il a aussi précisé que la Commission avait rencontré et échangé avec des scientifiques du CIRC afin, notamment, de rendre publiques des études fournies par les entreprises. Mais la Commission rappelle que la décision revient aux États membres. Elle rappelle également que ces derniers peuvent, à titre individuel, faire le choix d’interdire une substance autorisée à l’échelle européenne [37].

Pour l’Anses, « le classement du glyphosate [doit être] rapidement revu par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) »


En 2015, l’Anses a été interrogée par le gouvernement français ainsi que par les associations de consommateurs CLCV et UFC Que Choisir pour essayer de comprendre les divergences d’opinion entre le CIRC et l’AESA et savoir comment devait être classé le glyphosate (cancérogène probable ou non). Dix mois plus tard, elle rendait son avis après avoir étudié les rapports du CIRC, de l’agence allemande (BfR), de l’AESA et la législation européenne, mais reconnaît n’avoir pas eu le temps de se plonger dans les données brutes et la littérature scientifique [38].

Concernant le point fondamental de l’évaluation des risques liés au glyphosate dans sa formule commerciale, l’Anses annonce poursuivre « ses travaux par la mise en place d’un groupe de travail sur les risques liés aux co-formulants présents dans l’ensemble des préparations phytopharmaceutiques, en particulier pour l’usage amateur. Les travaux porteront prioritairement sur les préparations à base de glyphosate ». Une ambition toute à l’honneur de l’Anses puisque nous avons vu que la principale différence d’opinion entre le CIRC et l’AESA venait du fait que le premier s’est intéressé aussi à la formule commerciale alors que les experts européens ne se sont intéressés qu’au seul glyphosate…

Quant à la molécule de glyphosate seule, l’Anses considère que la différence d’études analysées par le CIRC et l’AESA « peut expliquer, au moins en partie, la différence [dans leurs] conclusions ». Elle indique également que « le niveau de preuve de cancérogénicité [et de génotoxicité] du glyphosate chez l’animal peut être considéré comme relativement limité ». Elle précise toutefois que certains phénomènes biologiques liés au glyphosate ne peuvent être exclus, à l’instar d’un possible stress oxydant qui pourrait inclure des cassures des brins d’ADN (et donc des mutations). Ce qui l’amène à recommander que l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) se penche « avec la plus grande attention » sur la question de possibles effets du glyphosate sur l’ADN qui ne peuvent être exclus.

Et pour ce qui est de la classification du glyphosate en tant que cancérigène probable, elle conclut que si les données scientifiques ne sont pas suffisamment convaincantes pour le classer comme tel, la question se pose effectivement de classer le glyphosate comme cancérogène probable à partir des données scientifiques existantes mais encore insuffisamment convaincantes (une classification qui n’induirait pas un refus d’autorisation).

En tout état de cause, l’Anses a décidé le 20 juin 2016, de retirer les autorisations de mises sur le marché de 132 produits associant le glyphosate.

OGM et glyphosate : des petites différences dans les procédures

Un OGM dont l’autorisation est en cours de renouvellement reste autorisé. Le MON810 a bien illustré cette particularité de la réglementation européenne. Ce maïs transgénique est en effet resté cinq années autorisé dans l’attente du renouvellement de son autorisation. Dans le cas du glyphosate, les choses sont un peu différentes : pour rester autorisée dans l’attente de son renouvellement, la substance doit avoir une prolongation formelle de son autorisation. Faute de quoi, elle devrait être retirée du marché. Ce qui devrait se passer si les États ne parviennent pas à se mettre d’accord le 6 juin.

[5Directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques

[8Directive 2010/77/UE de la Commission du 10 novembre 2010 modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en ce qui concerne la date d’expiration de l’inscription de certaines substances actives à l’annexe I

[16Tweet des Amis de la Terre Europe du 12 novembre 2015, https://twitter.com/foeeurope

[17en cours de publication par CEO

[23cf. note 18

[30Les experts composant les panels de l’AESA, et donc choisis par elle, doivent se soumettre aux règles de l’AESA en fournissant obligatoirement une déclaration d’intérêt. Les experts nommés par les États membres ne sont pas soumis à une telle obligation

[35Reporterre, ibid.

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