n°130 - septembre / octobre 2014Tribune

OGM : arrêtons de regarder ailleurs !

Par Christophe NOISETTE

Publié le 04/09/2014

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Inf’OGM existe depuis 15 ans. Si pendant les premières années, nous nous contentions de faire de la synthèse et de la traduction, Inf’OGM produit désormais une analyse largement reconnue tant par les acteurs de la société civile que par les instances françaises et européennes. Nous pouvons être fiers de ce long chemin collectif, un chemin qui a renforcé nos premières intuitions : le débat sur les OGM n’est pas fondamentalement un débat technique. Même si nous nous efforçons de suivre les aspects scientifiques, notamment en matière de toxicologie, nous refusons de nous y laisser enfermer. Car ce n’est pas là l’essentiel du débat.

Premièrement, il est pour le moins curieux de débattre de l’innocuité ou de la nocivité d’une technique et de ses produits alors même que nous les cultivons et les consommons déjà. D’où les demandes d’un moratoire qui permettrait une évaluation sereine. En l’état, ce débat scientifique n’est qu’une mascarade et les citoyens qui n’en maîtrisent pas les détails sont dépossédés de ce sujet et de leur droit de choisir. L’encre coule, les journaux s’enflamment sur telle ou telle étude… et pendant ce temps, des centaines de plantes transgéniques sont mises sur le marché.

Un autre paradoxe, encore plus flagrant, est qu’on ne devrait pas évaluer les OGM sans, en amont, s’être posé la question de leur « utilité sociale ». Pourquoi devrions-nous dépenser des millions d’euros pour tester sur des rats, parfois sur plusieurs générations… des plantes génétiquement modifiées pour tolérer des herbicides alors que la société ne souhaite pas utiliser d’intrants chimiques ? À qui profite véritablement les OGM : aux citoyens ou aux entreprises qui les mettent au point ?

Mais cette critique reste encore à la surface, nénuphar qui prend ses racines dans des réalités plus fondamentales. A ne pas plonger au cœur des questions, on laisse arriver les OGM de deuxième génération. On nous parlera de santé publique et on lâchera dans la nature des moustiques transgéniques au nom de la lutte contre la dengue. Et là, que répondre ? Débattre de l’aspect économique de telles ou telles solutions. Des moustiques modifiés ou bien des pulvérisations ? Des pulvérisations ou bien un vaccin ? Ceci est vain. Le simili progrès social immédiat empêche de voir l’impasse dans laquelle nous allons.

Un exemple : le soja transgénique est venu remplacer les farines animales comme source de protéine dans les élevages hors-sol. Fallait-il trouver une solution technique pour pouvoir continuer à vendre de la viande à bas prix ? L’épisode de la vache folle n’aurait-il pas dû conduire à une remise en cause d’une certaine agriculture industrielle ? S’attaquer à la viande, c’est là encore un aspect fondamentalement culturel. C’est renoncer à la modernité, diraient certains. Car oui, manger de la viande est encore trop souvent vu comme le gage d’une réussite sociale alors qu’actuellement, avec la généralisation des fast food et des élevages concentrationnaires, on ne peut pas dire que ce soit un signe d’une vie meilleure. Mais les clichés restent ancrés, les responsables politiques ne soulèvent pas le fond des questions et les producteurs d’OGM se frottent les mains. Autre exemple : les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH). Ces dernières ont été vendues pour « maîtriser » les adventices. Résultat, le nombre d’adventices qui ont acquis une résistance au glyphosate, pour ne citer que le Roundup, a explosé. Ces amarantes qui envahissent les champs aux États-Unis allaient-elles signer l’arrêt de mort de ces VrTH ? Non… De nouvelles variétés transgéniques, mutées, cisgéniques, que sais-je encore, sont expérimentées, et cultivées. Ces dernières tolèrent de plus grandes quantités d’herbicides ou des herbicides plus toxiques. Il s’agit d’une véritable fuite en avant technologique basée sur la croyance que la technique saura résoudre les problèmes qu’elle a elle-même générés, sans véritablement réfléchir dans la globalité. Ne saurons-nous pas écouter nos échecs pour tenter de prendre une autre voie, pour envisager d’autres possibles ? Nous ne sommes pas à l’extérieur du vivant. Nous sommes étroitement liés à tout ce qui nous entoure. Saurons-nous prendre conscience de cette relation intime, de ce lien indestructible entre nous et les autres espèces vivantes ? La chimie, la biotechnologie continuent de penser un monde clivé : d’un côté les humains, maîtres et possesseurs de la Nature [1], de l’autre, leurs terrains de jeu, des ressources apparemment inépuisables. Mais il n’y a pas de refuge possible. Nous ne pouvons pas nous extraire de cet écosystème… Penser cette dichotomie est un leurre.

Derrière les OGM, il n’y a pas que des agents économiques : ils ne sont que l’épiphénomène, la partie visible de l’iceberg. Certes Monsanto achète le plus possible de semenciers, et accroît son monopole sur l’agriculture mondiale. Bien qu’amoral, ce comportement est logique : quelle entreprise ne cherche-t-elle pas à grandir ? Derrière les OGM, il y a aussi une vision culturelle. Même si les OGM s’arrêtaient, tant qu’on n’aura pas compris les racines profondes qui ont permis leur éclosion, nous n’arriverons à rien. L’après transgenèse est déjà en marche, à l’instar de la biologie synthétique, et de nouvelles entreprises émergent.

Osons le dire. Les OGM ne sont rien d’autres que le dernier avatar d’une vision simplificatrice, basée sur le fantasme de l’immortalité et de la maîtrise absolue de la nature. Qu’est-ce que la nature ? La mort, la finitude, la limite… Que sont les OGM ? L’envie du dépassement de cette réalité. Pourquoi est-ce l’Occident qui a mis au point ces technologies ? Sans doute car c’est la première civilisation qui a pensé le temps de façon non cyclique… avec un avant et un après… Paradis ou lendemains qui chantent… en tout cas, l’idée que demain on rase gratis reste profondément ancrée en nous et beaucoup encore veulent y croire. Inf’OGM fait donc le constat qu’on ne peut plus se contenter de juxtaposer les actualités, d’ânonner des faits aussi solides soient-ils. Des thématiques comme les pesticides, les semences, les nanotechnologies… forment un tout cohérent et il est plus que jamais urgent de mutualiser nos connaissances pour mettre en lumière les racines de ce monde prométhéen.

[1Descartes a écrit, dans le Discours de la Méthode : « se rendre comme maître et possesseur de la Nature  ». Ce « comme » n’est pas qu’une prudence pour éviter d’être traité d’hérétique, il est fondamental. L’oubli de ce « comme » par la postérité donne au scientisme des racines philosophiques qu’il n’a pas.

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