n°136 - septembre / octobre 2015

OGM aux Etats-Unis : l’industrie obtient gain de cause

Par Pauline VERRIERE

Publié le 02/09/2015

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Depuis plusieurs années, s’amorce aux États-Unis un mouvement de contestation vis-à-vis des plantes génétiquement modifiées (PGM) et de demande d’une plus grande transparence sur le contenu des aliments. Aux dires de nombreux collectifs étasuniens, l’auto-proclamée « plus grande démocratie du monde » prend moins en compte, en tout cas sur la question des OGM, l’opinion publique que celles des groupes agro-industriels. Entre pression locale des citoyens et pression nationale des lobbys pro-OGM. Inf’OGM fait le point sur trois dossiers : les zones sans OGM, l’étiquetage et les autorisations.

Aux États-Unis, moins de 1% des comtés ont décidé d’interdire les cultures de PGM [1]. Limités par leur nombre et leur portée (ils sont parfois temporaires et ne concernent pas systématiquement tout type de culture GM), ces moratoires sont néanmoins régulièrement attaqués devant les tribunaux.

La difficile mise en place de zones sans OGM

C’est le cas du moratoire adopté en 2014 dans le Comté de Jackson dans l’Oregon (côté ouest des États-Unis). Cette interdiction des cultures d’OGM pour prévenir les risques de contamination devait entrer en vigueur en juin 2015, mais c’était sans compter sur les recours en justice. Attaqué par deux producteurs de luzerne GM, le Comté attend l’épuisement de tous les recours avant d’appliquer effectivement son interdiction. En mai dernier, une première sentence a été prononcée par un juge fédéral en faveur du moratoire : ce dernier a refusé de considérer que l’interdiction de cultiver des OGM contrevenait au principe du droit de cultiver (« right to farm ») énoncé dans la réglementation d’Oregon [2]. Ce principe assure la primauté du droit des agriculteurs à poursuivre leur activité face à d’éventuelles plaintes de voisinage (contre par exemple les odeurs ou bruits provenant d’une exploitation agricole). Le juge confirmait donc dans un premier temps le droit du Comté de légiférer sur la question : puisque des alternatives aux cultures GM existent, le droit de cultiver n’est pas entaché. Mais le tribunal n’a pas encore répondu à la question d’un éventuel dédommagement des agriculteurs empêchés de cultiver des OGM. Ce ne sont pas moins de 4,2 millions de dollars que ces derniers réclament au Comté pour compenser ce qu’ils vivent comme étant une expropriation de leur terre, n’ayant plus la liberté de cultiver ce qu’ils y souhaitent [3]… Pour le Center for Food Safety (CFS), une ONG étasunienne qui soutient les pouvoirs locaux dans l’élaboration de réglementation contre les OGM, il s’agit d’une grande victoire. Mais il ne doute pas que les parties adverses, soutenues dans leur recours par des entreprises de biotechnologies, ne fassent appel de cette décision [4].

Le Comté de Maui, à Hawaii, a eu moins de chance : son moratoire [5] a été invalidé en juin 2015 par un tribunal fédéral au nom de la hiérarchie des normes : un comté de l’état d’Hawaii n’a pas la compétence pour prendre une telle réglementation. Une interdiction des cultures ne pourrait donc être adoptée qu’au niveau de l’État. Les structures militantes en appui de ce moratoire souhaitent faire appel. Toujours à Hawaii, le Comté de Hawaii avait, lui aussi, adopté un moratoire partiel sur les PGM qui a été annulé par un juge fédéral. Les partisans du principe de précaution ont fait appel.

Face aux sursauts des Comtés, plusieurs états se sont donc dotés, petit à petit, de réglementations similaires à celle d’Hawaii, pour empêcher toute velléité de création de zone sans OGM à une échelle plus locale. C’est également le cas dans l’Oregon, mais le Comté de Jackson a fait passer son moratoire avant l’élaboration de la loi de l’état. Les autres Comtés moins rapides n’auront pas la possibilité de lui emboîter le pas.

Les avancées de l’étiquetage sans OGM

Au-delà des moratoires dont l’adoption reste encore rare aux États-Unis, nombreux sont les états qui œuvrent à la mise en place d’un étiquetage pour rendre obligatoire l’information des consommateurs sur le contenu des aliments. Trois états, le Maine [6], le Vermont [7] et le Connecticut [8] ont effectivement adopté une réglementation rendant obligatoire l’étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM. Dans d’autres états, ces lois, soumises à des referendums, n’ont pas réussi à voir le jour, comme dans le Colorado, dans l’Oregon, ou en Californie. Les dizaines de millions de dollars des entreprises de biotechnologies, alliées à celles de l’agro-alimentaire, n’ont pas été investis en vain. Mais la bataille n’est pourtant pas terminée. Une trentaine d’autres projets d’étiquetage ont été mis à l’ordre du jour dans plusieurs états [9]

Si chaque projet d’étiquetage est fermement combattu à l’échelle de chaque état par les entreprises de l’agro-industrie, ces dernières attaquent également au niveau national. Déjà en 2013, le Sénateur King introduisait un amendent dans la loi d’orientation agricole [10], qui devait empêcher toute élaboration locale d’un étiquetage alors considéré comme une entrave au commerce. L’amendement a finalement été rejeté. Mais l’envie de certaines personnalités politiques d’empêcher toute velléité de mise en place d’un étiquetage obligatoire reste d’actualité [11]. Adopté en première lecture par la chambre des représentants en juillet 2015 (275 voix, majoritairement républicaines, pour et 150 contre), le texte H.R. 1599 supprime toute possibilité pour l’échelle locale de mettre en place un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM. Il met en revanche en place un étiquetage volontaire avec ou sans OGM pour les entreprises souhaitant jouer la carte de la transparence. Le Center for Food Safety rappelle que les autorités américaines permettent déjà depuis 14 ans un étiquetage volontaire avec OGM, sans qu’une seule entreprise américaine ne se soit jamais aventurée à le faire [12]. Les seules entreprises du marché qui étiquettent le font pour du « sans OGM ». Ceci représentent environ 2% des produits disponibles sur le marché (cf. encadré). Le texte impose la mise en place d’une certification nationale pour les produits « sans OGM », aujourd’hui encadrée par des initiatives privées.

Les opposants au texte soulignent combien cette mesure est sans rapport avec la demande initiale d’un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM… Le texte confirme enfin la possibilité aux produits contenant des OGM de bénéficier de l’allégation « produit naturel ». C’est maintenant au tour du Sénat de considérer d’ici quelques semaines la loi (il n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour). Les opposants au texte espèrent que les Sénateurs prêteront une oreille plus attentive à leurs arguments que ne l’ont fait les représentants. Ils seront peut-être sensibles à l’appel de plusieurs actrices américaines et mères de famille, notamment Gwyneth Paltrow (Shakespear in Love) et Sarah Michelle Gellar (Buffy contre les vampires) qui réclament dans les médias plus de transparence sur le contenu de l’assiette de leur enfant [13]. Une prise de position de célébrités qui devrait en tout cas sensibiliser une partie de la population à cette question.

Un autre texte à l’échelle nationale a également été déposé devant le Congrès américain [14] début 2015, pour mettre en place un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM. Il n’est pour l’instant pas encore inscrit à l’ordre du jour d’aucune des deux chambres du Congrès (Chambre des représentants et Sénat) et ne serait plus d’actualité si le premier texte venait à passer.

Autre menace pour un étiquetage obligatoire : les traités bilatéraux. Tous comme les citoyens européens, certaines ONG étasuniennes et citoyens craignent que les traités bilatéraux actuellement en négociation limitent encore plus la possibilité de mettre en place un étiquetage des OGM. Ces derniers pourraient également rendre impossible toute mise en place d’un étiquetage contraignant [15], les entreprises pouvant alors attaquer de telles lois comme une entrave au commerce auprès des tribunaux d’arbitrage.

La route semble encore longue avant qu’un étiquetage obligatoire des OGM dans l’alimentation soit rendu obligatoire aux États-Unis. Il s’agissait pourtant d’une promesse de campagne de celui qui, en 2007, n’était alors pas encore président [16].

Nouveau chantier : révision de la réglementation sur les OGM

S’il n’avance pas sur sa promesse d’étiquetage, le président Obama a cependant ouvert un chantier sur le dossier OGM. Il a annoncé, au cours du mois de juillet, une modernisation de la réglementation nationale sur les OGM [17]. Il n’existe pourtant pas de réglementation spécifique aux OGM, ce sont d’autres textes plus généralistes qui s’appliquent. Ainsi, les OGM dans l’alimentation sont couverts par le Food, Drug and Cosmetic Act et leur culture entre dans le champ d’application du Plant Protection Act [18]. Concernant les PGM destinées à l’alimentation, si les entreprises prouvent une équivalence en substance entre leur produit et un produit homologue conventionnel, elles n’ont pas à présenter de dossiers (étude de nutrition ou de toxicologie, par exemple). De même, pour les questions environnementales, le ministère de l’Agriculture (USDA) et l’Agence de protection de l’environnement (EPA) ne demandent une évaluation plus complète que si une première évaluation plus légère conclut à sa nécessité. Cependant, les entreprises préfèrent se couvrirent en demandant à ces deux administrations d’évaluer leur PGM. Elles pourront alors se cacher derrière cette autorisation pour se dédouaner en cas d’éventuels dommages [19].

C’est pourtant cette absence de réglementation qui est aujourd’hui considérée, par les entreprises de biotechnologies, comme « complexe », qui apporte de « l’incertitude », des « coûts » et des « délais supplémentaires » et en bout de course se traduit par un manque de confiance des consommateurs (cf. note 16). Malgré un encadrement juridique particulièrement succinct, l’administration Obama semble vouloir alléger encore un peu plus toutes contraintes pour les entreprises tant elle insiste sur les lourdeurs que ce système semble créer.

Le chantier sera néanmoins de longue haleine et doit se développer autour de trois axes : clarification des rôles et responsabilités des différentes administrations compétentes sur la question des OGM ; élaboration d’une stratégie sur le long terme pour prendre en compte plusieurs facteurs (évaluation des risques, réduction des coûts et barrières, transparence…) ; mise en œuvre d’une évaluation indépendante des OGM de demain… Pour cela, un groupe de travail interne aux administrations va être instauré et une évaluation indépendante de ces administrations sera menée.

Les États-Unis, learder incontestés des OGM, restent donc toujours plus sensibles aux chants des sirènes biotechnologiques qu’aux demandes des citoyen-ne-s… Mais l’enjeu est bien au-delà des OGM transgéniques. D’autres biotechnologies se développent à toute vitesse et pour ces dernières, les industriels sont bien décidés à leur garantir l’opacité la plus totale.

Étiquetage : un coût prohibitif ?


La demande en produits bio ou sans OGM ne cesse d’augmenter aux Etats-Unis, à tel point que le pays doit importer l’alimentation certifiée sans OGM destinée à l’élevage [20]. De nombreuses grandes marques (Chipotle, Four Roses, Ben & Jerry, etc.) se mettent elles aussi à proposer des produits sans OGM, sans pour autant que ces allégations offrent de vraies garanties pour le consommateur [21]. Les opposants à l’étiquetage obligatoire des aliments avancent comme argument l’augmentation des coûts pour les entreprises : car si les consommateurs se détournent des produits étiquetés, les entreprises vont devoir s’aligner pour proposer du sans OGM. Or, l’alimentation animale et ces matières premières sans OGM sont rares aux Etats-Unis (et donc chères) : l’augmentation de la demande augmentera donc les prix pour l’industriel et en bout de course pour les consommateurs. Une étude de l’Université de Cornell parle d’une augmentation de 500 dollars par an et par foyer [22], étude contestée par une association de consommateurs, pour qui ce coût ne devrait pas dépasser 2,30 dollars. Quel que soit le coût, faut-il pour autant ignorer la volonté des consommateurs qui souhaitent éviter les OGM dans l’alimentation ?

[1Inf’OGM a identifé au moins les 13 comtés suivants : Boulder (2012), Hawaii (2008), Humboldt, Jackson (2014), Josephine, Kawai, Marin, Maui (2014), Mendocino (2004), Montville (2012), San Juan (2012), Santa Cruz (2006), Trinity (2004)

[11H. R. 1599, Safe and Acurate Food Labeling Act of 2015. https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/1599/text

[14H.R. 913, To amend the Federal Food, Drug, and Cosmetic Act to require that genetically engineered food and foods that contain genetically engineered ingredients be labeled accordingly, https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/913/text

[16http://action.fooddemocracynow.org/sign/label_gmos_now/

 ?ak_proof=1&akid=.196395.6NXxOv&rd=1&t=6

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