n°168 - juillet / septembre 2022

Mutagénèse in vivo ou in vitro, quelle histoire…

Par Eric MEUNIER

Publié le 05/07/2022

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Dans le débat OGM, la Commission européenne utilise un langage imprécis au regard des développements techniques, qui lui permet des propos erronés. Affirmer que, dans le domaine végétal, toutes les techniques récentes de mutagénèse sont un simple continuum de techniques plus anciennes fait l’impasse sur le fait que la mutagénèse sur cellule isolée n’était pas assez fiable en 2001 pour qu’elle puisse être utilisée régulièrement [1].

Dans un protocole de modification génétique de plantes, plusieurs données sont fondamentales, comme le caractère naturel ou artificiel des processus à l’origine des modifications génétiques ou la matière biologique utilisée (plante, partie de plante, cellules isolées…). Mais il a fallu du temps pour pouvoir travailler avec des cellules isolées de plante, puis régénérer des plantes à partir de ces cellules multipliées in vitro. Le nombre de ces plantes cultivées sur de grandes surfaces reste encore faible. Pourtant, la Commission européenne estime que cette technique récente de mutagénèse sur cellules isolées et multipliées in vitro est un simple continuum des techniques traditionnelles de mutagénèse effectuées sur des plantes entières ou des parties de plantes (in vivo). Et qu’elle peut donc bénéficier du long historique de sécurité avérée des techniques anciennes [2]. Mais la Commission européenne, qui n’est pas tenue à l’impossible, n’a fourni aucun historique d’utilisation de techniques démontrant la réalité d’un continuum qui n’existe pas.

Preuve de concept, première commercialisation ou plusieurs années de culture ?

La législation établit qu’une technique doit avoir été utilisée pour diverses applications pour espérer bénéficier d’un historique. En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a repris les termes des directives 90/220 et 2001/18. Elle a rappelé que les « organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » sont les seuls exemptés des requis de la loi. Le décompte d’un tel historique démarre donc, au plus tôt, l’année de mise en culture d’OGM issus de la technique considérée sur des surfaces suffisamment grandes.

Les informations existantes sur une technique de modification génétique concernent diverses étapes sur le chemin de cette commercialisation. En théorie, ces étapes sont multiples. Chronologiquement, la première serait celle de preuve de concept montrant qu’il est possible, en laboratoire, de réaliser une technique particulière de modification génétique. Elle est régulièrement datée par référence à l’article scientifique publié pour la renseigner. S’ouvre ensuite la période de mise au point des techniques de développement qui permettent de reproduire de manière constante et à un coût supportable de telles plantes. Puis, viennent les essais en champs pour analyser son « comportement », une étape nécessitant au minimum huit à dix ans en sélection classique. Les nouvelles techniques génomiques qui émergent depuis 2001 promettent de raccourcir ce délai. Ensuite, le sélectionneur doit inscrire sa variété sur le catalogue officiel, pour pouvoir la commercialiser. Enfin, la mise en culture de ces plantes doit se faire sur des surfaces suffisamment grandes.

Des preuves de concept dans les années 80

Divers articles scientifiques renseignent les dates auxquelles ont pu être établies les preuves de concept de différentes étapes techniques en laboratoire. Pour la mutagénèse utilisant des produits chimiques ou physiques sur cellules isolées et multipliées in vitro, ces étapes sont notamment la capacité de multiplier des cellules in vitro et de régénérer des plantes entières à partir de ces cellules. Dans un article de 2012 [3] , T. Thorpe rapporte que les « variations » génétiques liées à la mise en culture in vitro de cellules isolées ont été observées pour la première fois à partir de 1955 (on les appellera plus tard variants somaclonaux). Si, en 1965, pour la première fois, une plante entière (un tabac) est régénérée à partir d’une seule cellule, « ce n’est que dans les années 1970 que l’on a tenté de les utiliser [les cultures de cellules] pour l’amélioration des plantes ». Mais, au début des années 80, des scientifiques expliquent que travailler sur des cellules isolées et multipliées in vitro « exige une capacité efficace et durable de régénération des plantes à partir de cultures cellulaires » [4]. Or, à cette époque, « la régénération de plantes à partir [d’amas de cellules] (…) et la culture de protoplastes puis leur fusion, n’ont quitté que depuis peu le domaine expérimental. (…) Leur insertion dans les programmes de sélection classique (…) est en cours » [5].

Dans les années 90, moment d’adoption de la première directive européenne sur les OGM, T. Thorpe constate que « un succès limité a été obtenu dans l’exploitation de la variation somaclonale ou dans la régénération de plantules utiles à partir de cellules mutantes », sans donner les dates à partir desquelles de telles plantes ont été éventuellement développées. S. Jain, chercheur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) précise également qu’en 2001 un « nombre limité de variantes somaclonales ont été libérées en tant que cultivars dans quelques cultures » [6]. Les années de preuve de concept données pour ces quelques variants sont 1983 pour une patate douce, 1986 pour une mûre sans épine et un arbre nommé Paulownia tomentosa, 1988 pour une une citronnelle et un piment. Les vingt autres cultivars listés par S. Jain ont fait leur preuve après 1989.

La capacité de régénérer des plantes à partir de culture de cellules isolées puis multipliées in vitro date de la fin des années 80 / début 90. Et les premières plantes obtenues par mutagénèse résultant de la régénération de cellules multipliées in vitro ont fait l’objet d’articles scientifiques au milieu des années 80. Or, une fois ces articles publiés, il reste à développer, tester, inscrire au catalogue, mettre sur le marché ces plantes. Elles sont donc arrivées au plus tôt sur le marché au milieu des années 90. La mutagénèse aléatoire sur culture de cellules in vitro n’a d’ailleurs donné à cette époque que très peu de plantes commercialisées, étant surtout apparues fin 90 / début 2000 [7] . En l’absence d’évaluation, seules celles qui ont obtenu un succès commercial suffisamment long ont pu fournir des données concernant une éventuelle sécurité avérée depuis longtemps. Ce n’est le cas d’aucune d’entre elles avant 2001.

[1Mohan Jain, S., « Tissue culture-derived variation in crop improvement », Euphytica 118, 153–166 (2001).

[3Thorpe T., « History of plant tissue culture », Methods Mol Biol, 2012 ; 877:9-27.

[4Larkin PJ, Scowcroft WR, « Somaclonal variation – a novel source of variability from cell cultures for plant improvement », Theor Appl Genet, 1981 Oct ; 60(4):197-214.

[5Michel Branchard, « Application des vitrométhodes à la mise en œuvre de programmes de sélection de plantes résistantes à des maladies », Agronomie, EDP Sciences, 1984, 4 (9), pp.905-911.

[6Cf. note 1

[7Bartsch, Detlef & Ehlers, Ulrich & Hartung, Frank & Kahrmann, Jens & Leggewie, Georg & Sprink, Thorben & Wilhelm, Ralf, « Questions Regarding the Implementation of EU Mutagenesis Ruling in France ». Frontiers in Plant Science, 11 septembre 2020.

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