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OGM – Conflit d’intérêt à l’AESA : les États membres peuvent encore dire « non »

Par Christophe NOISETTE

Publié le 28/05/2014

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Fin juin, les mandats de sept membres du Conseil d’administration (management board) de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA) se termineront. En conséquence, la Commission européenne a proposé le 25 novembre 2013, une liste de 23 candidats [1]. Or, parmi ces 23 personnes pré-sélectionnées, quatre présentent, à nouveau, des liens très étroits avec l’industrie. Il s’agit d’une nouvelle candidature (Beate Kettlitz) et de trois anciens membres qui souhaitent renouveler leur participation à ce CA (Jan Mousing, Piet Vanthemsche et Milan Kovac). Quelques parlementaires et les représentants des États membres se sont déjà prononcés… et ont accepté des candidatures en situation flagrante de conflits d’intérêt. Décryptage.

Le 16 janvier 2014, les coordinateurs de la Commission « environnement, santé publique et sécurité alimentaire », au cours d’une réunion fermée, ont décidé de sélectionner huit candidatures parmi ces 23 dont celles de Mme Beate Kettliz et M. Jan Mousing [2]. Cette décision, prise au nom du Parlement européen, ne l’a été que par une poignée de parlementaires. Or, comme le rappelle le Corporate Europe Observatory (CEO) [3], le Parlement européen et les États membres avaient, en juin 2012, refusé la candidature, proposée par la Commission européenne, de Mella Frewen, ex salariée de Monsanto et appartenant au même groupe de lobby FoodDrink Europe que Beate Kettliz.

Le 7 mai, les représentants des États membres, réunis au sein du Coreper [4], ont, eux aussi, considéré que le lobbyiste danois, Jan Mousin, mais aussi le flamand Piet Vanthemsche seraient de bons administrateurs de l’AESA. En revanche, ils n’ont pas validé la candidature de Beate Kettliz. José Bové, eurodéputé, précisait sur son site [5] que « cette décision [d’accepter Jan Mousin et Piet Vanthemsche], qui doit encore être confirmée par le Conseil des Ministres de l’UE, envoie un signal négatif en ce qui concerne l’indépendance de l’Autorité européenne de sécurité des aliments ». Et de poursuivre : « J’en appelle aux ministres qui auront le dernier mot à refuser ces accords inacceptables avec l’industrie. Nous avons plus que jamais besoin d’évaluations fiables sur les risques des OGM, pesticides et nano-ingrédients alimentaires ».

L’AESA est chargée de l’évaluation des risques sanitaires des plantes génétiquement modifiées (PGM), des pesticides, des additifs alimentaires, etc. avant leur mise sur le marché. Les avis de l’AESA ont un poids très important. L’impartialité et la rigueur de ses membres doivent donc être les plus strictes possible. Or, historiquement, les associations et député-e-s ont dénoncé de trop nombreuses formes de collusion entre l’industrie et cette autorité [6]. Au sein de l’AESA, le CA a pour tâches principales d’établir « le budget et les programmes de travail, tout en assurant le suivi de la mise en œuvre de ceux-ci » et de nommer « le directeur exécutif et les membres du comité scientifique et des groupes scientifiques ». A cause de ce rôle primordial, sa composition mérite une vigilance accrue.

Détails des quatre candidats épinglés par les ONG

Jan Mousing est un lobbyiste danois, directeur du Conseil danois pour l’agriculture et l’alimentation [7]. A noter que trois chercheurs de l’Université d’Aarhus (Anne Skorkjær Binderkrantz, Helene Helboe Pedersen et Peter Munk Christiansen) [8] placent cette organisation faitière dans le groupe des neufs super lobbies.

Piet Vanthemsche cumule de très nombreuses fonctions. Le site cumuleo.be [9], qui utilise les données publiées par la Cour des comptes de Belgique, recense, pour 2011 [10], pas moins de 13 mandats : président du syndicat des agriculteurs flamands Boerenbond, administrateur de la KBC Bank, président de société MRBB, une holding financière issue du syndicat Boerenbond présente dans de très nombreux secteurs, président de l’Agri Investment Fund (AIF), etc. Le MRBB possède notamment le groupe agro-alimentaire et semencier Aveve. Quant à l’AIF, il s’est associé avec un autre fonds d’investissement, le GIMV, pour créer un fond, Gimv-Agri+, doté à l’origine de 60 millions d’euros [11] qui investit dans l’agro-alimentaire (le chocolat), la bio-méthanisation, les biotechnologies agricoles, etc. Ainsi, en janvier 2013, ce fonds investissait deux millions d’euros dans la spin-off du VIB (Vlaams Instituut voor Biotechnologie), AgroSavfe, une entreprise de biotechnologie qui travaille sur la protection des cultures via sa technologie AgroBody, résultant d’anticorps recombinants [12]. C’est la septième start-up du VIB qui est financée par Gimv (après Ablynx, Actogenix, Cropdesign, Devgen, Pronota et Multiplicom).

Milan Kovac a été membre du conseil de l’Institut international des sciences de la vie (ILSI) entre 2001 et 2011. L’ILSI est un partenaire historique de l’AESA. Leurs « liaisons dangereuses » ont déjà largement été commentées et critiquées… apparemment en vain puisque ce lobby international de l’agro-industrie propose à nouveau un de ses membres sans que la Commission européenne n’y trouve à redire. Grâce à la critique du CEO, l’AESA précise que Milan Kovac « a mis à jour sa déclaration d’intérêt pour déclarer ILSI Global comme une organisation « privée » ». Il est aussi membre du comité scientifique du Conseil européen de l’Information sur l’Alimentation [13]. Cette organisation, financée par des entreprises agro-alimentaires, comme Cargill, Kraft, Nestlé, etc., propose sur son site Internet des foires aux questions (FAQ) très partiales. Ainsi, nous pouvons lire que « les aliments issus de la biotechnologie sont parmi les aliments vendus les plus testés dans l’histoire de l’humanité », que les produits issus de la biotechnologie sont nécessaires et qu’ils peuvent être plus nutritifs, que « la farine de soja à partir de graines résistantes aux herbicides contiendra de petites quantités d’une autre protéine, mais cela n’affectera pas la valeur nutritionnelle ou la sécurité du  », etc.

Beate Kettlitz est actuellement la directrice du pôle « sécurité alimentaire, science et R&D » de l’organisation de lobby FoodDrinkEurope. Récemment FoodDrinkEurope s’est illustré en se mobilisant en faveur des nanotechnologies dans l’alimentation (qui, selon elle, permettront d’améliorer la qualité nutritive des aliments) et contre l’étiquetage des nanomatériaux dans les produits alimentaires [14].

[4Le Comité des représentants permanents ou Coreper (article 240 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – TFUE) est chargé de préparer les travaux du Conseil de l’Union européenne

[10Comme nous le précise Christophe Van Gheluwe, responsable de ce site : « Etant donné que monsieur Vanthemsche n’a plus exercé en 2012 son mandat de membre du conseil de régence à la Banque Nationale, il n’est plus tenu de déposer annuellement la liste de ses mandats à la Cour des comptes ».

[13European Food Information Council, http://www.eufic.org/index/fr/

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