n°99 - juillet 2009

BANG : convergence des sciences pour recycler de vieilles promesses ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 31/07/2009

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L’idée que la science résoudra les problèmes actuels revient à dire qu’au final, la science est à la fois la maladie et la thérapie. Pour de nombreux responsables politiques, il faut plus de sciences, plus de technologies, sans se demander quelles sciences et quelles techniques. Or, toute la question est là. La science et la technique ne sont pas une et indivisible. Les OGM ont déjà été présentés comme la solution à la crise environnementale (moins de pesticide), alimentaire (plus de rendement) et énergétique (grâce aux agrocarburants). Actuellement une nouvelle offensive technologique voit le jour, sous le sigle BANG, pour Bit Atome Neurone Gène. Par là, on entend la convergence des techniques associées à ces éléments dits de base. Qu’en est-il réellement ? Que pouvons-nous espérer de cette nouvelle « révolution technologique » ?

A bien y regarder, parmi les crises que le BANG entend surtout résoudre, on notera un intérêt tout particulier pour l’économie. Comme cela est écrit dans le document de BEDE (*), la révolution des nanos et l’idée de la convergence des technologies est portée par les politiques car, selon ces derniers, elle « contribuera, entre autre, à relancer l’économie en favorisant la production de nouveaux biens de consommation, à apporter des solutions durables à l’épuisement des ressources énergétiques et de la biomasse, à créer une industrie chimique respectueuse de l’environnement, à résoudre les problèmes de pollution et de réchauffement climatique, et à mettre au point des thérapies qui permettraient de soigner les grandes maladies de notre époque et de restaurer des fonctions altérées chez les personnes en situation de handicap ». En un mot, ces technologies prétendent réussir là où les OGM sont en train d’échouer.

Des techniques d’artificialisation du vivant

Que ce soit les nanotechnologies, la biologie synthétique ou la géoingénierie, toutes ces techniques visent à modifier en profondeur le vivant, à l’artificialiser, dans un souci de domination de la nature. Les nanotechnologies, qui « englobent une série de techniques utilisées pour manipuler la matière à l’échelle des atomes et des molécules », sont basées sur la découverte qu’à l’échelle nano, les propriétés de la matière changent. Dans l’agriculture et l’alimentation, des centaines de produits nanos existent déjà : engrais et régulateurs de croissance, emballages d’aliments et de boissons, produits d’entretien pour la maison et la cuisine, conservateurs, additifs alimentaires intégrés dans les boissons et les aliments ou vendus séparément comme alicaments. Mais les nanotechnologies seules ne suffisent pas : elles fonctionnent avec d’autres technologies. L’idée du BANG est basée sur la convergence des technologies : c’est là son originalité et sa force de persuasion.

La biologie synthétique a pour projet de « concevoir et de construire des nouveaux « dispositifs biologiques » […] et de s’en servir pour reformater les organismes existant et les adapter aux besoins de l’homme ». Ces biobriques portent l’artificialisation au-delà des OGM car « au lieu de copier-coller les séquences d’ADN des gènes pour les transférer d’un organisme à l’autre […], [la biologie synthétique] synthétise directement ces séquences d’ADN. […] En voulant supprimer l’aléatoire lié au bricolage du génie génétique, la biologie synthétique adopte la démarche de l’ingénieur qui conçoit et fabrique ses propres machines ». Si la démarche semble différente, les promesses sont du même ordre : organismes synthétiques qui seraient capables de dépolluer les sols, produire des médicaments, absorber du CO2, faciliter la transformation de cellulose en agrocarburants…

Quant à la géoingénierie, l’idée est de modifier de façon volontaire l’éco-système. Le projet le plus avancé consiste à disséminer à grande échelle des particules de fer ou de l’urée pour « fertiliser les océans » et ainsi « stimuler la séquestration du CO2, par le plancton marin ». La géoingénierie prétend donc maîtriser l’ensemble des interactions de l’éco-système. Or, comme pour les interactions génétiques, là encore, on transforme avant d’avoir compris, car qui peut se targuer d’une compréhension holistique de notre monde ? Ainsi, comme le relate un article du journal Le Monde, en date du 25 mars 2009, cette première expérience a été un échec : « l’ajout de fer a stimulé la croissance de microalgues, dont la biomasse a doublé pendant les deux premières semaines, absorbant ainsi, par photosynthèse, du CO2. Mais la floraison a été stoppée en raison d’une consommation accrue par de petits crustacés, des copépodes. Si bien qu’une faible partie du carbone absorbé a rejoint le fond de l’océan. Une seconde tentative d’ensemencement est restée sans effet sur le phytoplancton, l’écosystème étant saturé en fer ». L’intérêt principal de la géoingénierie est de résoudre l’équation du changement climatique sans avoir à changer nos modes de vie, nos pratiques… En gros, une fois encore : continuons comme avant, la technique se charge de tout.

OGM et BANG : de nombreuses similitudes

Ces technologies, très récentes, on vient de le voir, prétendent toutes résoudre les grands défis de l’humanité, mais présentent pourtant les mêmes faiblesses que des technologies déjà en vigueur. La définition même de la nature des objets nanos porte à débat et ces derniers ne sont pas étiquetés…. Comme pour les OGM, certaines firmes ont commencé par mentionner l’origine nano de leurs produits comme argument publicitaire, mais l’ont vite retiré en raison des inquiétudes qui ont commencé à se manifester parmi les consommateurs. Comme pour les OGM, la question de leur détection et de leur identification pose problème.

Aucunes de ces technologies ne sont évaluées sur le long terme car cela est actuellement impossible. Nous n’avons pas de recul, pas de méthodologies pour garantir leur innocuité. Les objets nanos ou les objets issus de la biologie synthétiques sont difficilement traçables ou détectables. Actuellement, il n’existe pas de procédés de routine permettant de suivre les nanoparticules dans l’air, l’eau, le sol et les organismes vivants. Or, en l’absence de processus validé, aucune évaluation sanitaire sérieuse ne peut se faire. Pourtant certaines « études toxicologiques menées sur des composés bien identifiés indiquent que certains d’entre eux pourraient avoir des effets négatifs sur la santé. Certains pourraient même être aussi dangereux que l’amiante. Mais ces études sont trop rares et ne bénéficient que d’une très faible partie des financements accordés au développement des technologies ».

Autre ressemblance avec la problématique des OGM : la question des brevets. Comme cela est précisé dans le document de BEDE, les nanoproduits visent souvent à remplacer des médicaments tombés dans le domaine public. N’y a-t-il pas là des tentatives de prolonger artificiellement les périodes de brevet ? L’exemple de certains traitements de cancer du sein montre que des formulations nanos des mêmes médicaments ne sont pas significativement plus efficaces mais sont commercialisés à des prix 25 fois plus élevés que les formulations classiques génériques. De même, les organismes issus de la biologie synthétique sont d’ores et déjà brevetés et des entreprises multinationales de la pétro-chimie ou de l’agro-chimie développent des partenariats économiquement intéressants avec les instituts publics de recherche. L’enjeu financier est énorme et pour attirer les investissements, les partisans de la convergence des technologies utilisent la même vieille corde usée : « demain, l’homme ne souffrira plus, il maîtrisera son environnement »… Pourtant ces lendemains qui chantent sont loin d’être à l’ordre du jour… Ils restent pour le moment cantonnés à des objets du quotidien sans grande pertinence pour l’humanité, mais qui permettent de relancer la croissance… ou du moins de ne pas se poser la question d’un nouveau rapport à notre environnement.

Une concentration financière et technique

Derrière toutes ces technologies, un incroyable phénomène de concentration des capitaux est à l’œuvre dans le secteur du contrôle du vivant. Selon un rapport d’ETC Group, en 2008, dix entreprises contrôlent plus des deux tiers de la vente des semences, dix entreprises contrôlent 90% du marché des produis phytosanitaires, dix entreprises contrôlent 55% du marché pharmaceutique, etc. Or avec le BANG, cette concentration va s’accélérer. Autre accélération, la transformation des institutions de recherche publique, de plus en plus obligées de se tourner vers ces technologies pour espérer décrocher des contrats. Ainsi, comme le précise BEDE, « les frontières entre le monde de la science du vivant et celui de l’économie deviennent de plus en plus floues et les politiques scientifiques ne se décident plus qu’à l’aune des possibilités de profit qu’elles permettent d’engranger ». Et si on parle d’autonomie des universités, il faut entendre non pas une volonté de les rendre indépendantes des pouvoirs publics mais de « les lier aux entreprises et au monde économique ». Tout ceci conduit donc à mettre sur le marché des produits technologiques de plus en plus rapidement, au détriment de l’évaluation et du débat public.

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