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UE – OGM : renationaliser l’utilisation d’OGM pour l’alimentation humaine et animale ? De plus en plus d’oppositions

Par Pauline VERRIERE, Charlotte KRINKE

Publié le 25/01/2018

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Courant avril 2015, quelques mois après l’achèvement du processus d’adoption de « l’opt-out » culture (renationalisation des autorisations) [1], la Commission européenne a fait une nouvelle proposition [2] : permettre aux États membres d’interdire sur leur territoire l’utilisation d’OGM pour l’alimentation humaine ou animale. Une proposition qui soulève de nombreuses questions quant à sa mise en œuvre pratique [3]. Le processus législatif lié à cette décision, qui s’avère en principe long de plusieurs années, pourrait tourner court tant il fédère contre lui d’opposition. Après l’opposition de ses commissions « Agriculture » et « Environnement », le Parlement européen a, le 28 octobre 2015, rejeté, en plénière, cette proposition de « re-nationaliser » l’interdiction d’OGM dans l’alimentation humaine et animale, suite à une autorisation au niveau européen. En septembre 2015, c’est le Comité économique et social européen (CESE) qui rend un avis défavorable sur ce projet. Le dossier a depuis été confié au Conseil de l’UE, mais son service juridique a rendu, en janvier 2016, un avis également défavorable. Janvier 2018 : la Bulgarie, présidente pour six mois du Conseil, ne mettra pas le sujet à l’ordre du jour…

La proposition de la Commission européenne concernant l’alimentation humaine et animale [4] n’en est qu’au tout début de ce cheminement législatif qui peut s’avérer relativement long [5]. N’oublions pas que l’adoption de l’opt-out culture a pris plus de quatre ans entre la proposition initiale et sa publication effective au Journal officiel de l’UE (JOUE) !

C’est la Commission « environnement », au sein du Parlement européen, qui a été saisie au fond pour examiner cette proposition. Giovanni La Via, eurodéputé italien du Parti populaire européen (démocrates – chrétiens), en a été nommé rapporteur en juin dernier. Sans surprise, le rapport de la Commission « environnement » qui appelle à rejeter la proposition de la Commission européenne, a été adopté à une large majorité [6], le 13 octobre 2015 [7]. A l’issue de ce vote, le rapporteur précisait que, pour les membres de la Commission, « les États membres devraient assumer leurs responsabilités et prendre une décision, ensemble, au niveau de l’UE. (…) Alors que nous avons mis tant d’années à nous débarrasser des barrières internes, cette proposition pourrait fragmenter le marché intérieur et conduire à un retour à des contrôles aux frontières ».

Dans son exposé des motifs, ce rapport évoque d’autres craintes : absence d’étude d’impact de cette proposition, problème de compatibilité entre les mesures nationales prises sur la base de cette proposition et droit international (OMC), faisabilité directe sur le terrain…

La Commission « agriculture » avait déjà, le 3 septembre 2015, pris position contre le texte de la Commission européenne, et avait invité formellement la Commission « environnement » à le rejeter. José Bové, député européen membre de la Commission « agriculture », salue le rejet massif de ce texte qui créera une « pagaille générale » et qui ne répond pas aux différentes attentes sur le dossier OGM : nouvelle évaluation, étiquetage des produits animaux nourris aux OGM, processus d’autorisation plus démocratique.

Le Parlement européen, en plénière, a rejeté, le 28 octobre, à une très forte majorité (577 contre, 75 pour, 38 abstentions), la proposition de la Commission européenne [8]. Ce vote n’est pas une surprise. En effet, dès juillet 2015, le Parlement européen avait déjà précisé, par voie de presse [9] qu’une « majorité claire » se dessin[ait] au Parlement à l’encontre de ce projet initial. Les eurodéputés soulignent des craintes similaires à celles évoquées par la Commission « environnement ». Au-delà des arguments déjà évoqués, certains eurodéputés estiment que cette proposition ne vise au final qu’à « garantir une procédure d’autorisation plus rapide » sans s’attaquer aux problèmes réels, notamment de reformer la procédure d’autorisation, comme l’avait laissé entendre Jean-Claude Junker, président de la Commission européenne, lors de son arrivée en fonction.

Les euro-députés attendent donc de la Commission européenne une nouvelle proposition. Problème pour cette dernière, ce projet est à prendre ou à laisser. En septembre, le représentant de la Commission européenne, Ladislav Miko, avait déjà répondu à cette demande : « Notre commissaire a déjà formulé une réponse très claire : nous ne disposons pas de plan B pour cette proposition (…). Si la proposition est rejetée, nous allons rester dans la situation actuelle »… Ce que vient de confirmer le commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis. Pour lui, étant donné que cette proposition est « tout à fait respectueuse du marché unique », il a confirmé que « la Commission ne comptait pas retirer sa proposition ». Le texte est actuellement en discussion devant le Conseil de l’Union européenne [10].

Mi-décembre, c’est le Comité des Régions [11] qui doute « très sérieusement de la pertinence » de la proposition de la Commission [12]. Dans son avis, le Comité rappelle la nécessité d’une révision en profondeur de la procédure d’autorisation, ce que ne permet pas cette proposition ni l’adoption de l’opt-out sur les cultures. Elle déplore également le manque de prise en compte des objections socio-politiques exprimées par les États membres dans le cadre de la procédure d’autorisation : « C’est en fin de compte l’évaluation des risques de l’AESA qui constitue le principal élément sur lequel la Commission base sa décision », évaluation par ailleurs critiquée par certains États membres. Face à ces constats, le Comité suggère une modification de la procédure d’évaluation dans laquelle la Commission ne pourrait autoriser un OGM « que si le comité permanent ou le comité d’appel l’ont également approuvé au moins à la majorité qualifiée ». Rappelons que cette instance n’a qu’une fonction de consultation. Libre donc à la Commission européenne d’en tenir compte… ou pas.

Autre instance consultative qui n’apportera pas son soutien au projet de la Commission européenne : le Comité économique et social européen (CESE). Cet organe est chargé de porter auprès des instances de l’UE la voix de la société civile [13]. En septembre 2015 [14], le Comité a recommandé à la Commission européenne de retirer son projet de texte. Il considère notamment que cette réglementation viendrait perturber le fonctionnement du marché intérieur et mettrait en place des distorsions de concurrences à l’échelle internationale. Sur ce dernier point, il souligne que les États-Unis ont fait de l’abandon de ce projet de texte une condition à la conclusion des négociations commerciales internationales actuellement en cours [15].

Nouveaux désaveux : le service juridique du Conseil de l’UE doute de sa faisabilité

Après le Parlement européen, c’est désormais au Conseil de l’UE de se prononcer sur le projet de texte. Au cours des débats, une majorité d’États membres s’est exprimée avec force contre le projet, et a demandé une évaluation juridique et économique de sa faisabilité. Dans sa note, publiée le 19 janvier, le service juridique estime que la base juridique retenue pour la mise en œuvre de ce projet ne correspond pas à ses objectifs [16].

Surtout, le service juridique estime qu’il existe « un doute sérieux » sur la compatibilité de la proposition de la Commission européenne avec les règles du fonctionnement du marché intérieur et de celles de l’OMC. Une restriction ou une interdiction d’un OGM pour l’alimentation humaine ou animale aurait nécessairement des impacts sur le fonctionnement du marché intérieur et sur la libre circulation des marchandises, principes forts au sein de l’UE. À noter que pour l’opt-out culture [17], cette même question de compatibilité avait été évoquée mais n’avait finalement pas été retenue. Cette comptabilité vis-à-vis de l’OMC évoluerait-elle en fonction du soutien politique d’un texte ?

Deux ans et demi plus tard, toujours pas d’accord

Cela fait maintenant presque deux ans et demi que la proposition de règlement de la Commission européenne est sur la table du Conseil, où elle est toujours en attente d’une première lecture. Entre temps, la Commission a lancé la réforme dite de « Better regulation » qui consiste, notamment, à retirer les propositions pour lesquelles aucun accord n’est en vue.

Mais la proposition de règlement sur les importations d’OGM n’est pas concernée : la Commission estime que c’est au Conseil de prendre la responsabilité politique d’un tel retrait. En tout état de cause, la procédure législative ne risque pas de se remettre en marche de sitôt : la proposition de la Commission européenne continue de diviser les États membres et d’interroger sur sa compatibilité avec les règles de libre circulation des marchandises. Et, sans surprise, la Bulgarie, qui assure la présidence tournante du Conseil depuis janvier 2018, a déjà annoncé qu’elle n’avait pas l’intention de mettre le sujet à l’ordre du jour…

[4Contrairement à ce que nous avons pu écrire précédemment, cette proposition ne concerne pas la mise en place d’une procédure d’interdiction à l’importation d’OGM. La Commission européenne fait clairement la distinction : « Les restrictions ou interdictions adoptées en vertu du présent règlement devraient faire référence à l’utilisation, et non à la libre circulation et à l’importation de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux génétiquement modifiés » (considérant 9 de sa proposition)

[5Pour connaître les grandes lignes de la procédure législative européenne : ABC du droit de l’UE, page 104, http://europa.eu/documentation/legislation/pdf/oa8107147_fr.pdf

[643 contre la proposition de la CE, 3 pour et 5 abstentions

[11chargé de porter la voix des régions et villes européennes au sein des instances de l’UE

[13Le Comité est divisé en trois groupes : employeurs, travailleurs et activités diverses où se retrouvent par exemple pour la France, le MEDEF, la FNSEA, la CGT, FO, France Nature Environnement (FNE), la Via Campesina ou encore l’association de consommateurs CLCV : http://www.eesc.europa.eu/?i=portal.fr.home

[16Cette même question s’était posée pour l’opt-out culture. http://www.infogm.org/spip.php?article4719. La base juridique d’un texte donne la légitimité juridique aux objectifs qu’il poursuit. Le service juridique conteste ici le choix de l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), la même base que celle initialement retenue pour l’opt-out culture, qui avait finalement basculé sur l’article 192, portant sur l’environnement. Rien ne prouve en effet que le projet de texte de la Commission européenne permettra une amélioration du fonctionnement des autorisations et du mécanisme de sauvegarde

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