n°120 - janvier / février 2013

Du génie génétique à la géo-ingénierie

Par Jim THOMAS, ETC Group

Publié le 30/01/2013

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Même pour ceux qui sont habitués à la démesure de la manipulation génétique, les projets de modifications des équilibres des systèmes biologiques entiers de la Planète peuvent sembler fous, effrayants et somme toute, incroyables. Bienvenue dans le nouveau monde de la géo-ingénierie – un ensemble de technologies expérimentales en cours de développement, qui visent à modifier intentionnellement le climat à l’échelle globale et régionale – censée être la solution miracle au changement climatique.

D’abord rejetée comme à la limite de la la science-fiction, la géo-ingénierie se place maintenant au cœur des débats politiques internationaux sur la façon de s’attaquer au réchauffement planétaire. Soutenus par des think tanks financés par l’industrie tels que le Newt Gingrich’s American Enterprise Institute ou Bjorn Lomborg’s Copenhagen Consensus Centre, un certain nombre de gouvernements – y compris les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Chine et la Russie – financent actuellement des recherches sur la géo-ingénierie. C’est aussi le cas d’une poignée de sociétés privées et de particuliers fortunés, comme Bill Gates et Richard Branson. Quelques expérimentations en milieu ouvert ont déjà eu lieu [1] et le nombre d’articles scientifiques et de brevets d’ingénierie du climat est en expansion.

La géo-ingénierie pour refroidir la Planète

Les exemples les mieux connus des propositions de géo-ingénierie vont de l’envoi de nanoparticules réfléchissantes dans la haute atmosphère (pour refléter la lumière du soleil loin de la Planète et ainsi la refroidir) au largage de particules de fer dans les océans (pour stimuler artificiellement le plancton qui ainsi pourrait absorber plus de dioxyde de carbone). Cependant, alors que de plus en plus de propositions de géo-ingénierie sont programmées (et financées), les techniques de génie génétique et de la biologie synthétique sont en train d’apparaître comme un élément potentiellement important de la trousse à outils du géo-ingénieur. Comme les biotechnologies ont été vendues avec les promesses, non tenues à ce jour, de guérir les maladies et de nourrir les affamés, les géants du gène ajoutent actuellement une nouvelle prétention spéculative à leur boniment de relations publiques, à savoir que la biotechnologie pourrait aussi refroidir la Planète.

Il y a actuellement deux approches principales à la géo-ingénierie climatique. La plus controversée, et la plus évidemment risquée, est connue sous le nom de « gestion du rayonnement solaire » (en anglais, solar radiation management ou SRM). Il s’agit de procédés qui tentent de limiter le réchauffement climatique en réduisant la quantité de lumière du soleil qui atteint la Planète – soit en bloquant physiquement cette lumière (par exemple en plaçant des objets réflectifs dans le ciel pour imiter l’effet de refroidissement des nuages issus des éruptions volcaniques), soit en rendant la surface de la Planète plus brillante, afin qu’elle reflète plus de lumière solaire vers l’espace, c’est-à-dire en augmentant son albédo. Parmi les idées de gestion des rayonnements solaires, il y en a au moins une qui semble dépendre du génie génétique. Une équipe de géo-ingénieurs à l’Université de Bristol (Royaume-Uni) étudie la possibilité de modifier la blancheur et la réflectivité des feuilles des cultures de telle sorte que les champs agricoles puissent refléter plus de lumière du soleil loin de la Terre. Alors que le professeur Andy Ridgewell et ses collègues de la Bristol Bio-géo-ingénierie Initiative (BRISBI) ont d’abord exploré des approches classiques de sélection pour augmenter l’albédo des cultures, ils croient aussi que « en fin de compte, la modification génétique des cires se trouvant sur les feuilles ou des structures du couvert végétal permettrait d’obtenir des réductions de température supérieures ».

Une autre approche de SRM, défendue par le géo-ingénieur Russel Seitz de Harvard, est d’introduire des grandes quantités de petites micro-bulles à la surface des océans et des lacs afin de les rendre plus réfléchissants – ce procédé a été baptisé « l’initiative eau brillante ». Alors que Seitz se concentre actuellement sur l’utilisation de moyens mécaniques pour produire ces petites bulles, il reconnaît que d’autres peuvent en fin de compte essayer des approches biologiques telles que la modification de bactéries marines pour obtenir le même résultat.

Absorber plus de carbone avec des plantes transgéniques

Cependant, c’est dans la deuxième grande catégorie des approches de géo-ingénierie – connue sous le nom de techniques de stockage de dioxyde de carbone (en anglais Carbon Dioxide Removal techniques, CDR) – que le génie génétique est vraiment en train d’être mobilisé. Les techniques CDR tentent d’éliminer le CO2 et les autres gaz à effet de serre de l’atmosphère, par exemple, en construisant des machines chimiques de « capture de l’air » (chemical « air capture » machine) ou en modifiant la chimie des océans afin qu’ils puissent absorber plus de CO2. Bien sûr, le moyen le plus efficace, prouvé et largement déployé, d’éliminer les gaz atmosphériques est de planter des arbres, des prairies, des algues et d’autres plantes. La plupart des activités dans ce domaine se concentrent donc sur l’augmentation de la quantité de carbone qui peut être absorbée par la vie végétale.

Le controversé scientifique militaire Freeman Dyson s’est intéressé à la « bio-géo-ingénierie » quand il a proposé que les scientifiques développent des arbres « capteurs de carbone » qui seraient génétiquement modifiés pour absorber plus de carbone que les arbres normaux. Alors que les arbres magiques de Dyson ne sont même pas encore sur la planche à dessin, il y a une grande quantité de travail par des généticiens des plantes qui visent à accroître la biomasse (et donc la séquestration du carbone) d’une gamme de plantes – faisant ainsi exactement ce que Dyson a proposé [2].

Les approches génétique de maximisation de la biomasse vont du travail payé par la Fondation Gates sous les hospices du Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale (GCRAI) et d’autres structures pour « améliorer » la photosynthèse dans le riz et dans d’autres cultures, au développement de ce qu’on appelle des cultures « adaptées au climat » (climate ready crops) qui permettront la production de biomasse sur ce qui était autrefois considéré comme des terres marginales (par exemple, les marécages, les zones arides, les sols salins). Ce faisant, les généticiens des plantes ont affirmé que de nombreuses astuces pourraient stimuler la biomasse (et donc la séquestration du carbone ) – y compris en utilisant les technologies de type Terminator (qui rendent les plantes stériles) afin que la plante ne gaspille plus son énergie dans les fonctions de reproduction !

Des algues modifiées pour capter le CO2 et produire du carburant

Le plus grand domaine du développement de la bio-géo-ingénierie est probablement le travail sur les algues génétiquement modifiées – la plupart du temps en utilisant les outils de la biologie synthétique. Dans son autobiographie, « Une vie décodée » [3], le pionnier de la biologie synthétique, Craig Venter, a écrit sur la possibilité de modifier les communautés de microbes marins présents en haute mer afin de réguler le climat de la Planète mais ses intérêts commerciaux restent sur la terre ferme. Ainsi, en travaillant main dans la main avec la compagnie pétrolière Exxon, l’équipe de Venter a mis au point des souches à croissance rapide d’algues qui, selon lui, seraient plus efficaces pour séquestrer le CO2 atmosphérique. Il travaille également à des algues permettant de produire des biocarburants. Sa société, Synthetic Genomics Inc, fait partie d’une liste croissante d’entreprises impliquées dans la modification d’algues synthétiques tels que Sapphire, Joule et Algenol qui prétendent utiliser la biologie synthétique pour séquestrer du CO2. En effet une de ces sociétés, Sapphire, connue pour être en partie la propriété de Monsanto, aurait conclu un accord avec l’entreprise privée de géo-ingénierie Energy Kilimanjaro qui a déployé des machines chimiques de « capture de l’air » pour extraire le CO2 de l’atmosphère et qui pourrait éventuellement alimenter directement les algues synthétiques de Sapphire. Deux des concurrents directs de Kilimanjaro, Thermostat Global Inc. et Carbon Engineering Inc. sont aussi supposés avoir conclu des accords avec des sociétés impliquées dans les algues. Des équipes universitaires, financées par des fonds publics aux États-Unis, au Canada et ailleurs, travaillent également sur les algues modifiées dans une approche de géo-ingénierie.

En bout de course, alors que l’activité de géo-ingénierie est aujourd’hui axée sur le changement climatique et essaye d’assujettir le cycle global du carbone, des travaux visant à modifier d’autres systèmes biologiques de la Planète comme le cycle de l’azote ou le cycle de l’eau pourraient émerger puisque génie génétique (fixation de l’azote par des plantes) et bactéries génétiquement modifiées pour nettoyer les eaux pourraient prendre une part de plus en plus importante dans la modification galopante de notre Planète.

[2En France, l’Inra d’Orléans travaille sur des peupliers transgéniques avec cet objectif (NDLR), cf. Christophe NOISETTE, « FRANCE – Peupliers GM, agro-énergie, biodiversité : l’Inra s’explique », Inf’OGM, juillet 2007

[3Venter, C., « A life decoded », ed. Viking, 2007, 390 pages

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