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FRANCE – OGM : un nouveau gouvernement à tendance schizophrénique

Par Christophe NOISETTE

Publié le 22/05/2014

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François Hollande, président de la République française, a nommé, le 31 mars, un nouveau premier ministre, Manuel Valls, qui remplace donc Jean-Marc Ayrault à Matignon. Ségolène Royal prend le poste de ministre de l’Écologie. Stéphane Le Foll reste à l’Agriculture. Et Geneviève Fioraso passe du poste de Ministre à celui de secrétaire d’État chargée de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, chapeautée par Benoît Hamon, qui devient son ministre de tutelle. Quelle politique vont-ils mettre en place sur les OGM et les biotechnologies ?

Manuel Valls, en 2012, était candidat à la primaire socialiste, pour les présidentielles. Dans un de ses clips de campagne [1], il prenait position pour les OGM, considérant que « si les dangers supposés des OGM sont sérieux, ils attendent toujours d’être démontrés« , mais en revanche, de façon presque caricaturale, il affirmait que « les bénéfices espérés sont eux largement connus. En diminuant la pollution provoquée par les pesticides, les OGM peuvent jouer un rôle dans la protection de l’environnement ; en économisant les réserves d’eau, ils peuvent contribuer de manière décisive à l’autonomie alimentaire des pays du Sud« . On croirait entendre le porte-parole de Monsanto. Selon plusieurs études scientifiques [2], les OGM n’ont pas permis de diminuer l’usage des herbicides. D’autre part, les OGM tolérant un stress hydrique sont cultivés aux États-Unis mais, selon le ministre étasunien à l’Agriculture, la modification génétique « n’excède pas les variations naturelles observées avec des variétés conventionnelles de maïs adaptées régionalement » [3] [4] [5]. Ainsi, Manuel Valls, « plutôt que d’interdire les OGM, de tourner le dos au progrès, [est] favorable au renforcement de la recherche sur les biotechnologies« . Et de conclure, comme aurait pu le dire Auguste Comte au XIXe siècle : « Ayons foi dans la science, ayons foi dans l’avenir« . La science est large, et les options de la recherche ne peuvent pas toutes être soutenues dans un monde où les ressources (en temps, en argent …) sont finies. Manuel Valls a déjà choisi celle qu’il entendait défendre.

« La science et les OGM peuvent sauver l’Humanité » affirme Manuel Valls

En 2009, dans un entretien avec le journaliste Claude Askolovitch [6], Manuel Valls détaillait son enthousiasme pour un certain progrès scientifique : celui des OGM, du nucléaire et des cellules souches. Il affirmait alors : « Oui, je crois que la science peut nous sauver. Il ne faut pas l’abandonner à elle-même : elle doit être neutre et transparente, débattue et contrôlée ». Ainsi, aucun doute : les OGM sont à tester, à expérimenter : « Je suis pour qu’on travaille sur les OGM et qu’on n’hésite pas à s’en servir. (…) L’enjeu, pour l’humanité, ce sont les OGM en eux-mêmes et ce qu’ils peuvent apporter à une planète menacée de surpopulation, d’épuisement des ressources en eau et de disette ».

Valls accusent les militants anti-OGM, qui émettent des « fatwas« , de « non assistance à l’humanité en danger« . Il ne veut pas s’interdire la piste des OGM pour nourrir neuf milliards d’êtres humains : « Je suis pour qu’on travaille sur les OGM et qu’on n’hésite pas à s’en servir. (…). En matière de santé, d’environnement, mais aussi d’agriculture ».

Bien sûr pas question de laisser les multinationales dont il reconnaît « la surpuissance (…), leur tendance au monopole, leurs abus, leurs stratégies prédatrices ». Mais, poursuit-il, « je suis progressiste, parce que je ne laisse pas tout le pouvoir au marché ». Et il va s’entourer de toutes les précautions possibles : il demande plus de recherche (y compris des essais en champs) pour « lever les doutes sur l’innocuité des organismes génétiquement modifiés« , il prône un régime de responsabilité « face au risque de dissémination du pollen vers des cultures non-OGM », ce que les anti-OGM appellent « la contamination« , ironise-t-il.

Mais c’était en 2012. En mars 2014, le gouvernement précédent a adopté un arrêté pour interdire le maïs GM MON810 à la culture sur le territoire français. Au cours d’une rencontre, le 1er avril 2014, avec les représentants du parti écologiste EELV, le nouveau Premier ministre a, malgré tout, confirmé les engagements du président de la République concernant les OGM et le gaz de schiste [7]. Mais rien n’y a fait, et aucun ministre vert ne compose ce gouvernement. Du jamais vu depuis la mise en place des gouvernements de la gauche plurielle avec le gouvernement Jospin en 1997.

Une ministre de l’Écologie engagée contre les OGM

En avril 2014, le nouveau premier ministre nomme donc Ségolène Royal, ministre de l’Écologie. Un choix paradoxal. Valls regrettait en 2009 qu’une leader aussi considérable qu’elle puisse endosser « les tendances régressives qui deviennent dominantes à gauche », à savoir la méfiance vis-à-vis du nucléaire ou des OGM agricoles. En effet, cette dernière, comme son prédécesseur Philippe Martin, est connue pour ses positions très clairement défavorables aux OGM agricoles.

A la tête du Conseil régional Poitou-Charentes [8], elle a fait voter une délibération pour interdire les OGM, et a aidé les filières de protéines végétales pour soutenir les agriculteurs et les éleveurs qui voulaient sortir de la dépendance aux importations de soja (en très grande majorité d’origine transgénique) [9]. En 2007, la Région Poitou-Charentes met en place un conditionnement des aides [10] : « elle demande aux exploitants qui sollicitent une aide de signer une déclaration sur l’honneur par laquelle ils s’engagent à ne pas cultiver de plantes OGM sur leur exploitation, et / ou à ne pas utiliser, pour l’alimentation des cheptels, d’aliments contenant des OGM ». La Région s’est aussi engagée dans la surveillance biologique du territoire, afin de rechercher une éventuelle contamination des parcelles. En 2011, Ségolène Royal témoigne lors du procès des Faucheurs volontaires à Poitiers [11].

Entre ces deux figures, comment le gouvernement va-t-il gérer ce dossier ? Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture sous Jean-Marc Ayrault et reconduit dans ses fonctions par Manuel Valls, indique encore une autre voie… Il affirmait le 17 février au moment du vote sur la loi d’interdiction des OGM, qu’il n’était pas contre « tous les OGM ». Le ministre ne semble pas convaincu de l’intérêt économique des sojas transgéniques que la France importe pour nourrir son bétail. Mais il a évoqué à plusieurs reprises, non pas les OGM qui pousseraient dans le désert, mais le fameux riz doré, mis au point en 2000, et qui est censé permettre de lutter contre les carences en vitamine A. Stéphane Le Foll a réitéré récemment ce discours qui tente de ménager la chèvre et le chou, appelant à un grand débat sur les OGM : « Il y a un débat qu’il faut organiser sur l’intérêt général qui peut être ou pas d’utiliser les OGM » [12]. Par ailleurs, ce ministre a aussi voulu prendre parti pour l’agro-écologie… Autre annonce du ministre de l’Agriculture : le Haut Conseil sur les biotechnologies (HCB) organisera un débat sur les avantages et les inconvénients des OGM. Il précise dans Ouest France [13] que la date a déjà été fixée : le 29 avril. Or ce jour-là, un colloque est bel et bien prévu au HCB, mais sur la brevetabilité des plantes [14]. Interrogé par Inf’OGM, le HCB n’a pas souhaité nous répondre si le ministre avait ou non fait une demande officielle à cet organisme pour organiser ledit débat.

Et la recherche ? Madame Fioraso sait ce qu’elle veut défendre

Pour augmenter la confusion dans ce gouvernement, prenons le temps de décrypter les prises de position de la secrétaire d’État de la Recherche et de l’Enseignement supérieure, Madame Fioraso. Tout d’abord, il est important de rappeler que les président(e)s directeurs/ trices des grands instituts de la recherche publique, comme l’Inra, l’Inserm, etc. sont nommés par le gouvernement, sur proposition de ce ministère. Ce n’est pas anodin. Or Madame Fioraso a clairement pris position dans le débat sur les nouvelles technologies, comme les biotechnologies, les nanotechnologies, la biologie de synthèse. Elle défend une certaine vision de la recherche et de l’innovation. Une vision contestée par les mouvements sociaux. Elle a défendu, dans un rapport parlementaire, la biologie de synthèse, « nouvelle révolution industrielle » [15] qui « mérite des investigations et investissements à la hauteur des conséquences pressenties pour ses applications industrielles, sanitaires, environnementales » [16]. La biologie de synthèse serait-elle donc le nouveau Graal, qui résoudra l’ensemble des problèmes ?… Et Madame la secrétaire d’État sera attentive à « empêcher les dérives qui ont marqué les débats sur les OGM et les nanotechnologies ». Traduisons : les citoyens seront formés, par des experts, pour accepter ces techniques tellement prometteuses… Enfin, Madame Fioraso pratique le mélange des genres entre privé et public avec allégresse. Comme le résume Laurence Comparat, membre de l’Ades, un parti politique écologiste, sur le site Owni.fr [17], « sa vision de la recherche est systématiquement industrielle, et donc économique. Si elle procède de la même manière à l’échelle nationale qu’à Grenoble, il y a des craintes à avoir ». Ce n’est donc pas par hasard qu’elle a été, pendant neuf ans, la présidente de la Sem Minatec Entreprises, une plateforme de valorisation industrielle notamment dédiée aux nanotechnologies. Cette imbrication du privé dans le public, elle a cherché à l’étendre aux universités. La loi « Fioraso » sur l’enseignement supérieur, votée par le Parlement en juillet 2013, a été très critiquée, même au sein du Parti socialiste. Pour Sud Recherche et Sud Éducation, cette loi, qu’ils ont renommée LRU 2.0, « n’est que la finalisation de la marchandisation du service public universitaire ». Les chercheurs considèrent que l’objectif de cette loi « est d’élargir le marché à un domaine qui lui échappe encore en créant des grands ensembles universitaires en concurrence ». « L’économie de la connaissance » devient un marché compétitif à l’échelle mondiale. Concrètement, cela impliquera une raréfaction des moyens de la recherche fondamentale. Ainsi le soutien apporté par Madame Fioraso aux présidents directeurs généraux des douze instituts de recherche suite à la relaxe des Faucheurs volontaires à Colmar en mai 2014 sonne faux. Et la déclaration de ces PDG nous laisse aussi perplexe. Comme Madame Fioraso l’a précisé sur BFMTV, le 21 mai 2014 : « J’ai soutenu les chercheurs qui ont poussé un cri d’alerte en disant Attention nous allons décrocher de la compétition internationale ». Car selon elle, il s’agissait d’un essai réalisé en vue d’apporter « des preuves scientifiques documentées et indiscutables sur la réalité des effets des OGM ». Alors, est-ce la relaxe qui achèvera la recherche fondamentale ou la privatisation de la recherche menée à petit feu depuis plusieurs décennies ?

La confusion la plus totale sur le dossier « OGM » règne.

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