n°125 - novembre / décembre 2013

Inde : une opposition de plus en plus politique aux OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 29/10/2013

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Depuis des années, le refus des OGM a dépassé le cercle de la société civile indienne pour atteindre des autorités locales ou nationales qui en ont fait leur politique officielle. Une évolution importante dans le second pays producteur de coton après la Chine. En 2012, le mouvement s’est accéléré : si certains états se sont contentés d’exprimer une simple opposition aux cultures génétiquement modifiées, d’autres ont annoncé des mesures pour interdire la vente de semences de coton Bt, ou la conduite d’essais en champs. Comment la situation a-t-elle évolué dans ce pays de plus d’un milliard d’habitants où l’agriculture vivrière occupe une place encore importante ?

Début août 2013, Jayanthi Natarajan, la ministre de l’Environnement et des forêts, a demandé au Premier ministre indien, Manmohan Singh, de pouvoir défendre la vision de son ministère auprès de la Cour suprême, dans le cadre d’une procédure sur les OGM initiée en 2005 [1]. En effet, le ministère de l’Environnement entend ne pas laisser le champ libre au seul ministère de l’Agriculture du fait de positions antagonistes. Avec 22% de la production mondiale de coton, ce débat sur le coton Bt en Inde comporte donc de nombreux enjeux commerciaux.

Interdiction des essais en champs ?

La gestion du dossier des plantes génétiquement modifiées (PGM) au niveau national incombe aux ministères de l’Environnement et de l’Agriculture. Le Premier ministre indien demande à ces deux ministères de défendre une position commune. Une requête difficile à honorer selon la ministre de l’Environnement, puisque « le mandat du ministère de l’Agriculture est de promouvoir les cultures GM [alors que] celui de mon ministère est de réguler leur utilisation » [2]. Alors que le devenir du dossier OGM en Inde est toujours dépendant des conclusions d’une procédure en cours auprès de la Cour suprême et de l’adoption finale d’une loi sur la biosécurité, le ministère de l’Environnement a suspendu toutes les autorisations d’essais en champ données par le Comité d’approbation du génie Génétique (GEAC) qui est sous sa tutelle. Cette décision a été contrée par le ministre de l’Agriculture auprès du Premier ministre, qui a alors demandé à chaque ministère de lui faire part de ses arguments. A ce jour, son arbitrage est toujours attendu mais il est possible qu’il ne soit pas en faveur du ministère de l’Environnement, le gouvernement s’étant déjà opposé au rapport du comité d’experts de la Cour suprême qui, en juillet 2013, a recommandé un moratoire illimité sur les essais en champs. A noter qu’un des experts, fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, avait refusé de signer ce rapport final.

Si la bataille interne au gouvernement s’annonce rude pour la ministre de l’Environnement, cette dernière semble néanmoins pouvoir compter sur le mouvement citoyen indien. Ainsi, plusieurs syndicats paysans demandent à Monsanto de se retirer d’Inde [3]. Par ailleurs, la Commission au plan signale, dans son plan 2012-2017, qu’il existe une controverse sur l’origine (transgénique ou non ?) de l’augmentation des rendements de la culture du coton. Cette commission recommande donc « la mise en place de protocoles scientifiques impeccables et opérationnels et un mécanisme légal pour autoriser les OGM » [4]. Une demande similaire à celle du ministère de l’Environnement…

Des mesures d’interdiction peu appliquées

Le Maharashtra fait partie des trois principaux états producteurs de coton en Inde, avec le Gujarat et l’Andhra Pradesh, ce qui rend donc d’autant plus important sa position sur le dossier du coton Bt. Il avait en 2012 décidé d’interdire à Mahyco de vendre des semences de coton Bt. Ses arguments ? : des mauvais rendements, un coût des semences supérieur, une offre limitée de semences de coton Bt… Si le ministre de l’Agriculture de cet état a fait un pas en arrière en juin 2013, expliquant que cette décision ne portait que sur les semences de la campagne 2013 [5], la limite de cette décision, a-t-on avoué à Inf’OGM, est surtout qu’aucun contrôle n’a été effectué par cet état. Malgré cela, le Maharashtra reste constant sur sa ligne politique, le ministre précisant que Mahyco « devra redemander une licence » pour pouvoir vendre ses semences de coton Bt, tout en précisant que « sur le long terme, nous voulons éradiquer [cette culture] ». Donc, en 2014, si le Maharashtra n’accorde pas de nouvelle licence à Mahyco, aucun coton Bt ne devrait être mis en culture.

D’autres états sont toujours sur la ligne politique exprimée en 2012 : un refus des essais en champs, ou une interdiction de diffuser des semences GM. Ainsi, le Rajasthan avait décidé en 2012 d’annuler une autorisation d’essai en champs de moutarde GM accordée à l’Université de Delhi. D’autres états comme le Kerala et le Bihar maintiennent leur décision prise en 2012 d’interdire toute circulation de semences GM comme nous l’a confirmé Greenpeace Inde. Contactés par Inf’OGM, les gouvernements de ces états ne nous ont pas répondu quant à de possibles contrôles de la présence de semences de coton Bt ou non. Mais il est à craindre que la situation soit similaire à celle du Maharashtra, à savoir aucun contrôle. Enfin, outre leur position politique, trois états (Madhya Pradesh, Chhattisgarh et West Bengal) ont écrit au gouvernement fédéral pour lui signifier leur opposition à la proposition de loi de biosécurité (BRAI) toujours en cours de discussion au Parlement. Et selon Greenpeace Inde, le Karnataka est aujourd’hui « peu sûr de sa position sur le sujet des OGM », position plutôt opposée jusqu’à maintenant.

Si la politique indienne menée par le gouvernement fédéral apparaît plutôt favorable aux PGM, près la moitié des 28 états indiens [6], plus proches des réalités de terrain et du mécontentement de la société civile, affichaient, eux, une opposition qui est devenue pour certains concrète en 2012. Mais le manque de ressources conduit à ce qu’aucun contrôle n’ait été effectué. Quant au gouvernement fédéral, il devra trancher dans la bagarre interne entre le ministère de l’Environnement et de l’Agriculture. Très clairement, l’Union européenne n’est en tout cas plus la seule à douter de la pertinence à adopter des PGM.

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