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FRANCE – L’Anses défavorable à quatre autorisations d’OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 10/06/2015

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L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), en charge d’évaluer les impacts sanitaires des plantes génétiquement modifiées (PGM), a publié quatre avis « défavorables » sur les cinq demandes d’autorisations de PGM qu’elle a expertisées en 2014.

Le parcours d’une demande d’autorisation pour un OGM dans l’Union européenne est maintenant bien connu : dépôt par l’entreprise d’un dossier contenant les résultats d’analyses scientifiques requises, consultation des experts européens réunis au sein de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), proposition d’autorisation ou de refus par la Commission européenne aux États membres, opinion des comités d’experts nationaux et vote des États membres. Certains comités, à l’instar de l’AESA, se sont illustrés par leur propension à délivrer essentiellement des avis positifs. En France, l’Anses est plus critique : en 2014 elle délivrait quatre opinions défavorables – sur trois sojas et un colza [1] – sur cinq demandes d’autorisations à l’importation (pas pour la culture). En toute logique, le gouvernement français devrait donc voter contre ces demandes lorsque les dossiers seront soumis au vote des États membres.

Pour l’Anses, les données toxicologiques sont incomplètes…

En 2014 donc, l’Anses a émis « un avis défavorable à la demande d’autorisation de mise sur le marché » de trois sojas et un colza : le soja 305423, modifié pour tolérer le glyphosate et avoir un taux supérieur en acide oléique ; le soja Mon87769*MON89788, modifié pour tolérer le glyphosate et avoir un taux supérieur en acides gras ; le soja DAS-81419-2 modifié pour qu’il produise un insecticide contre des lépidoptères ; et le colza Mon88302*Ms8*Rf3, modifié pour tolérer les herbicides à base de glyphosate et de glufosinate d’ammonium. L’Anses avance plusieurs raisons à ses conclusions.

Pour le soja 305423 de Pioneer Hi-Bred [2], l’Anses constatait en 2008, d’une part que ce soja GM n’était pas « satisfaisant d‘un point de vue moléculaire » (plusieurs insertions de séquences transgéniques complètes ou tronquées dans le génome du soja au lieu d’une seule) ; et d’autre part qu’il n’était pas équivalent en substance avec son parent non GM (teneurs plus élevées en acide heptadécanoïque et en acide heptadécénoïque sans que cette « augmentation [soit] (…) expliquée par la modification génétique »). L’Anses notait aussi que l’entreprise n’avait pas approfondi les analyses de composition conformément aux « recommandations du Codex alimentarius 2007 et de l’OCDE 2002 », pour ce qui est de l’huile (phytostérols), de la lécithine et des protéines isolées de soja, qu’elle n’avait pas fourni d’« étude de toxicité sub-chronique de 90 jours chez le rat avec l’aliment », et que les études d’alimentarité réalisées par l’entreprise ne permettaient « pas de conclure sur les effets éventuels de la modification de la composition en acides gras de l’huile et sur l’équivalence nutritionnelle du soja 305423 et de son témoin ». Sur la base de nouveaux éléments fournis par Pioneer, l’Anses concluait en juillet 2014 que si l’entreprise avait apporté des précisions sur les données moléculaires, le dossier ne permettait toujours pas de conclure à une absence de risque : les analyses de composition ne permettent pas de conclure à l’équivalence en substance et celles de toxicologie ne permettent pas « de conclure sur les éventuels effets toxiques »….

Pour le soja Mon87769*MON89788 de Monsanto [3], les critiques étaient en partie similaires. En juillet 2014, l’Anses expliquait que l’analyse de composition n’avait pas été faite en suivant « les recommandations de l’[AESA] », qu’aucune analyse de toxicité sub-chronique de 90 jours n’était fournie et que l’équivalence en substance de ce nouveau soja avec des variétés conventionnelles n’était pas démontrée…

Idem pour le soja DAS-81419-2 de Dow AgroSciences [4] : une équivalence en substance non démontrée et aucune étude de toxicité sub-chronique de 90 jours. Mais l’Anses souligne aussi que ce dossier ne présente aucune évaluation nutritionnelle et que « les données brutes [des analyses de composition], non transformées, n’ont pas été fournies par le pétitionnaire », confirmant que la société civile n’est pas la seule à exiger de telles données.

Enfin, le dossier du colza Mon88302*Ms8*Rf3 de Monsanto et Bayer CropSciences [5] ne contient aucune « étude de toxicité sub-chronique de 90 jours réalisée chez le rat avec le colza [empilé] ou avec le colza parental MON88302 ».

Un dossier évalué par l’Anses en mars 2014 a reçu un avis favorable, celui du soja génétiquement modifié BPS-CV127-9, de BASF et modifié pour résister aux herbicides à base d’imidazolinone [6]. L’Anses avait émis un avis en 2009, qu’elle rappelle dans son avis de 2014, dans lequel elle affirmait qu’« elle ne pouvait pas conclure sur la sécurité sanitaire de cet OGM en l’absence d’une étude de toxicité sub-chronique de 90 jours chez le rat ». Le détail de l’avis délivré en 2009 montre que d’autres imprécisions avaient été commises par BASF, avec une analyse de composition chimique et d’alimentarité incomplètes. Ce n’est qu’après avoir fourni des éléments complémentaires que BASF a finalement obtenu un avis favorable.

… tandis que pour l’AESA, elles sont bien suffisantes

Les experts réunis au sein de l’AESA ont terminé l’expertise d’un seul des quatre dossiers rejetés par l’Anses, celui du soja 305423 de Pioneer. Et, surprise, ils donnent, à l’inverse de l’Anses, un avis favorable à son autorisation commerciale. Serait-ce que la « bonne science », dont tous se réclament sans jamais la définir, serait différente aux niveaux européen et national ? Voyons comment se justifie l’AESA.

En 2013, l’AESA concluait que le soja 305423, « tel que décrit dans la demande d’autorisation, est aussi sûr que sa contre-partie conventionnelle quant aux potentiels effets sur la santé humaine et animale et l’environnement » [7]. Si l’AESA constate elle aussi, effectivement, que , « l’équivalence n’a pas pu être établie » sur plusieurs paramètres, ceci ne justifie pas un avis défavorable… Quant aux analyses de toxicologie dont l’Anses souligne l’absence, l’AESA précise avoir déjà étudié de telles analyses sur un autre soja GM, le soja 356043 de Pioneer (UK/2007/43) qui a été génétiquement modifié pour exprimer la même protéine. Une extrapolation illégitime car scientifiquement très fragile… En effet, l’Anses notait en 2011 que les analyses de toxicologie fournies pour le soja 356043, réalisées avec « un faible nombre d’animaux (12 rats de chaque sexe par groupe), augmente le risque d’avoir une puissance insuffisante pour les tests statistiques » [8]. Pour résumer, l’AESA accepte l’absence d’analyse de toxicologie du soja 305423, arguant avoir déjà étudié une telle analyse pour un autre soja, analyse que les experts français avait cependant critiquée…

Dans le cas du soja BPS-CV127-9, l’Anses et l’AESA divergent également mais pour malgré tout arriver à la même conclusion favorable. Si les experts français ont donné un avis favorable en 2014 sur la base d’une analyse de toxicologie finalement fournie, les experts de l’AESA ont eux donné un avis favorable en janvier 2014, malgré une étude de toxicologie qu’ils estimaient déficiente. En effet, l’AESA a souligné que l’entreprise n’avait pas intégré dans ses analyses les possibles biais que représente le fait de mettre cinq rats dans une même cage. Un point que n’avaient pas souligné les experts français. Et une situation qui confirme que l’AESA peut souligner une déficience toxicologique, sans qu’au final cela soit un obstacle pour un avis favorable… La « bonne science » est décidément à géométrie variable…

Les autorisations étant acceptées ou refusées selon les règles de comitologie (nécessité d’une majorité qualifiée des États membres), un État membre, seul, ne peut bloquer un vote. Malgré les avis défavorables de l’Anses, la demande d’autorisation du soja 305423 a finalement été accordée le 24 avril 2015 par la Commission européenne (suite à l’absence de décision des États membres). Les deux autres sojas et le colza sont eux toujours en attente d’un avis de l’AESA… Alors que les experts sont censés suivre les mêmes protocoles et qu’ils se réfèrent à la même « bonne science », leurs avis divergent, notamment sur les analyses de toxicologie, comme l’avait déjà révélé l’étude de toxicologie du Pr. G.-E. Séralini en 2012 [9]. Inf’OGM a déjà rapporté en 2012 le cas de plusieurs dossiers dénués de telles analyses [10]. Trois années plus tard, l’approche adoptée par l’Anses, qui requiert que ces analyses soient fournies systématiquement pour les évènements transgéniques simples, s’est vue confortée par l’adoption d’un règlement européen en 2013 qui rend ces analyses obligatoires [11]. Du moins jusqu’en 2016, date de la fin d’un programme européen visant à étudier leur pertinence, le programme GRACE, et dont on soupçonne déjà qu’il voudra les éliminer [12]

[1soja 305423 (NL/2007/45) de Pioneer, soja MON87769*MON89788 (NL/2010/85) de Monsanto, soja DAS81419 (NL/2013/116) de Dow AgroSciences et colza Mon88302*Ms8*Rf3 (NL/2013/119) de Monsanto et Bayer

[2Inf’OGM, « Soja 305423 », Inf’OGM, 24 avril 2015

[3Inf’OGM, « Soja 89788 * 87769 », Inf’OGM, 8 octobre 2015

[4Inf’OGM, « Soja DAS81419-2 », Inf’OGM, 27 juillet 2018

[5Inf’OGM, « Colza MON88302*Ms8*Rf3 », Inf’OGM, 21 décembre 2017

[6Inf’OGM, « Soja BPS-CV127-9 », Inf’OGM, 24 avril 2015

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