L’Aragón, région située au nord de l’Espagne, est la province qui accueille le plus de cultures de maïs transgénique (environ 40 % des semis nationaux) [1]. Officiellement, en 2014, 76 % du maïs semé en Aragón était génétiquement modifié pour lutter contre la pyrale (variété Bt « MON810 »). Le ministère aragonais de l’Agriculture a publié, début 2015, dans la note « Informaciones Técnicas, nº 256 », les résultats de plusieurs années d’essais en champs (2010 - 2014) de plusieurs dizaines de variétés déjà inscrites au catalogue de maïs hybrides : il conclut que, pour des variétés isogéniques [2], et dans les mêmes conditions de mise en culture (mêmes itinéraires techniques aux mêmes endroits), il n’existe pas de différences significatives en terme de rendements entre des variétés conventionnelles et transgéniques (uniquement des dérivés du MON810). Ainsi, par exemple, la variété Helen Bt [3] (de Limagrain) était légèrement moins productive que la variété Helen [4] en 2013 mais en 2014, on note une inversion dans une proportion à peu près égale entre les deux semences. Limagrain met pourtant en valeur sur son site destiné au marché ibérique que la variété Bt a "un exceptionnel potentiel productif"... Les variétés testées sont actuellement sur le marché et ont été obtenues par Monsanto, Limagrain, Maïsadour, Pioneer, Syngenta, RAGT, KWS et Koipesol.
Ce rapport précise cependant qu’entre 2010 et 2014, les attaques de pyrales n’ont pas été importantes dans les zones de tests en Espagne, donc également en Aragón.
Alors pourquoi les agriculteurs espagnols ont-ils payé plus cher (autour de 15 à 20%) des semences pas plus productives et dont l’intérêt agronomique n’était pas avéré ? N’auraient-ils pas eu d’autres choix que d’acheter des semences transgéniques ? Leur aurait-on fait croire que les pyrales allaient ruiner leur récolte pour mieux vendre de telles semences Bt ? Concrètement, pour de nombreux agriculteurs espagnols, la question du choix des variétés insecticides Bt est pensée comme une « assurance » : de même qu’on assure sa maison ou sa voiture, les agriculteurs préfèrent dépenser sans doute un peu plus en semences mais s’assurer que la récolte ne sera pas détruite par la pyrale. Ce raisonnement avait déjà été précisé à Inf’OGM en 2005 [5], car l’agriculteur cherche surtout à optimiser et non à maximiser son rendement. Cette analyse objective sur plusieurs années permet aussi de dénoncer la propagande des entreprises semencières et de leurs lobbies (cf. encadré ci-dessous).
Comment les lobbies OGM manipulent les chiffres
En Espagne, la Fundación Antama annonce qu’en quinze ans, la culture de maïs Bt a permis à l’Espagne de réduire ses importations de maïs de 853 millions de tonnes depuis 1998. Et d’expliquer que le maïs Bt a de meilleurs rendements... Mais ces calculs sont basés sur très peu de données et beaucoup d’estimations et extrapolations.
En effet, la Fondation n’a pris en compte que deux études, celle de Gomez-Barbero (2008) et celle de Riesgo (2012), considérant les autres études existantes comme statistiquement non significatives. Or, ces deux études ne s’intéressent pas à l’ensemble du territoire espagnol et donc pour obtenir des estimations, la Fondation a fait des calculs tout à fait contestables. Les deux études citées sont en effet très locales et ponctuelles. La première étude a été réalisée suite à une enquête de trois ans (de 2002 à 2004) auprès d’agriculteurs [6] de trois provinces autonomes [7] et la deuxième ne s’est intéressée qu’aux rendements du maïs GM et conventionnel dans quelques champs [8] de la vallée de l’Ebre au cours d’une seule année de culture (2009). A partir de ces données, la Fondation extrapole. Pour la Catalogne, par exemple, elle utilise la « moyenne arithmétique des différences de rendements de Lleida (Gómez-Barbero et al., 2008) et la Vallée de l’Ebre (Riesgo et al., 2012) », qu’elle applique à l’ensemble du territoire catalan et sur une période longue. Finalement ce rapport, basé sur très peu de données, ne démontre rien, si ce n’est que les lobbies ne sont pas à une manipulation près pour défendre leur intérêt économique. Encore un beau tour de passe-passe !