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ETATS-UNIS, Vermont – Étiquetage des OGM : la loi attaquée, mais elle s’applique

Par Pauline VERRIERE, Christophe NOISETTE

Publié le 30/04/2015

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Après le Connecticut [1] et le Maine [2], c’est le Vermont qui a adopté, en mai 2014, une législation qui rend obligatoire l’étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM. Le projet de loi justifie l’étiquetage par le fait que les plantes transgéniques « peuvent potentiellement poser des risques pour la santé, l’agriculture et l’environnement ». Après son adoption par les deux chambres du Parlement de l’état du Vermont, la loi qui rend obligatoire, à partir de juillet 2016, l’étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM a été officiellement ratifiée le 8 mai 2014 par le gouverneur démocrate Peter Shumlin. Deux mois seulement après son adoption, cette loi fait l’objet d’un recours en justice déposé par plusieurs entreprises de l’agroalimentaire ainsi que par l’association des épiciers (Grocery manufacturers association – GMA), au motif de son inconstitutionnalité. Le 27 avril 2015, la juge Christina Reiss refusait la suspension de la loi, mais ne rejetait pas l’intégralité des demandes des industriels. Le procès aura donc lieu. Affaire à suivre…

Ce projet de loi a d’abord été voté par la Chambre des Représentants (la chambre basse du parlement) en mai 2013 (99 pour et 42 contre), puis le Sénat l’avait à son tour votée, le 16 avril 2014, à une forte majorité (28 voix pour, et 2 contre). Étant donné que les deux textes n’étaient pas exactement identiques [3], soit les député-e-s s’accordaient sur le texte adopté au Sénat, soit une commission mixte aurait pu être mise en place afin d’aplanir les différences. Finalement, le 23 avril 2014, la Chambre des Représentants a voté pour le texte du Sénat, là encore, à une très grande majorité (114 en faveur, 30 contre), finalisant l’adoption de ce texte. Suite à cet accord, le gouverneur a ratifié cette loi le 8 mai 2014 : elle est donc désormais officiellement adoptée. Cette loi, conformément à ses dispositions, entrera donc en vigueur le 1er juillet 2016, le temps de mettre en place techniquement et administrativement cette « première historique » pour les États-Unis. « Première » car, en effet, pour le Connecticut et le Maine, ces lois sont conditionnées à l’adoption de lois similaires dans d’autres états.

Concrètement, cette loi impose un étiquetage des produits alimentaires destinés à l’alimentation humaine qui contiennent ou ont été fabriqués à partir d’OGM. Comme dans la législation européenne, l’étiquetage des produits issus d’animaux nourris aux OGM ne sera pas obligatoire. Une exception pourrait être faite pour le lait et les produits laitiers issus d’animaux nourris avec des OGM. En effet, le procureur général devait, d’ici au 15 janvier 2015, proposer une recommandation (et la base juridique qui la soutiendra) sur l’intégration de ces produits dans la nouvelle réglementation. Ceci est une première et mérite d’être souligné. Étant donné que la loi a été attaquée, il a souhaité ne rendre son rapport que 60 jours après la fin du procès, avons-nous appris de la part de ses services.

En effet, répétons-le encore, les plantes génétiquement modifiées (PGM) actuellement cultivées sont destinées en priorité aux mangeoires des animaux. Vient ensuite la production d’agrocarburants. Aux États-Unis, la part des PGM est néanmoins plus importante que dans les pays de l’Union européenne, à cause du non étiquetage et de la présence massive d’OGM dans les matières premières agricoles. Sont aussi exclus de l’étiquetage les produits alimentaires produits à partir d’enzymes et auxiliaires de fabrication génétiquement modifiés, les boissons alcoolisées, ceux qui contiennent un ingrédient GM qui représente moins de 0,9% du poids total du produit, les aliments « médicaux », et les produits vendus dans les restaurants. La nouvelle loi interdit aussi d’utiliser l’utilisation de la mention « naturelle » sur les produits contenant ou issus d’OGM. 

Le 9 mai 2014, soit le lendemain de la signature de cette loi par le gouverneur de l’état, l’organisation Grocery Manufacturers Association (GMA – association des détaillants en épicerie), qui défend les intérêts des entreprises agro-alimentaires, a annoncé, dans un communiqué de presse [4] qu’elle allait porter plainte contre cette loi dans les semaines à venir. Pour cette organisation, « les cultures GM sont saines, et apportent d’importants bénéfices aux gens et à la planète ». Elle considère donc que ce projet de loi, « singulièrement vicié », ne répond pas aux intérêts des consommateurs et engendrera des coûts et une disparité des réglementations entre les états. Elle précise que ceux et celles qui ne veulent pas de PGM dans leur assiette n’ont qu’à manger « bio ».

Faut-il rappeler au GMA que les consommateurs étasuniens se sont prononcés à plusieurs reprises en faveur de l’étiquetage des OGM ? Faut-il lui rappeler que, dans plusieurs domaines, les lois entre états ne sont pas équivalentes, et sur des sujets très importants comme l’éducation ou la peine de mort ? Il est clair en tout cas, au regard de ce qui s’est passé dans l’Union européenne, que l’étiquetage des produits destinés à l’alimentation humaine a entraîné une quasi disparition des OGM dans ces produits. On comprend alors mieux la réaction de ces entreprises…

Les entreprises attaquent la loi du Vermont

En juin 2014, la GMA [5], ont effectivement décidé de poursuivre en justice l’État du Vermont, considérant cette loi comme inconstitutionnelle.

Parmi les griefs les plus importants, la GMA met en avant qu’en imposant un étiquetage sur les produits contenant des OGM, cette loi violerait le 1er amendement de la Constitution des États-Unis, ne respecterait pas la liberté d’expression dont le « droit de se taire  » fait partie et instaurerait également une disparité commerciale pour les entreprises, confrontées à différentes règles d’étiquetage entre les états.

Ce procès va nécessairement induire des coûts très importants pour l’état du Vermont qui souhaite défendre sa loi. Mais la réaction des entreprises et les suites judiciaires ne sont pas totalement une surprise. Le projet de loi avait en effet pris les devants en prévoyant la création d’un fonds pour payer les frais de procès. Ce fonds, nous précise-t-on, doit aussi servir à payer les coûts de la mise en œuvre de cette législation. Il sera financé par des dons privés, des recouvrements obtenus par le procureur général (sauf ceux déjà affectés par la loi) et par des transferts d’argent validés par l’Assemblée générale de l’état.

M. Sorrell, Procureur général, en charge de la défense de cette loi pour le Vermont, estime que ce procès devrait coûter un million de dollars s’il devait être gagné, et huit millions s’il devait être perdu, mais ne serait pas surpris si ces chiffres devaient être doublés [6].

La loi du Vermont a également trouvé un soutien inattendu de la part d’un acteur de l’industrie agro-alimentaire. Le glacier industriel Ben & Jerry’s a fait savoir, en juin, son intention de supprimer les ingrédients génétiquement modifiés de ses produits. En revanche, le lait n’est pour l’instant pas concerné par cette politique sans OGM en ce qui concerne l’alimentation des animaux. Une partie de la vente de l’une de ses glaces est également reversée au soutien de la loi du Vermont [7].

La loi ne sera pas suspendue…

Le 27 avril 2015, la Juge du District du Vermont, Christina Reiss décidait [8] de rejeter la demande d’injonction préliminaire [9] faite par les plaignants. Concrètement, la loi ne sera pas suspendue pendant l’examen de la plainte. Mais la juge n’a que partiellement accepté la demande de l’état du Vermont de rejeter la plainte : la juge a reconnu que la loi ne violait pas les clauses commerciales de la Constitution, et que cette loi n’avait pas devancé la loi fédérale. Sur les autres griefs, le procès aura bien lieu.

Ainsi, la victoire annoncée par les partisans de l’étiquetage obligatoire devra donc attendre. Ce n’est qu’une étape. Une étape dans un processus qui sera encore long. D’ailleurs, M. Sorrell, qui défend l’état du Vermont, est plus prudent dans sa communication : « Il y a beaucoup de bonnes nouvelles dans cette décision pour nous, et pour le cœur et l’âme de la loi sur l’étiquetage« .

L’ensemble des États-Unis concerné

Cette nouvelle loi avait été promulguée dans un climat tendu : en effet, un projet de loi avait été déposé par le député de l’Arkansas, Mike Pompeo, au niveau fédéral (l’ensemble des États-Unis) pour rendre impossibles des lois régionales sur l’étiquetage des OGM [10]. Ce projet de loi, soutenu notamment par Monsanto, Dow et The Grocery Manufacturers Association, s’intitule « loi sur un étiquetage sûr et précis » (‘‘Safe and Accurate Food Labeling Act of 2014″ (H.R.4432), mais a été rebaptisé par ses détracteurs « la loi qui refuse aux Américains le droit de savoir  » [11]. Le National Farmer Union, un important syndicat agricole, s’est positionné contre ce projet de loi [12].

Pour mémoire, 68 (46 + 22) millions de dollars avaient été dépensés par l’industrie des biotechnologies ou de l’agro-alimentaire pour faire échouer deux référendums, en Californie ( [13] prop.37) et dans l’état de Washington (prop.522). Les partisans de la proposition 522 n’avaient pu réunir que 7,9 millions de dollars (notamment grâce au soutien de Dr. Bronner’s Magic Soaps). Et seulement 6 % des sommes reçues pour soutenir ou combattre la proposition provenaient de l’état même… ce qui prouve l’enjeu fédéral d’un tel referendum, et d’une telle demande.

En 2011, le Center for Food Safety, une ONG opposée à la dissémination dans l’environnement des PGM, avait déposé auprès de la Food and Drug Administration (FDA) une demande officielle pour mettre en place un étiquetage obligatoire des OGM, mais la FDA, à ce jour, n’a toujours pas répondu, malgré plus de 1,4 millions de commentaires en soutien à cette demande. Et début avril, 200 entreprises étasuniennes ont écrit au Président Obama pour lui demander de tenir sa promesse, faite en 2007, d’imposer l’étiquetage obligatoire des produits alimentaires contenant des OGM…

Enfin, rappelons aussi que plus de 60 projets de loi sur l’étiquetage des OGM ont été introduits dans 26 états depuis 2013.

La bataille de l’étiquetage aux États-Unis ne faiblit pas, et opposants et détracteurs restent fortement mobilisés…

[3Interrogé par Inf’OGM, le collectif « Vermont Right To Know GMOs » nous précisait que la principale différence entre les deux textes concernait la « dépendance » de cette loi vis-à-vis d’autres lois similaires dans d’autres états. Le texte de l’Assemblée stipule que la loi « entrera en vigueur 18 mois après que deux autres états adoptent une loi substantiellement comparable », alors que celui voté au Sénat n’est pas conditionné à de telles adoptions mais sa mise en œuvre est prévue pour le 1er juillet 2016

[5conjoitnement avec the Snack Foods Association, the International Dairy Foods Association et the National Association of Manufacturers

[9« Une injonction préliminaire est une ordonnance qui contraint un défendeur à faire ou ne pas faire quelque chose pendant qu’une affaire au civil est en cours. Aux États-Unis, un plaignant qui cherche à obtenir une motion d’injonction préliminaire doit être en mesure de prouver qu’il ou elle a subi un préjudice irréparable et qu’il ou elle a des chances de remporter le procès ». cf. http://www.stopfakes.gov/tutorials/data/fr/media/525/IRP-text-only.pdf

[11Deny Americans the Right to Know Act, Dark). Cette loi entend aussi « s’opposer aux interdictions » (donc permettre !) d’utiliser des mots comme « naturel » pour qualifier des produits alimentaires contenant des OGM. Le député Mike Pompeo est connu pour avoir été le plus grand bénéficiaire des fonds alloués aux campagnes électorales par de Koch Industries en 2010, à savoir 238 900 dollars [[http://www.opensecrets.org/politicians/contrib.php?cycle=Career&cid=N00030744&type=C

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