Fiche technique / Etat des lieux

La tyrannie des accords bilatéraux de biosécurité

Par GRAIN et le Centre africain de biosécurité

Publié le 28/02/2007

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Dans le cadre d’un de ses dossiers thématiques, l’association GRAIN a choisi d’aborder un aspect peu connu de la réglementation sur les relations commerciales entre deux pays, les accords bilatéraux. Ces derniers peuvent intervenir dans le champ du commerce des PGM lorsqu’ils concernent le domaine agricole et être force de loi prioritaire sur les accords internationaux. Inf’OGM fait le choix d’en publier une version française raccourcie afin d’assurer aux lecteurs une vision la plus complète possible sur les réglementations commerciales touchant aux PGM.

Partout dans le monde, le recours aux instruments des accords bilatéraux de commerce pour ouvrir, de force, les marchés aux cultures Génétiquement Modifiées, s’intensifie. Ce dossier examine en particulier la manière dont les négociants en céréales et oléagineux du monde, qui représentent la majeure partie de la production et de la commercialisation de cultures GM aujourd’hui, se servent de ces accords de commerce bilatéraux pour empêcher les pays de construire des cadres réglementaires forts en matière de biosécurité.

Les multinationales veulent des normes internationales faibles et sans surprise qui ne restreignent pas le commerce de leurs produits, qu’ils soient Génétiquement Modifiés (GM) ou non. Mais la résistance de la société à l’alimentation GM engendre toutes sortes de complications. De la prolifération des “zones sans PGM” locales et des boycotts des produits GM par les consommateurs aux législations nationales et mêmes locales sur l’étiquetage, le paysage des réglementations sur la biotechnologie agricole est en constante fluctuation, entraînant des conséquences directes sur les résultats financiers des entreprises. La situation est particulièrement problématique pour le petit cartel qui contrôle le commerce mondial des céréales. Ces entreprises agissent donc avec les entreprises de semences GM et de pesticides, faisant pression partout où elles peuvent, dans les tribunes multilatérales et, de plus en plus, par le biais des circuits bilatéraux.

L’utilisation croissante des espaces bilatéraux comme moyens d’exercer une pression politique n’est pas réservée à la biotechnologie agricole. Ces accords de commerces bilatéraux remplissent le vide laissé par l’échec des pourparlers sur le commerce mondial à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Grâce à eux, les entreprises obtiennent un accès direct aux coulisses des gouvernements étrangers, soutenus par le poids politique que représente le drapeau de leur pays. Les dispositions qui en résultent servent inévitablement deux besoins de base des entreprises : une propriété renforcée sur les actifs (droits de propriété intellectuelle, droits des investisseurs) et des normes réglementaires taillées sur mesure pour leurs intérêts (normes sanitaires et de sécurité). Ce dossier analyse comment et pourquoi les entreprises comptent de plus en plus sur l’arène du commerce bilatéral pour façonner les réglementations sur les produits alimentaires GM. 

Ceux qui tirent les ficelles

Une poignée d’entreprises contrôle le commerce mondial des principales cultures agricoles du monde. Trois entreprises : Cargill (Etats-Unis), Archer Daniel Midland (Etats-Unis) et Louis Dreyfus (France), contrôlent 80% du commerce mondial des céréales. La concentration est particulièrement prononcée pour les trois principales cultures GM commercialisées dans le monde entier : le maïs, le soja et le colza. Le commerce mondial du soja est dominé par seulement quatre entreprises : Bunge, Cargill, ADM et Dreyfus [1]. Quand les gens pensent à l’alimentation GM, ils pensent à Monsanto. Mais les négociants en céréales, qui achètent et vendent les récoltes, sont tout aussi impliqués et exercent en fait une influence beaucoup plus importante.

Au cours des vingt dernières années, les négociants en céréales ont impitoyablement fait campagne pour un programme de libéralisation et d’expansion du marché en se servant des institutions multilatérales du commerce et des finances. Leurs objectifs communs sont d’assurer un marché mondial gigantesque, sans barrière pour les mouvements de leurs produits, et des conditions de production favorables : accès aux subventions, mise en place de droits de propriété intellectuelle, des infrastructures publiques améliorées, des réglementations environnementales et de travail relâchées… L’harmonisation à la baisse des normes sanitaires et de sécurité est une des composantes clef car les entreprises veulent pouvoir expédier n’importe quel produit partout dans le monde sans se demander si elles dérogent ou non aux règles d’étiquetage par exemple.

Les cultures GM encouragent l’expansion de l’agriculture d’exportation, notamment les cultures GM de “première génération”, transformées pour produire des insecticides et tolérer les herbicides. Cependant, le développement des cultures GM tel qu’il a actuellement lieu comportent des inconvénients pour ces entreprises. Le rejet général de l’alimentation et de l’agriculture GM a conduit à la création de marchés séparés pour les produits alimentaires sans PGM et à la promulgation de lois régissant le commerce des produits GM. Cela a généré du chaos et de l’imprévisibilité, deux des situations que les entreprises haïssent le plus, dans la chaîne mondiale des matières premières alimentaires. La solution pour sortir facilement de ce désordre serait bien sûr que les négociants en céréales et en oléagineux abandonnent leur soutien aux cultures GM. Leur pouvoir est tel qu’ils pourraient mettre fin à la production de cultures GM du jour au lendemain s’ils refusaient simplement de s’en occuper. Mais, pour ces entreprises, les espoirs de gains à long terme tirés des cultures GM éclipsent les inconvénients. C’est pourquoi les négociants s’associent avec leurs homologues de l’industrie des intrants agricoles : Monsanto, Syngenta, DuPont et Bayer, et mettent tout leur poids pour trouver une autre solution qui maintiendra le commerce mondial ouvert aux produits GM. 

OMC contre CBD : quelles normes de sécurité ?

La stratégie des négociants en céréales et oléagineux et des industries de biotechnologie, formant ensemble le lobby des PGM, est apparue pour la première fois à l’OMC avec la promulgation de l’Accord sanitaire et phytosanitaire (ASP – connu aussi sous son sigle anglais SPS, cf. encadré ci-dessous). Avec cet accord, les gouvernements ne peuvent pas limiter la manipulation, le transport et l’empaquetage des produits alimentaires GM pour des raisons de sécurité ou de santé à moins qu’ils n’aient une “base scientifique” suffisante leur permettant de prendre cette mesure. Cela vient du fait que l’ASP est basé sur le principe mis en avant par les Etats-Unis que tout produit GM devrait être considéré comme “équivalent en substance” à son homologue non-GM sauf preuve du contraire, les considérations sociales, culturelles ou économiques étant jugées non scientifiques. Ce cadre donne à l’industrie un contrôle total car les entreprises disposent des scientifiques pour définir la “base scientifique” pouvant justifier une restriction sur le commerce des PGM, et de la machinerie des relations publiques pour communiquer et faire de la publicité pour leurs découvertes. De plus, l’ASP est soumis à l’ensemble des réglementations de l’OMC en matière de résolution de différend, ce qui peut porter gravement préjudice à une nation. Par exemple, si un membre de l’OMC adopte une législation d’étiquetage des produits alimentaires contenant des PGM et que la “base scientifique” de cette législation est jugée faible par l’OMC, il pourrait se retrouver condamné et sanctionné. La simple menace de sanctions commerciales à travers l’OMC a poussé le Sri Lanka, la Bolivie, la Croatie et, plus récemment, l’Inde, à faire marche arrière dans l’application de leurs réglementations sur l’étiquetage des PGM [2]. Les restrictions de l’Union européenne sur les cultures GM ont été aussi jugées comme “non scientifiques” par les Etats-Unis, sans conséquence à ce jour.


Accord Sanitaire et Phytosanitaire – Protocole de Biosécurité

ASP : Texte faisant partie du traité instituant l’OMC et entré en vigueur en janvier 1995, l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires définit les règles fondamentales concernant l’innocuité des produits alimentaires, ainsi que les normes sanitaires pour les animaux et les végétaux. Il permet aux pays d’établir leurs propres normes mais il dispose aussi que les réglementations doivent avoir un fondement scientifique. Une partie de ce fondement scientifique est, pour les OGM, l’équivalence en substance.

Voir le site : http://www.wto.org/french/tratop_f/…

PBS : Le protocole sur la biosécurité (ou Protocole de Carthagène) est un accord international fondé sur le principe de précaution, visant à sécuriser les transferts internationaux, la manutention et l’utilisation des PGM. Instaurant une procédure d’information, il permet à un pays importateur de refuser une cargaison de semences ou de produits alimentaires GM en invoquant, mais en le justifiant, le principe de précaution. Adopté à Montréal le 29 janvier 2000, il est entré en vigueur le 11 septembre 2003.

Voir le site : http://www.biodiv.org/biosafety/pro…


Si l’OMC a son Accord sanitaire et phytosanitaire (ASP), la Convention sur la diversité biologique a elle son Protocole de biosécurité (PBS) (cf. encadré ci-dessous). La règle de base du Protocole de biosécurité est le “principe de précaution”. Cela veut dire que si les conséquences potentielles de l’introduction d’une PGM sont graves ou irréversibles, en l’absence de certitude scientifique totale, la charge de la preuve incombe à celui qui veut commercialiser cette PGM. Les deux accords sont par conséquent diamétralement opposés. Alors que l’ASP est idéal pour le lobby des PGM, le Protocole contient toutes sortes de pièges pour ces entreprises. Le lobby des PGM a donc fait tout son possible pour amoindrir le Protocole de Biosécurité et assurer que l’Accord sanitaire et phytosanitaire de l’OMC soit la principale référence pour le commerce international des PGM. C’est dans ce contexte que les accords de commerce bilatéraux conclus en dehors de l’OMC se sont multipliés. Le lobby des PGM a obtenu exactement ce qu’il voulait pour en faire un élément crucial de sa stratégie. Il y est parvenu, car pratiquement tous ces accords renforcent la suprématie de l’ASP au détriment du Protocole de Biosécurité [3]. Ce lobby a été fortement stimulé en mars 2006 quand les parties au Protocole de Biosécurité ont accepté que les pays signataires du Protocole soient dispensés de la documentation requise par le Protocole pour le commerce de produits GM s’ils ont conclu des arrangements bilatéraux ou régionaux séparés avec des pays non parties au Protocole, comme les trois principaux exportateurs de PGM du monde : les Etats-Unis, le Canada et l’Argentine (cf. encadré). Avec cette concession, la porte est désormais ouverte à un assaut de pressions bilatérales pour rendre illégales toutes restrictions sur le commerce des PGM.

La tyrannie bilatérale à l’œuvre

Un exemple en provenance d’Inde peut aider à prendre la mesure des discussions bilatérales. Le 4 avril 2006, le Ministre indien du Commerce Kamal Nath a, dans un amendement à la Loi nationale relative au commerce extérieur, adopté des règlements demandant aux importateurs de déclarer, de certifier et d’obtenir une autorisation d’importation pour tout produit contenant des PGM, réaffirmation d’une loi existant dans les textes depuis 1989. Cette décision avait de quoi inquiéter, l’Inde étant le deuxième plus gros importateur d’huile de soja. L’industrie du soja a immédiatement averti que la nouvelle loi stopperait les importations et mènerait à une pénurie d’huile domestique, malgré l’existence des huiles de moutarde et de palme qui se trouvaient facilement sur le marché et bien que les exportations indiennes de soja non transgénique atteignaient des niveaux record [4]. La première victoire des négociants fut un sursis du Comité d’évaluation du génie génétique (GEAC), le 2 mai 2006, leur donnant le droit d’importer de l’huile de soja transgénique à titre provisoire à condition qu’ils indiquent aux autorités compétentes le pays d’origine de l’homologation et les résultats des tests. Le 8 mai, le Directeur général du commerce extérieur suspendait l’application de l’amendement à la loi jusqu’au 7 juillet, puis reculait de nouveau cette date limite à deux reprises jusqu’en mars 2007, dans l’attente de sa révision et ce, sans évoquer de raison [5].

Or, depuis juillet 2005, des pourparlers commerciaux bilatéraux entre les Etats-Unis et l’Inde, destinés à protéger les entreprises américaines des obstacles non tarifaires au commerce, telles que les restrictions sur les importations de PGM et autres mesures sanitaires et phytosanitaires, avaient lieu au sein du Forum de politique commerciale Etats-Unis – Inde. Lors d’une réunion le 22 juin 2006, les Etats-Unis ont souhaité discuter des nouvelles réglementations indiennes sur les PGM. Lors d’une réunion précédente, le 30 mai 2006, les deux parties “ont discuté en détail des conditions de l’ASP sur…. le commerce des produits issus des biotechnologies avec une référence spécifique aux notifications émises par le Ministère du commerce et de la santé” [6]. Une semaine plus tard, les Etats-Unis se sont alarmés officiellement des réglementations indiennes sur les PGM, ont averti que cela soulèverait également la question avec le Comité Sanitaire et Phytosanitaire de l’OMC et ont demandé que l’Inde “suspende indéfiniment l’application de ces mesures… afin d’éviter une éventuelle perturbation du commerce”. Le Gouvernement indien a répondu que, grâce aux discussions bilatérales avec les Etats-Unis, il était d’accord pour suspendre l’application du règlement jusqu’au 7 juillet et continuerait bilatéralement à répondre aux préoccupations des Etats-Unis [7]. La semaine suivante, Karan Bhatia, représentant adjoint des Etats-Unis pour les négociations commerciales, déclarait que le gouvernement des Etats-Unis travaillait dans le Forum à changer les nouvelles lois indiennes sur les PGM : “il existe des règlements biotechnologiques dont nous sommes bien conscients. Nous sommes en pourparlers là-dessus avec les Indiens. […] La biotechnologie est un point important dans les discussions que nous avons actuellement avec l’Inde dans le cadre du Forum de politique commerciale […], nous avons engagé des discussions avec eux aux fins de savoir si les règlements biotechnologiques vont servir leurs objectifs affichés et s’ils pourront être modifiés de manière efficace” [8].

En 2004, la Chine a cédé aux pressions américaines et renoncé à ses restrictions sur le soja transgénique, donnant ainsi aux Etats-Unis un “engagement politique” de ne pas perturber les futures livraisons de soja [9]. La Thaïlande est revenue sur sa loi d’étiquetage stricte sur les PGM en 2004 lorsque les Etats-Unis ont prévenu que la loi affecterait leurs négociations d’Accord de libre-échange. Mais les Etats-Unis ne sont pas le seul pays à exercer des pressions bilatérales, l’utilisation des instruments commerciaux bilatéraux est en plein essor partout dans le monde.

Bulldozers bilatéraux

Les efforts déployés pour réglementer les produits alimentaires GM par des instruments bilatéraux ne sont pas un cas isolé. Il existe plus de 2 200 traités bilatéraux d’investissement en vigueur et le nombre d’Accords de libre-échange (ALE) augmente chaque mois. Le commerce agricole est un aspect important de ces ALE. Le lobby des PGM a ces contrats à son ordre du jour et commence à intervenir plus rapidement et fermement en ce sens [10].

Au début de ce processus, les entreprises travaillent avec le gouvernement de leur pays d’origine afin d’identifier des objectifs de négociations précis. Le lobby des PGM n’est pas étranger à une telle stratégie, telle l’Organisation de l’industrie biotechnologique (BIO) qui œuvre activement auprès du Bureau du Représentant des Etats-Unis pour les questions commerciales internationales (USTR) sur les accords commerciaux bilatéraux. Dans le cadre des négociations ALE entre les Etats-Unis et la Corée, BIO a demandé aux Etats-Unis de faire supprimer certains aspects des projets de réglementation coréenne relative à la mise en œuvre du PBS et de contester les lois coréennes relatives à l’étiquetage des PGM comme n’étant pas en conformité avec l’ASP de l’OMC [11]. BIO a présenté une demande similaire pour les pourparlers de l’ALE entre les Etats-Unis et la Malaisie. Pour cet accord, les demandes étaient que le gouvernement des Etats-Unis s’assurent que la Malaisie s’engage à accepter “une reconnaissance mutuelle” des PGM approuvés dans d’autres pays ou par les organisations internationales d’évaluation, qu’il clarifie les rôles et responsabilités dans la politique du gouvernement malais en matière de biotechnologie, qu’il apporte plus de cohérence aux positions de la Malaisie en matière de commerce des biotechnologies au niveau international et que soit nommée l’entreprise Malaysian Biotechnology comme organisme principal du gouvernement malais en matière de politique biotechnologique” [12]. Lors des négociations bilatérales sur l’accession de la Russie à l’OMC, BIO a demandé aux Etats-Unis que la Russie s’engage “à approuver plusieurs demandes en cours relatives à des produits agricoles issus des biotechnologies” et à lever l’interdiction des produits GM dans les écoles, mise en place par la ville de Moscou. Selon BIO : “L’expérience passée a montré que ces questions doivent être résolues avant que les négociations soient conclues” [13].


Le sabotage du Protocole de Biosécurité

L’article 18.2a du Protocole de biosécurité apparaît comme une concession de dernière minute faite aux pays exportateurs de PGM puisqu’il permet aux négociants en céréales de commercialiser leurs cargaisons en vrac de produits agricoles contaminés par les PGM, si elles portent l’avertissement “susceptibles de contenir des PGM”. La Coalition internationale du commerce des céréales (IGTC – regroupement des principaux négociants en céréales et oléagineux et de l’industrie des biotechnologies) déclarait que les exigences de documentation établies par le Protocole étaient difficilement applicables et a toujours considéré les accords bilatéraux comme un moyen de contrer toute exigence de documentation trop précise. En 2003, Dennis Stephens, de l’IGTC, encourageait les exportateurs de PGM à utiliser l’Article 24 du Protocole qui porte sur les droits des parties à conclure des “accords et arrangements de libre-échange” avec les pays non-parties [14].

En 2004, le Mexique, une des Parties au Protocole, a conclu un arrangement destiné à mettre en application l’article 18.2a avec les partenaires de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les Etats-Unis et le Canada, qui sont l’un comme l’autre non-Parties au Protocole [15]. L’arrangement ALENA reproduit les propositions faites par l’IGTC, en particulier lorsqu’il s’agit des seuils et de la ’présence fortuite’ de PGM [16]. En mars 2006 à Curitiba, au Brésil, les parties au Protocole ont finalement convenu d’une solution pour l’Article 18.2a. La documentation requise à titre provisoire pour le commerce des PGM entre les Parties au Protocole pour les six années à venir a été adoptée. Mais le Mexique a insisté et obtenu que cet accord exclue expressément que la documentation requise par le Protocole s’applique au commerce entre Parties et non-Parties qui se ferait dans le cadre d’accords ou d’arrangements bilatéraux, multilatéraux ou régionaux. Le Protocole de biosécurité fournit une clause de récupération et une lacune permettant aux exportateurs de ne pas respecter les exigences relatives à la documentation établies par les lois nationales des pays importateurs. L’IGTC n’a ensuite pas hésité à encourager ses membres à exploiter cette lacune, comme en témoigne une circulaire adressée à ses membres après Curitiba : “lorsqu’une des Parties conclut un arrangement avec les Parties ou les non-Parties contenant des exigences relatives à la documentation différentes [de celles contenues dans le Protocole] (telles que celles contenues dans l’Arrangement trilatéral conclu entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada), l’industrie ne sera pas tenue de fournir la documentation détaillée requise avant que celle-ci n’ait fait l’objet d’un accord à un niveau bilatéral ou régional” [17].


Aux Etats-Unis, le Congrès demande au Président américain de consulter les groupes des entreprises dans le cadre de son autorité sur les “procédures de négociation accélérée”. Mais le lien se prolonge jusqu’au niveau d’entreprises spécifiques. Comme David Spooner du Département du Commerce des Etats-Unis l’a déclaré à Monsanto en mai 2006, “Nous sommes tout à fait capables de promouvoir des sociétés ou industries particulières auprès des gouvernements étrangers” [18]. L’ironie dans le cas de BIO réside dans le fait qu’elle exprime les objectifs des négociations des Etats-Unis en vue d’un accord de commerce bilatéral donné, alors même que ses membres sont des entreprises de biotechnologie issues de 33 pays. Cela comprend la Malaisie, la Russie et la Corée, pays avec lesquels les Etats-Unis sont en train de négocier des accords commerciaux. C’est pourquoi, au moment où BIO soutient le gouvernement des Etats-Unis sur les accords ALE entre les Etats-Unis et la Malaisie, la question se pose de savoir si c’est le membre de la Malaisie, appartenant et dirigé par le gouvernement malais, qui parle ou si ce sont juste les sociétés états-uniennes.

En règle générale, les accords commerciaux bilatéraux ont un chapitre sur les questions relatives aux mesures sanitaires et phytosanitaires mais un nombre croissant de ces accords vont plus loin et mettent en place des Comités Sanitaires et Phytosanitaires communs où les préoccupations relatives à la biosécurité peuvent être soulevées et négociées sur une base bilatérale institutionnalisée. Sans pouvoir décisionnel, ces comités introduisent leurs experts en politique commerciale et les entreprises des Etats-Unis directement dans les lieux de prises de décisions sanitaires et phytosanitaires des pays étrangers. Ils lient en outre les deux pays par une coopération suivie dans laquelle on attend des décideurs des deux capitales qu’ils s’entendent sur des positions communes dans les processus internationaux. Ainsi, dans le cadre de son ALE avec les Etats-Unis, “l’Australie doit donner aux représentants américains les mêmes droits que les Australiens de participer au développement des réglementations relatives aux normes et techniques de l’Australie” selon l’Australia Fair Trade and Investment Network [19]. Au Pérou, selon l’Association pour la nature et le développement durable de Quechua Aymara (ANDES), “en synchronisant les dispositions réglementaires sanitaires et phytosanitaires du Pérou avec celles des Etats-Unis”, l’Accord de libre-échange a ouvert les portes à la “déréglementation” des PGM [20]. Des Comités Sanitaires et Phytosanitaires similaires ont été établis dans le cadre d’accords de libre-échange entre les Etats-Unis et le Maroc, le Chili, le Pérou et la Colombie, entre le Canada et le Costa Rica, entre l’Australie et la Thaïlande également avec pour ce dernier, possibilité de régler les différends.

Du côté de l’Union européenne, les ASP sont de plus en plus présents dans l’agenda de son commerce bilatéral, même si l’UE est réputée prudente en matière de produits alimentaires GM. L’Accord de libre-échange conclu entre l’UE et le Mexique en 1995 a établi une Commission spéciale chargée des mesures sanitaires et phytosanitaires, comme l’a fait l’accord ALE entre l’UE et le Chili en 2002. Le projet d’accord ALE entre l’UE et l’Afrique de l’Est et australe engage les parties à “s’efforcer d’harmoniser leurs normes” conformément à l’ASP de l’OMC et à “développer un mécanisme commun de coordination, de consultations et d’échange d’informations relatif à la notification et l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires”. Le projet d’accord ALE entre l’UE et les pays du Pacifique consacre un article visant à “s’assurer que la législation et les pratiques relatives à la biosécurité des parties du Pacifique sont en conformité avec [l’Accord SPS de l’OMC]”.

Surveiller les accords bilatéraux pour éviter les PGM

Il est évident que le lobby des PGM ne mettra jamais tous ses œufs dans le même panier. Les entreprises, tout comme les gouvernements, ont plus d’une carte dans leur manche pour obtenir ce qu’elles veulent. Leurs efforts pour alléger au maximum la réglementation régissant le commerce des semences et de l’alimentation humaine et animale GM en sont un exemple. L’ASP de l’OMC permet d’avoir une ligne politique de base de “non intervention” dans laquelle sont clairement engagés les Etats-Unis en particulier, mais aussi l’UE, le Canada et d’autres pays actifs sur le front des accords ALE bilatéraux. Le Protocole de biosécurité, qui autorise des règlements plus interventionnistes, est un problème pour l’industrie des biotechnologies, c’est pourquoi, comme nous l’avons vu, il a été habilement affaibli par de nouvelles dispositions qui permettent aux parties de l’ignorer si elles ont signé un accord bilatéral sur la même question. Cela ne veut pas dire que toutes les décisions politiques en matière de biosécurité vont désormais être transformées en accords bilatéraux. Les entreprises et les gouvernements des pays exportateurs de PGM utiliseront toujours simultanément autant d’instruments et de tribunes que possible. Mais avec une OMC où il ne se passe rien et le Protocole de la CBD désormais dépouillé de son indépendance, les accords de commerce bilatéraux sont de toute évidence en train de devenir des voies bien plus importantes pour les pays industrialisés de réduire au minimum les réglementations de biosécurité dans les pays en développement. C’est encore plus évident au sein des ALE Nord-Sud.

[1“Food Inc. : Corporate concentration from farm to consumer”, B. Vorley, UK Food Group, Oct. 2003

[5“India suspends rule on GM imports until end-March”, Reuters, 21 juillet 2006

[7http://docsonline.wto.org/imrd/dire… et “GM ALERT : US Using WTO to Push GM Food into India”, Forum for Biotechnology & Food Security, New Delhi

[9Lettre de Gary Martin, directeur général de l’Association Nord américaine d’exportation de céréales, à Gloria Blue, Secrétaire exécutive du bureau USTR, 15 septembre 2004.

[13Lettre de James Greenwood, directeur général de BIO, au Comité des finances du Sénat et à la Chambre du Comité sur les techniques et moyens concernant les négociations avec la Fédération de Russie sur son entrée à l’OMC, 9 juin 2006.

[14“Cartagena Protocol on Biosafety : From Negotiation to Implementation”, D. Stephens, CBD, non daté mais antérieur au 23-27 février 2004.

[15“The North American Free Trade Agreement Commission for Environment Cooperation (NAFTA CEC), recommendations versus the US-Canada-Mexico trilateral agreements : implication for the implementation of Article 18 of the Biosafety Protocol”, http://www.greenpeace.org

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