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Les OGM à l’assaut de l’Ukraine ? Les lobbies s’activent…

Par Christophe NOISETTE

Publié le 11/09/2014

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L’Ukraine deviendra-t-elle le nouvel Eldorado des OGM ? Des océans de terres fertiles, le grenier à grains de l’Europe, voilà de quoi faire fantasmer les plus grands vendeurs de matériel agricole, de semences et autres produits « phytosanitaires ». Et il est vrai que les manœuvres pour favoriser, dans un sens libéral, le business, ne datent pas d’hier. Décryptage des manœuvres récentes des multinationales…

C’est un article publié par le journal en ligne RT.com (précédemment nommé Russia Today) qui a mis le feu aux poudres [1]. Il annonçait que le Fonds Monétaire International (FMI) conditionnerait son prêt de 17 millions de dollars à une ouverture de l’Ukraine aux plantes génétiquement modifiées (PGM). RT.com ne faisait, lui-même, que rapporter les propos de Frédéric Mousseau de l’Institut Oakland. Cet institut étasunien [2] avait publié un rapport en juillet 2014, intitulé «  Walking on the West side The World Bank and The IMF In The Ukraine Conflict » [3] qui évoquait brièvement la question des OGM en ces termes : « Alors que l’Ukraine n’a pas autorisé l’usage des OGM en agriculture, l’article 404 de l’accord avec l’Union européenne, qui traite de l’agriculture, inclut une clause qui est passée généralement inaperçue : elle indique, entre autres, que les deux parties devront coopérer pour étendre l’usage des biotechnologies. Il ne fait aucun doute que cette disposition est conforme aux attentes de l’industrie agro-alimentaire. Comme l’a noté Michael Cox, directeur de la recherche pour la banque étasunienne d’investissement Piper Jaffray, l’Ukraine, et dans une plus large mesure l’Europe orientale, sont parmi les « marchés les plus prometteurs pour les vendeurs d’équipements agricoles comme le géant Deere aussi bien que pour les semenciers comme Monsanto ou Dupont ».

OGM : rapprocher les législations ukrainienne et européenne

Quel état d’esprit souligne cet article 404 ? L’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine a été signé et publié au Journal officiel de la Communauté européenne. Et l’article 404 est rédigé de façon plus nuancée, ou du moins, moins caricaturale que ne le présentait le rapport cité plus haut. Cet article met sur le même plan le développement des agricultures biologique et biotechnologique : « La coopération entre les parties en matière d’agriculture et de développement rural porte notamment sur les domaines suivants : (…) c) l’encouragement de modes de production agricoles modernes et viables, qui respectent l’environnement et le bien-être des animaux, notamment le recours accru aux méthodes de production de l’agriculture biologique et l’utilisation des biotechnologies, entre autres par l’application des meilleures pratiques en la matière ». Et l’article suivant (405) précise que « pour mener à bien la coopération décrite ci-dessus, sans préjudice des dispositions du titre IV (Commerce et questions liées au commerce) du présent accord, les parties soutiennent le rapprochement progressif du système ukrainien du droit et des normes réglementaires pertinents de l’UE ». Ce qu’on peut traduire par : l’Ukraine se dirige vers une réglementation des OGM proche de, voire identique à, celle de l’UE.

Certes, la réglementation européenne présente des faiblesses et des lacunes, mais ce n’est pas non plus une réglementation totalement laxiste, à l’instar de celle des États-Unis. Mais malgré nos directives et autres règlements, la question de la coexistence reste, dans l’Union européenne, problématique (cf. Qu’appelle-t-on la coexistence des filières OGM / non OGM ?). La contamination de l’agriculture biologique et de l’apiculture par les plantes génétiquement modifiées (PGM) est documentée. Ainsi, vouloir ménager les deux types d’agriculture comme le suppose l’article 404 manifeste une croyance dans la capacité à gérer de façon efficace une double filière et au-delà, exprime une vision du monde dans laquelle les ressources humaines et financières ne seraient pas limitées. Le propre de la politique n’est-il pas de choisir entre plusieurs options, quitte à changer d’orientation si de nouveaux éléments nous y incitent ? Mais faire croire aux poules et aux renards qu’au nom de la liberté pour tous, ils peuvent vivre en harmonie dans un même lieu, nous semble être un discours très « politicien »… à mille lieux de ce qu’on peut nommer politique.

FMI, Banque Mondiale et multinationales : même combat ?

Cependant, les lobbies étasuniens s’activent depuis de nombreuses années pour adapter le cadre politique et économique de l’Ukraine à ses objectifs. Et cela se fait via un réseau d’influence et par des prêts du FMI et de la Banque mondiale qui, nous le montrerons par la suite, permettent d’influencer les politiques nationales au nom de la lutte contre la corruption ou la pauvreté.

Tout d’abord, il est manifeste que Monsanto a des vues sur les grandes plaines céréalières ukrainiennes. Ainsi, selon Reuters qui citait les propos de Vitaliy Fedchuk, un responsable de Monsanto dans ce pays [4], cette entreprise avait prévu, en mai 2013, d’investir 140 millions de dollars dans une usine de production de semences conventionnelles en Ukraine. S’il est incontestable que Monsanto ne vend pas que des OGM, mais aussi de nombreuses variétés hybrides de maïs, et qu’il est donc possible que dans un premier temps cette usine se consacre exclusivement à de telles semences, on peut imaginer que Monsanto profitera de son implantation géographique pour favoriser sa technologie brevetée par des actions de lobbying ou, comme cela s’est déjà produit dans d’autres pays, par la dissémination discrète de ses semences qu’il offrira à des agriculteurs favorables aux biotechnologies. Des grands propriétaires terriens se sont déjà prononcés pour l’autorisation des OGM.

Le lobbying pro-OGM s’exerce donc de l’intérieur comme de l’extérieur. En novembre 2013, l’agence d’information russe Interfax [5] précisait que six grandes organisations agricoles ukrainiennes, dont l’Ukrainian Grain Association (UGA), avaient écrit aux responsables politiques nationaux ukrainiens en vue de faire adopter des amendements au projet de loi sur la biosécurité, amendements destinés à rendre l’expérimentation et la culture des PGM possibles.

Du côté étasunien, les discussions commerciales avec l’Ukraine sont notamment engagées via le Conseil pour le commerce US – Ukraine (U.S.-Ukraine Business Council (US-UBC) [6]. Cette « association sans but lucratif pour le commerce  » (non profit trade association) est très proche des entreprises de l’agro-alimentaire, dont certaines sont déjà bien implantées en Ukraine. En mars 2014, l’US-UBC était dirigée par Morgan Williams, un des directeurs de SigmaBleyzer, entreprise ayant intégré, à hauteur de 62%, le capital de l’entreprise française AgroGeneration, laquelle possède 120 00 hectares de terres agricoles en Ukraine. AgroGeneration est l’un des cinq premiers producteurs de céréales et d’oléagineux du pays [7].

D’une façon plus générale, l’US-UBC est, sans grande surprise, tête de pont de l’agro-industrie étasunienne. Son Comité exécutif inclut des représentants de grandes entreprises de Monsanto, John Deere, DuPont Pioneer, Eli Lilly, et Cargill. Et parmi la vingtaine de consultants principaux, notons l’ex ambassadeur d’Ukraine aux Etats-Unis, Oleh Shamshur, un des principaux conseillers de PBN Hill + Knowlton Strategies (H+K), une entreprise de relations publiques présente en Russie, Ukraine et Kazakhstan. H+K est une filiale du groupe WPP qui possède notamment Burson-Marsteller qui gère, notamment, les relations publiques de Monsanto en Argentine. Et la boucle est bouclée : Oksana Monastyrska qui s’occupe, chez H+K, notamment des affaires de Monsanto [8], était précédemment responsable « finance » de la Banque mondiale (World Bank’s International Finance Corporation (IFC)). Elle a aussi travaillé à l’USAID. Ce système des « portes tournantes » n’est pas l’apanage de Monsanto : une petite élite, liée aux entreprises multinationales, navigue constamment entre leurs entreprises et les grandes organisations internationales, d’où ils influencent les politiques.

L’Ukraine à vendre ?

Or le FMI et la Banque mondiale ont, à plusieurs reprises et encore récemment en 2014 (les fameux 17 millions de dollars évoqués précédemment), conditionné leur prêt à des « améliorations » du système économique ukrainienne : mesures d’austérité, réduction drastique des déficits budgétaires, réforme du système bancaire, réforme de la gestion de la propriété foncière [9]. Ceci n’est pas non plus une grande surprise. Les politiques d’ajustement structurel mises en place par le FMI datent de plusieurs décennies et de nombreux pays du « Sud » en ont subi les conséquences sociales dramatiques. Mais ce genre de « deal » est la base des discussions avec le FMI. La Banque mondiale avait par exemple initié en 2012, via son outil financier le International Financial Corporation, un projet (« Investment Climate advisory Services Project »), dont le but était d’optimiser le commerce lié à l’agriculture en rationalisant ou en éliminant 58 procédures et pratiques différentes d’ici à 2015. En d’autres termes, supprimer les normes trop peu favorables au commerce.

Si l’Ukraine maintient encore une ligne plutôt européenne en matière de gestion des OGM, elle ne semble pas en mesure de résister aux multinationales qui voient, en elle, un immense concurrent agricole… concurrent qu’elles comptent bien mettre à bas d’une façon ou d’une autre.

[1« Monsanto in Ukraine : IMF loan for Ukraine may give GMO giant a backdoor into EU », RT, 30 août 2014, http://rt.com/op-edge/183956-gmo-ukraine-monsanto-imf/

[2fondé en 2004 par le co-directeur de Food First, une ONG qui a pour mission « d’éliminer les injustices responsables de la faim dans le monde »

[4« Monsanto plans $140 mln Ukraine non-GM corn seed plant », Reuters, 24 mai 2013, http://www.reuters.com/article/2013/05/24/monsanto-ukraine-idUSL5N0E51CM20130524T

[5« Agrarian associations initiate legalization of GM seeds in Ukraine », Interfax, 5 novembre 2013, http://en.interfax.com.ua/news/press-conference/173536.htm

[9La Banque mondiale a aussi accordé un prêt de 89 millions de dollars pour un projet intitulé « Ukraine rural land Titling and Cadastre development Project » qui a conduit à une plus grande facilité d’appropriation par les investisseurs étrangers des terres ukrainiennes

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