n°137 - novembre / décembre 2015

Face au chaos climatique : des OGM ou remettre l’Humain à sa place ?

Par Christophe NOISETTE, BONZI Bénédicte, Frédéric PRAT, Jacques DANDELOT

Publié le 28/10/2015

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A la veille de la Cop 21, la société civile vient de lancer un appel pour que les énergies fossiles restent dans les sous-sols [1]. Ainsi, chercheurs et membres d’ONG alertent sur les choix politiques faits ou à faire et leurs conséquences. Pour les signataires, poursuivre l’extraction de ces ressources dans l’état actuel des connaissances scientifiques apparaît comme une attitude criminelle (100 millions de personnes seront victimes du changement climatique dans les prochaines années, estime l’organisation humanitaire DARA [2]). Cet appel soulève la question des responsabilités que doivent porter les auteurs de décisions et d’actes qui ne tiennent pas compte des limites de la Planète et des besoins futurs.

Face à des changements climatiques qui mettent en péril la survie même de l’humanité et notamment les populations les plus fragiles, de nombreuses organisations, à l’instar de la Confédération Paysanne, de la Via Campesina, ou encore d’Oxfam, dénoncent l’irresponsabilité de poursuivre une agriculture industrielle qui accélère ces changements. Ces organisations en appellent à un changement radical de modèles agricoles et défendent une agriculture qui n’exploite pas la Nature, mais au contraire enrichit le sol, protège la biodiversité et ne voit pas les autres espèces comme un simple « garde-manger ». Ces organisations dénoncent le manque de volonté politique et l’inaction [3] des gouvernements, incapables de prendre la mesure de la catastrophe à venir… En matière agricole, le Protocole de Kyoto n’a eu aucun effet sur la production de gaz à effet de serre mais a permis de faire entrer dans la finance carbone les plantes génétiquement modifiée (PGM).

PGM et climat : quelles relations ?

Après seize années de travail en tant que veille citoyenne d’informations, Inf’OGM constate que les PGM s’inscrivent dans la droite ligne de l’agriculture industrielle et chimique. Si cette agriculture a contribué, dans un premier temps, à augmenter le nombre de calories disponibles, rien ne dit qu’une agriculture paysanne et écologique n’aurait pas réussi… En revanche, comme l’ont déjà dénoncé de nombreux agronomes, comme Marc Dufumier, cette agriculture hors-sol a provoqué de nombreux dégâts environnementaux, sociaux et culturels : confiscation des ressources (terres, eau, semences), concentration du capital, pollutions diverses, appauvrissement des sols, destructions des liens entre les hommes, leur environnement et le vivant (plante ou animal)…

Annoncées comme la « solution » aux dégâts de l’agriculture industrielle [4], on constate que globalement les PGM ont des impacts sanitaires, environnementaux et sociaux qui recoupent ceux de l’agriculture industrielle. De même, la promesse de PGM, capables de s’adapter aux perturbations climatiques en cours (sécheresse ou inondation) tout en ayant un impact écologique moindre, n’est pas nouvelle. Dès le début des années 2000, des chercheurs annonçaient avoir trouvé le gène de « résistance au changement climatique ». Quinze ans plus tard, une variété de maïs tolérant une pluviométrie réduite est commercialisée sur des surfaces anecdotiques. Dans les champs, on retrouve majoritairement du soja tolérant à un ou plusieurs herbicides. Les entreprises ont vendu aux responsables politiques ces PGM comme capables de réduire de façon vertigineuse les émissions de gaz à effet de serre, allant jusqu’à faire de l’alliance « sans labour + herbicide », le parangon de l’agriculture écologique. Or, nous constatons, au contraire, que la culture transgénique a, notamment, participé à la destruction de forêts natives [5] et de l’humus du sol, libérant ainsi dans l’environnement de grandes quantités de carbone… En une phrase : les PGM sont des plantes qui ont besoin d’engrais, de pesticides, d’herbicides… et de machines de plus en plus puissantes pour les épandre sur de vastes monocultures.

Les PGM permettent de breveter le vivant

Les PGM et les nouvelles techniques de transformation du vivant sont également, voire surtout, un prolongement et une accentuation de cette agriculture sur le plan des droits de propriété industrielle. L’agriculture est née de l’échange de semences entre agriculteurs ou communautés, puis sont arrivées les variétés protégées par des certificats d’obtention végétale (COV) qui réduisaient juridiquement ces échanges… Avec les PGM, ce sont les brevets, derniers avatars dans cette course à la privatisation du vivant, qui se sont imposés et qui sont déposés aujourd’hui sur les gènes « natifs », c’est-à-dire préexistants à l’état naturel. Ces brevets derniers cris permettent aux semenciers d’interdire aux paysans de semer ou ressemer les plantes « conventionnelles » dans lesquels ces gènes brevetés sont présents. Actuellement, les entreprises tentent de breveter de nombreuses séquences génétiques issues de plantes traditionnelles, qui pourraient leur servir à mettre au point des variétés capables de résister au changement climatique. Pour Navdanya, une ONG indienne, cette nouvelle forme de biopiraterie menace directement les revenus et les moyens de subsistance des agriculteurs, plus particulièrement dans les pays en développement [6].

Des PGM pour capter des crédits carbone

En septembre 2014, un sommet des Nations unies sur le climat a été l’occasion de lancer une « Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat » (« Global Alliance for Climate-Smart Agriculture ») [7]. Inf’OGM s’interrogeait alors : « l’agriculture intelligente face au climat [n’est-elle pas] le nouveau cheval de Troie de l’agriculture industrielle et des OGM, responsable, en partie, de ce dérèglement climatique ? ». Une question légitime au regard d’un rapport publié conjointement par la FAO et le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) qui présentait seize succès agricoles : aucun projet d’agro-écologie, alors que plusieurs concernaient des variétés hybrides ou transgéniques, etc.

Déjà en 2012, les PGM étaient mises sur le devant de la scène climatique, comme « solution »… Le secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), dont dépend le Protocole de Kyoto, accordait ainsi à l’entreprise étasunienne Arcadia BioScience l’inscription de sa technologie qui vise à améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’azote par les plantes (en anglais : Nitrogen Use Efficiency – NUE), comme éligible au crédit carbone dans le cadre des mécanismes de développement propre [8]. Et Monsanto, épaulé alors par WWF international, souhaitait faire reconnaître son soja Roundup Ready comme « durable », alors même qu’il a été pensé pour absorber de fortes pulvérisations d’herbicides… lesquelles ont favorisé l’émergence d’adventices résistantes à cet herbicide. Au final, les pulvérisations n’ont fait qu’augmenter en quantité et en toxicité [9].

Changer de cadre de pensée est devenu impératif

A l’instar de l’agriculture industrielle, les PGM sont dépendantes des énergies fossiles, requièrent une certaine organisation sociale, favorisent la concentration des ressources naturelles… Par le passé, Inf’OGM avait déjà fait le constat, à ce jour jamais démenti, que la coexistence OGM/non OGM est impossible, que l’évaluation des OGM avant mise sur le marché est biaisée et que le débat public est déficient [10] ; Inf’OGM réaffirme aujourd’hui que la culture dans laquelle évolue les sociétés occidentales, fondée sur le réductionnisme et une volonté de puissance technique et de domination par l’Homme d’une nature pensée extérieure à lui-même, a atteint son paroxysme… Le débat sur les changements climatiques a déjà fourni l’occasion à Inf’OGM de montrer que ces PGM participent du réchauffement climatique au lieu de l’atténuer [11].

Le lien entre changement climatique et guerre est de plus en plus documenté [12] : réfugiés climatiques et réfugiés de guerre peuvent avoir une origine commune quand ce qui est au cœur du conflit est l’accès aux richesses naturelles. L’engrenage qui conduit à l’effondrement de l’agriculture suite à la guerre est, de manière très schématique, celui-ci : déplacement des populations, perte des semences dans la fuite, perte du lien entre l’homme, son environnement et la plante, impossibilité de transmettre les savoir-faire traditionnels, arrivée de l’aide alimentaire (nourriture gratuite), reconstruction de l’agriculture avec introduction d’intrants chimiques et de semences modernes. Ce schéma se confirme partout dans le monde : en Irak, en Syrie, au Soudan… Ce sont aussi des pays où la crise climatique sera la plus violente. Or les éco-systèmes sont d’autant plus fragilisés quand les paysans, véritables gardiens d’un patrimoine séculaire qu’ils empruntent aux générations futures, cèdent le pas à la seule rationalité économique. Une fragilisation qui induit à son tour exode rural et fuite… Ainsi, l’abandon progressif du pâturage ou du pastoralisme, au profit des rations de soja + maïs, a permis de concentrer les élevages… Conséquence : désertification rurale, augmentation des risques de catastrophe dite « naturelle » (avalanche, feu de forêt, inondation), des émissions de méthane… Cette déconnection entre la production alimentaire et le territoire, déjà à l’œuvre avec l’agriculture industrielle, s’est accentuée avec les PGM. 

Ainsi, certaines organisations n’hésitent pas à parler d’écocide, ou de « crime climatique ». Qui est coupable ? Un tribunal international des Droits de la Nature, porté par la Global Alliance des Droits de la Nature en partenariat avec End Ecocide on Earth, NatureRights et Attac se réunira pour la troisième fois les 4 et 5 décembre à la Maison des Métallos (Paris 11°), concomitamment à la COP21 [13]. Cette initiative citoyenne entend non seulement témoigner publiquement de la destruction des conditions de vie sur Terre, mais aussi statuer sur des cas emblématiques, en se basant sur les cadres juridiques émergeant du « Droit de la Terre » (Déclaration Universelle des Droits de la Terre-Mère, proposition d’amendements au Statut de la Cour Pénale Internationale sur le crime d’écocide, en s’appuyant sur le Droit des Communaux Globaux). Si la notion de Droit de la Nature ou de la Terre peut s’avérer problématique – qu’est-ce qu’un droit sans devoir ? – l’idée de ce tribunal est de montrer le lien étroit et substantiel entre la vie en bonne santé mentale et physique des femmes et des hommes, et le maintien, la préservation et la régénération des éco-systèmes, et de défendre le droit de tous à vivre dans un monde sain.

Si Inf’OGM rappelle aujourd’hui ces constats effectués sur les PGM, le caractère irréversible du réchauffement impose de ne plus penser le monde avec les mots du XIX° siècle, avec les concepts d’un monde où l’être humain, épaulé par la techno-science, n’admet aucune limite à son désir de puissance. Ainsi, nous serons critiques, dans les années à venir, sur les « solutions » ancrées dans la continuité paradigmatique qui les condamnent à l’avance. Et, a contrario, nous montrerons que de vraies solutions existent, des solutions qui, elles, s’inscrivent dans un autre cadre de pensée… Par exemple, un cadre dans lequel il aurait été décidé que les énergies fossiles restent dans les sous-sols.

[1http://350.org/climate-crimes-fr/?pk_campaign=

Infolettre-365&pk_kwd=crimesclimatiquesstop-org

[3Les précédents sommets sur le climat n’ont jamais conduit à des recommandations contraignantes

[4L’AFBV demande aux gouvernements qui se réuniront à Paris en novembre, de consacrer un milliard d’euros par an pendant dix ans à la recherche biotechnologique.

[10, « Mission et valeurs », Inf’OGM, 28 août 2013

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