n°115 - mars / avril 2012Fiche technique / Etat des lieux

Insectes génétiquement modifiés : une aberration écologique

Par Christophe NOISETTE, Eric MEUNIER, Pauline VERRIERE

Publié le 16/04/2012

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Le terme Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) fait penser souvent à des plantes voire à des micro-organismes. Mais ce terme concerne tout autant des animaux, tels des insectes. Programmes de recherche, essais en champs, communication de promotion : tous les éléments sont déjà en place pour faire accepter ces insectes GM. Mais, même si les buts de ces insectes GM semblent louables, les risques associés pour la biosphère sont immenses.

Un premier essai d’insectes GM en champ, mais sous cage, a eu lieu aux États-Unis en 2006 [1]. En 2009, des insectes GM étaient relâchés dans l’environnement dans le cadre d’un « essai en champ » aux îles Caïmans [2]. En 2010, les insectes transgéniques font leur entrée dans le débat public sur les OGM avec deux lâchers expérimentaux d’insectes GM [3] en Malaisie et au Brésil. La mobilisation d’associations en Malaisie a permis de faire connaître ce programme et de mettre sur la place publique le débat sur les insectes GM. 

Pourquoi modifier génétiquement des insectes ?

Les travaux de modification génétique des insectes poursuivent, selon l’AESA, quatre objectifs principaux : supprimer une population d’insectes, rendre les insectes incapables de véhiculer une maladie, produire des molécules d’intérêt industriel, utiliser des insectes GM comme prédateurs de parasites [4]. Une dernière piste, encore marginale, est également creusée : modifier génétiquement des insectes pour leur faire exprimer des vaccins qu’ils transmettraient aux hommes en les piquant… Succinctement, selon l’objectif, on travaille sur les modifications suivantes :

a) Suppression d’une population d’insectes : les insectes (mâles ou femelles) sont modifiés pour exprimer un gène létal. Afin que ces insectes ne meurent pas avant accouplement, ils sont traités avec de la tétracycline qui inhibe l’expression de ce gène. Ce sont donc les descendants qui, en absence de tétracycline, mourront. Avant ce subterfuge, deux techniques étaient utilisées : l’utilisation d’insecticides et le lâcher d’insectes mâles irradiés afin de rendre leurs descendants stériles. Mais ces deux approches présentent chacune leurs limites : diminution des insecticides utilisables du fait de leurs impacts environnementaux, et faible nombre d’espèces d’insectes stérilisables par irradiation.

b) Rendre les insectes incapables de véhiculer une maladie en les modifiant pour que l’agent infectieux ne se développe pas dans leur organisme.

c) Utilisation des insectes GM comme prédateurs de parasites : la modification vise à allonger leur durée de vie, les rendre tolérants à des températures extrêmes ou à des pesticides.

d) Fabrication de produits d’intérêt : cela concerne surtout les vers à soie, les abeilles… Ainsi, les vers peuvent être modifiés pour fabriquer une soie aux caractéristiques spéciales. Les abeilles sont modifiées pour fabriquer du miel particulier [5].

Enfin, d’autres travaux visent à modifier génétiquement les parasites présents dans les insectes.

Risques associés : prolifération incontrôlée…

Les risques potentiels en cas de dissémination de tels insectes GM existent : possibilités de dissémination des transgènes par transfert horizontal [6] (à d’autres espèces) et vertical (aux descendants), effets sur les organismes non cibles, sur les organismes ciblés (changement de l’équilibre des populations par exemple), sur la biodiversité, sur l’homme (allergies, irritations, etc.), sur les pratiques agricoles… Notons surtout que l’objectif de suppresion d’une population d’insectes, même s’il n’est ambitionné que localement, pose d’importantes questions de protection de la biodiversité puisqu’il s’agit de viser à éliminer un maillon d’une ou plusieurs chaînes de relations entre êtres vivants (cf. aussi encadré ci-dessous). Des risques peuvent également être associés à une « défaillance » du système basé sur des insectes GM. Dernier exemple en date : le cas des insectes porteurs d’un gène létal contrôlé par la tétracycline. Un document confidentiel d’Oxitec, révélé par GeneWatch, montre qu’il a été observé que 3% des descendants de ces insectes survivent même en absence de tétracycline alors qu’ils sont censés mourir. Par ailleurs, la tétracycline peut être donnée involontairement à ces insectes du fait de sa présence dans la nature, notamment dans les eaux usées [7]. Pour évaluer, dans l’UE, les risques liés aux insectes GM, le rapport mis en ligne par l’AESA [8] servira de base de réflexion qui pourrait déboucher sur la publication de lignes directrices.

Des risques potentiels identifiés

Plusieurs autres risques sont suspectés (1) :

- Impacts sur les espèces : transmission plus efficace d’autres maladies ; occupation par d’autres espèces, vecteurs de la même ou d’autres maladies, de la place « libérée » par le moustique éliminé ; occupation par des « parasites agricoles » de la place libérée ; problèmes sanitaires posés par le moustique GM ;

- Impacts en termes d’adaptation : contournement par les moustiques de la suppression de population, gain de compétitivité…

- perte d’efficacité de la caractéristique transgénique

- adaptation de l’agent infectieux véhiculé par les moustiques.

Facteur aggravant de ces impacts, on ne maîtrise pas la répartition géographique de ces insectes GM, une fois relâchés dans la nature.

1, « Ecological Risk Assessment (ERA) for LM Mosquitoes », Andow D. A., 2010

Oxitec, une entreprise fer de lance des insectes GM

L’entreprise britannique Oxitec tient incontestablement la vedette dans le domaine des insectes GM. Cette entreprise a d’ores et déjà organisé des disséminations dans l’environnement du moustique de l’espèce Aedes aegypti, modifié pour supprimer sa population. Malgré les problèmes soulevés [9], d’autres disséminations pourraient prochainement avoir lieu dans les pays suivants : Panama, Inde, Singapour, Thaïlande, Viêt-nam, États-Unis, Philippines, Costa Rica et Trinité & Tobago. Surtout, Oxitec a annoncé que des lâchers commerciaux pourraient avoir lieu au Brésil rapidement. Mais l’entreprise devra néanmoins obtenir une autorisation commerciale ce qui pourrait prendre du temps. Une autre entreprise britannique, Exosect, travaille à modifier des insectes pour rendre stérile leur descendance tout en les recouvrant de molécules toxiques pour d’autres espèces.

Côté financement, l’UE a attribué des subventions dans le cadre de son septième programme cadre. Le projet Infravec, financé à hauteur de 8,5 millions d’euros, vise à établir une infrastructure de travail regroupant des chercheurs sur des recherches de modification de deux espèces de moustiques : Anopheles gambiae et Aedes aegypti. Parmi les structures membres de ce projet, on trouve Oxitec bien sûr, mais également le CNRS et l’Institut Pasteur. Débuté le 1er septembre 2009, le projet se terminera le 31 août 2013. D’autres sources de financement existent comme le « Grand Challenges in Global Health », lancé par la fondation Bill et Melinda Gates en 2003.

Des essais sans l’accord des habitants

Le premier essai a eu lieu sur l’île Caïman. Aucune action n’a été menée de la part des opposants, tout simplement parce qu’il n’y a pas de société civile informée.

En Malaisie, en revanche, la mobilisation, menée par le TWN, une ONG malaisienne d’ampleur internationale, a été soutenue. Une lettre ouverte, signée par près de 90 organisations, a été envoyée au gouvernement malais pour souligner les inquiétudes par rapport à un lâcher de plusieurs milliers de moustiques GM. Ces organisations demandent notamment plus de transparence autour de tels essais (l’information a été publiée par le gouvernement plusieurs jours après la fin de l’essai), et la veille du démarrage de l’essai en 2010, les médias relayaient, à tort donc, une information sur son report. Les communautés locales concernées par l’essai n’avaient pas non plus été informées. A minima, il aurait fallu le faire, et au mieux, une consultation publique sur l’intérêt social de l’essai aurait été la bienvenue. Enfin, conclut la lettre, maintenant que l’essai a eu lieu, « nous espérons qu’une surveillance robuste et précise de cet essai en champs sera menée afin d’identifier s’il y a quelques impacts négatifs sur l’écologie locale et la santé humaine. Il est aussi nécessaire de s’assurer qu’en cas d’effet négatif, des actions correctives pourraient être immédiatement enclenchées. Nous demandons aux autorités malaisiennes de publier l’intégralité des rapports et des analyses liés à cet essai ». Depuis, seuls des résultats partiels ont été communiqués.

Quelle législation internationale pour ces insectes GM ?

Les exemples de lâchers d’animaux GM posent inévitablement la question de leur encadrement juridique à l’échelle internationale et régionale et de possibles conflits de voisinage entre Etats. Le Protocole de Cartagena organise les échanges d’Organismes Vivants Modifiés (OVM) entre les États, avec le mécanisme d’accord préalable en connaissance de cause entre le pays qui les reçoit et celui qui les exportent, ainsi qu’une procédure d’information et d’évaluation des risques lors des mouvements transfrontières. Si les moustiques rentrent aujourd’hui dans le champ d’application du Protocole, le texte était initialement supposé encadrer les cultures GM [10]. Pour s’adapter à l’évolution des techniques, un groupe spécial d’experts travaille sur les directives pour l’évaluation des risques liés aux OVM [11] dans lesquelles le cas particulier des moustiques GM a été étudié « compte tenu des risques pour la santé humaine et l’environnement ». Ce texte n’est pas obligatoire, il fournit simplement des indications quant à la mise en œuvre du Protocole, et liste les questions pour évaluer les risques de ces OVM et des stratégies de gestion de ces risques.

Plus généralement, le Protocole de Cartagena préconise également « la sensibilisation » du public et sa participation « lors de la prise des décisions relatives aux OVM ». Enfin, est prévue l’information des États voisins touchés par des « mouvements transfrontières non intentionnels » ou « illicites ».

Ce Protocole, en vigueur depuis 2003, prévoit enfin un mécanisme de responsabilité et de réparation pour les dommages résultant de ses mouvements internationaux. Il s’agit du Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation adopté en octobre 2010 [12]. Ce dernier ne sera en vigueur qu’après avoir été ratifié par 40 États et ne sera opposable qu’aux États signataires. L’exemple des moustiques démontre toute la difficulté pour le droit international d’encadrer ce genre de sujet. Bien que partie de ce Protocole, rien n’a empêché la Malaisie de faire ce lâcher sans informer la population. Peu de chance toutefois qu’elle soit inquiétée pour cela, tant il sera difficile à la population de faire reconnaître les engagements de son pays. Si le droit international fixe des grands principes, il laisse aux États le soin de les mettre en œuvre. Ce droit sait être très contraignant lorsqu’il s’agit de commerce, c’est loin d’être le cas pour la protection de la biodiversité. Le Protocole de Nagoya-Kuala Lumpur, s’il ne supprime pas le droit de recours ou d’indemnisation des États, ne prévoit en revanche aucun organe de règlement des conflits.

Un remède pire que le mal ?

Tenter de réduire l’impact du paludisme ou de la dengue est un enjeu sanitaire fort. Mais pourquoi avec des moustiques transgéniques ? La course à l’innovation technique qui, jusqu’à présent, a permis des grands bonds vers un état sanitaire globalement meilleur pour l’être humain, a changé de nature avec l’arrivée des plantes et autres animaux transgéniques. Car la transgenèse a le pouvoir de modifier en profondeur la biosphère. Or, si on souhaite évaluer le rapport bénéfice / risque, encore faut-il que les grandeurs à mesurer soient comparables. Il y a bien sûr un bénéfice pour une population donnée, mais d’autres pistes existent pour réduire l’ampleur de ces maladies, qui n’ont pas été entièrement explorées. Le risque d’altération de la biosphère implique que la justification sanitaire ne tient plus. Nous pourrions évoquer la piste des vaccins, mais aussi et surtout l’amélioration des conditions de vie de populations touchées. Selon le Dr. Jaime Breilh, épidémiologue et professeur à l’Université Simon Bolivar, en Équateur, la recrudescence de ces maladies est liée à de multiples facteurs : la détérioration des zones urbaines (notamment des bidonvilles), la crise des systèmes de santé, la non disponibilité en eau courante qui oblige à stocker l’eau dans des récipients (souvent ouverts) qui favorisent le développement des moustiques, l’absence de « tout à l’égout », la paupérisation liée à l’exode rural, etc. L’on pourrait même dire que ces approches biotechnologiques, fausses solutions coûteuses, ont plutôt surtout tendance à détourner l’attention des causes structurelles de ces fléaux…

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