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OGM non transgénique : l’illégalité de l’Italie contestée

Par Charlotte KRINKE

Publié le 07/12/2021

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Le 30 mars 2021, plusieurs organisations agricoles italiennes ont déposé une pétition auprès de la commission des pétitions du Parlement européen. Elles y dénoncent la non-application, par l’Italie, de la réglementation OGM suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de 2018. C’est la deuxième pétition déposée sur ce sujet par des organisations agricoles, illustrant l’intérêt du droit de pétition comme moyen de pression sur la Commission européenne, qui est en passe de proposer une révision de la réglementation OGM. 

En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) jugeait que « les organismes issus de techniques de mutagénèse apparues ou principalement développées après 2001 ne peuvent être exemptés de l’application de la réglementation OGM ». Cet arrêt fait, depuis, l’objet de profondes divergences d’interprétation qui ont pour résultat sa non-application dans plusieurs, si ce n’est la totalité, des États membres.

Cette situation a été dénoncée en France, par la voie judiciaire, par neuf organisations de la société civile [1]. Cette procédure a récemment abouti à une nouvelle saisine de la CJUE par le Conseil d’État [2]. En parallèle, deux de ces organisations – la Confédération Paysanne et la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique – se sont saisies d’un autre moyen pour dénoncer cette atteinte à la réglementation : le droit de pétition devant le Parlement européen [3] [4]. Le 30 mars 2021, trois organisations agricoles italiennes (l’Association rurale italienne, l’Association italienne de l’agriculture biologique et la Fédération des syndicats) ont décidé, à leur tour, de déposer une pétition auprès du Parlement européen [5].

L’enjeu des nouvelles techniques en Italie

Dans leur pétition, déclarée recevable par la commission des pétitions, les organisations agricoles italiennes défendent que le gouvernement italien n’applique pas l’arrêt de la CJUE de 2018. Elles citent en particulier le cas du colza Clearfield, obtenu par mutagénèse aléatoire in vitro, et qui est donc un OGM au sens de l’arrêt de la Cour de justice. Pour les organisations italiennes, ce colza aurait dû faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché en application de la réglementation OGM. Puisque tel n’est pas le cas, les pétitionnaires estiment que son utilisation et sa mise sur le marché sont illégales.

L’enjeu du statut des nouvelles techniques résonne particulièrement en Italie, en raison notamment de l’importance de l’agriculture biologique. Le pays compte en effet la plus grande part de surfaces dédiées à l’agriculture biologique dans l’Union européenne et, selon les statistiques de l’ISMEA (un organisme public placé sous la tutelle du ministère italien de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Forêts), le secteur pèse 3,6 milliards d’euros, soit 4 % de l’ensemble du secteur agroalimentaire [6]. Jusqu’à présent, cette situation conduisait le gouvernement italien à considérer que la culture d’OGM devait être interdite sur le territoire, ce qui est le cas depuis une vingtaine d’années [7]. Or, la position du Gouvernement italien pourrait être différente à l’égard des OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique, comme le laisse entendre une récente déclaration du ministre italien de l’agriculture.

Pour la Commission, pas de manquement de l’État italien

Pour traiter la pétition des organisations agricoles italiennes, la commission des pétitions a décidé d’interroger deux autres commissions du Parlement européen (la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire et la commission de l’agriculture et du développement rural) pour obtenir leur avis. Elle a également décidé d’interroger la Commission européenne.

Dans sa réponse donnée le 12 novembre dernier [8], la Commission européenne affirme, sans surprise, que l’Italie n’agit pas en méconnaissance de la réglementation OGM. Elle considère en effet que le colza Clearfield n’est pas soumis à la directive 2001/18 et donc que le Gouvernement italien ne peut pas se voir reprocher de ne pas en interdire la culture et la mise sur le marché.

Pour arriver à cette conclusion, la Commission européenne avance deux arguments, également invoqués dans le cadre de la pétition déposée par les organisations agricoles françaises. D’une part, elle défend, sans citer de références, que « l’information disponible montre que la mutagénèse aléatoire in vitro a été développée, était déjà utilisée et était bien connue en tant que technique de sélection des plantes avant l’adoption de la directive 2001/18 ». D’autre part, il n’y a pas lieu, selon la Commission européenne, de distinguer la mutagénèse in vivo et in vitro, cette distinction n’étant fondée ni juridiquement, ni scientifiquement. Pourtant, si la mutagénèse in vivo avait déjà, lors de l’adoption de la directive 2001/18, fait preuve d’un long historique de sécurité, ce n’est pas le cas de la mutagénèse in vitro qui, tout comme la transgenèse, est apparue peu de temps avant 2001 et n’a été principalement développée qu’après cette date.

L’interprétation des organisations serait contraire à la réglementation

La Commission européenne va même plus loin en affirmant qu’appliquer l’arrêt de la Cour de justice, en considérant que les organismes issus de mutagénèse aléatoire in vitro sont soumis à la réglementation OGM, serait une violation du droit de l’Union européenne. Elle rappelle pour cela le cas de la France. Le gouvernement français avait en effet, à la suite de la décision du Conseil d’État de février 2020, transmis trois projets de textes réglementaires (décret et arrêtés) à la Commission européenne pour se mettre en conformité avec la décision de la haute juridiction administrative française. Ces textes n’ont jamais été adoptés, la Commission européenne ayant émis un avis circonstancié.

Dans sa réponse à la commission des pétitions sur la pétition italienne, la Commission européenne précise que ces projets de texte auraient constitué une violation de certaines dispositions de la directive 2001/18 sur les OGM, de la directive 2002/53 (instituant le Catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles) et de la directive 2002/55 (règles de commercialisation des semences).

En clair, la Commission européenne fait savoir que l’adoption de ce type de réglementation nationale, fondée sur une interprétation de l’arrêt de la Cour de justice telle que défendue par les organisations italiennes et françaises, pourrait l’amener à enclencher une procédure en manquement contre l’État concerné. Ironiquement, c’est une procédure sur laquelle peuvent également déboucher les pétitions déposées auprès du Parlement européen lorsque la Commission européenne estime qu’il y a effectivement une application incorrecte de la législation de l’Union par l’État membre visé dans la pétition. Mais la pétition des organisations italiennes ne débouchera pas sur une telle procédure… En revanche, un autre intérêt réside dans la pétition déposée devant le Parlement européen.

Porter le débat sur le statut des nouvelles techniques devant les représentants des citoyens de l’UE

Le droit de pétition devant le Parlement européen, prévu dans le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (article 227), est ouvert à tout citoyen de l’Union européenne [9]. La pétition, qui doit porter sur une question relevant d’un domaine de compétence de l’Union européenne, peut se présenter sous la forme d’une plainte ou d’une requête.

De manière générale, l’intérêt du droit de pétition réside dans la possibilité de dénoncer une atteinte au droit de l’Union européenne en évitant les frais liés à une procédure judiciaire et, surtout, en contournant les conditions très restrictives pour un particulier de saisir les juridictions de l’Union. Dans le cas plus spécifique du débat autour du statut juridique des OGM non transgéniques, l’intérêt du droit de pétition est aussi de permettre de porter le débat devant la seule institution de l’UE composée de membres directement élus par les citoyens européens et chargée de les représenter. Par ce biais existe la possibilité d’accentuer la pression de la société civile sur la Commission européenne à l’heure où celle-ci est sur le point de proposer une révision de la réglementation OGM…

La pétition déposée par les organisations italiennes va prochainement être examinée en commission des pétitions (probablement au mois de janvier) sur la base de la réponse de la Commission européenne.

[1Amis de la Terre, Confédération Paysanne, CSFV 49, OGM-dangers, Nature et Progrès, Réseau Semences Paysannes, vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OGM 33, Vigilance OG2M.

[4En octobre 2021, la commission des pétitions avait décidé de maintenir ouverte à la signature la pétition déposée par la Confédération paysanne et la FNAB, et ce contre l’avis de la Commission européenne.

[5Pétition nº 0356/2021, présentée par Fabrizio Garbarino, de nationalité italienne, au nom de l’Association rurale italienne (Associazione Rurale Italiana – ARI), de l’Association italienne de l’agriculture biologique (Associazione Italiana Agricoltura Biologica – AIAB) et de la Fédération des syndicats (Unione Sindacale di Base – USB), sur la situation et la réglementation des nouveaux OGM en Italie. https://www.europarl.europa.eu/petitions/fr/petition/content/0356%252F2021/html/Petition-No%25C2%25A00356%252F2021-by-Fabrizio-Garbarino-%2528Italian%2529%252C-on-behalf-of-the-Italian-Rural-Association-%2528Associazione-Rurale-Italiana-%25E2%2580%2593-ARI%2529%252C-the-Italian-Organic-Farming-Association-%2528Associazione-Italiana-Agricoltura-Biologica-%25E2%2580%2593-AIAB%2529-and-the-Federation-of-Trade-Unions-%2528Unione-Sindacale-di-Base-%25E2%2580%2593-USB%2529-on-the-situation-and-regulation-of-novel-GMOs-in-Italy

[7La première mesure réglementaire prise sur le sujet est le décret Amato d’août 2000, qui interdisait la commercialisation et l’utilisation de produits alimentaires issus de quatre types de maïs génétiquement modifiés autorisés au niveau de l’Union européenne.

[8Les avis des deux commissions parlementaires interrogées n’ont pas encore été rendus.

[9L’article 227 TFUE stipule que « tout citoyen de l’Union, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre, a le droit de présenter, à titre individuel ou en association avec d’autres citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un sujet relevant des domaines d’activité de l’Union et qui le ou la concerne directement. »

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