n°136 - septembre / octobre 2015

Des OGM « cachés » dans les pays et territoires d’Outre-mer ?

Par Claire CHAUVET, Frédéric GUERIN

Publié le 23/09/2015

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L’association STOP OGM Pacifique a interrogé la DG « Coopération internationale et Développement international » (DG Devco) de la Commission européenne, sur l’application de la réglementation européenne en matière d’OGM dans les Pays et Territoires d’Outre-mer (PTOM). Celle-ci a invité l’association à se tourner vers les États membres concernés, puisque « les PTOM sont associés à, mais ne font pas partie de, l’Union européenne (UE) (partie IV du Traité sur le Fonctionnement de l’UE) et, par conséquent, la législation de l’UE, y compris la législation sur les OGM, ne leur sont pas applicables automatiquement ».

Les Pays et Territoires d’Outre-mer (PTOM) sont des dépendances de quatre États membres de l’Union européenne : Danemark, France, Pays-Bas et Royaume-Uni. Mais ce ne sont effectivement pas des territoires européens même si leurs habitants sont des citoyens de l’Europe. Leurs statuts et leurs relations avec l’Union européenne sont définis au cas par cas. De même leur autonomie en matière réglementaire et leur degré de souveraineté sont très variés [1] [2]. Éloignement et insularité sont des particularités communes à ces bouts de territoires répartis aux quatre coins du monde. Bien qu’en moyenne 50% de leurs échanges commerciaux se fassent avec les États auxquels ils sont rattachés, leur approvisionnement en denrées alimentaires ou en intrants agricoles dépend fortement des puissances régionales dont ils sont proches : États-Unis et Canada pour Saint-Pierre et Miquelon, Australie et Nouvelle-Zélande pour la Nouvelle-Calédonie, Amérique latine pour les îles caribéennes, etc.

 

La transparence n’est pas de mise

En Nouvelle-Calédonie, l’association STOP OGM Pacifique aura mis presque un an pour obtenir des autorités une information claire et fiable quant à l’applicabilité de la réglementation française sur les OGM et du protocole de Carthagène. La Nouvelle-Calédonie n’est pas incluse dans ce protocole comme la plupart des PTOM, impliquant, de fait, la non transcription des règlements nationaux à l’échelle territoriale. De la même façon, en Polynésie française, les règles de biosécurité restent floues : sur son site Internet, le service phytosanitaire informe que « l’importation d’OGM vivants reste interdite en attendant les conclusions des autorités scientifiques », alors que les textes fondateurs en la matière n’en font aucune mention [3]. La menace est pourtant sérieuse puisque la Polynésie française entretient des liens de coopération agricole étroits avec Hawaï, terre de prédilection des OGM, où la papaye transgénique est cultivée depuis 1998 (90% des plants) et où plus de 5 000 essais en champs ont été menées [4].

 

Ce flou juridique semble en arranger certains. Oxitec par exemple, leader mondial des insectes GM, a réalisé aux Iles Caïmans en 2009 ses premiers lâchers de moustiques transgéniques sans que les clauses du Protocole de Carthagène, ratifié par la Grande-Bretagne, n’aient été respectées, en particulier celles relatives à l’information du public [5]. La même entreprise a démarché l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie pour des essais de moustiques GM sur l’île de Tiga dans l’archipel des Loyautés. Il faut avouer que l’on y rencontre des conditions idéales : Tiga est une île de 10 km², peuplée de 150 habitants et particulièrement isolée du reste du territoire ; un mini-laboratoire, bénéficiant à proximité de l’implantation d’un institut de recherche français, au moment même où l’Europe se trouve confrontée à la propagation des moustiques vecteurs du Zika ou de la Dengue [6].

 

Papayes et bananes (dans le Pacifique), café (en Guyane [7]), moustiques (aux Iles Caïmans), autant d’OGM « exotiques » expérimentés et potentiellement cultivés dans les « paradis tropicaux » européens pour lesquels peu d’informations sont disponibles dans les États membres de l’UE. Quand bien même la réglementation sur les OGM s’appliquerait, les PTOM se trouvent confrontés à deux problèmes majeurs tant au niveau de l’agriculture que des produits commercialisés : la difficulté de mettre en place les mesures de contrôle adéquates et la fragilité de leur marché au sein des espaces régionaux. Saint-Pierre et Miquelon est un cas d’école : située sur le continent nord-américain, cette île est directement en prise économique avec le Canada, à moins de 30 km de ses côtes (toute proche de l’île du Prince Edouard où sont élevés les alevins du saumon transgénique de l’entreprise Aquabounty).

 

A l’inverse, l’autonomie des PTOM leur donne la liberté de légiférer sur la culture des OGM ou leur étiquetage en dehors des cadres réglementaires lourds de l’UE. Ainsi l’interdiction d’importation des semences GM (fruits et céréales) a fait l’objet d’un arrêté gouvernemental en Nouvelle-Calédonie en 2014, le territoire ayant mis en avant la préservation de l’agro-biodiversité locale. Aux Bermudes, l’interdiction d’importer du Round-Up vient d’entrer en vigueur, et les agriculteurs ont bon espoir d’obtenir un contrôle des semences GM à l’importation d’ici peu de temps [8].

 

Pour conclure, l’application des textes de loi sur les OGM dans les PTOM dépend d’une part du positionnement des États membres de l’UE concernés et d’autre part de la volonté des décideurs politiques locaux. Choisir de ne pas réglementer la dissémination des OGM dans les PTOM au détriment de l’environnement et du droit des consommateurs est une chose, ne pas disposer de l’information en est une autre. Les territoires eux-mêmes, pour certains, semblent méconnaître la situation. Souhaitant que la lumière soit faite dans ces bouts d’Europe aux quatre coins du globe, STOP OGM Pacifique réalise actuellement un inventaire des dispositifs réglementaires des 24 PTOM européens [9]

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