n°105 - juillet / août 2010

Gouvernement et société civile déjouent (provisoirement ?) la manœuvre de la Commission européenne sur les autorisations de PGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 28/07/2010, modifié le 05/12/2023

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La Commission européenne (CE) propose aux Etats membres de leur fournir les outils nécessaires pour décider d’interdire nationalement la culture d’une plante génétiquement modifiée (PGM). Cette proposition, dont le contenu a été rendu public début juin, est perçue différemment selon les acteurs impliqués dans le débat. Pour une entreprise comme Dupont, il s’agit d’un grand pas en avant. A l’inverse, certains considèrent qu’il s’agit d’un jeu de dupes que la Commission propose pour alléger son travail sur le dossier des PGM et accélérer les autorisations européennes. Pour d’autres, il s’agit d’une proposition qui pourrait être discutée mais après que la Commission ait préalablement répondu à certaines questions. Et nombreux sont ceux qui se retrouvent justement sur les réponses à obtenir de la Commission avant même de se prononcer sur sa proposition. Dans tous les cas, les discussions s’annoncent vives. Tour d’horizon des réactions.

 

Les gouvernements français et espagnols ont été les premiers à donner un aperçu de leurs positions à l’occasion du Conseil des ministres de l’Environnement du 11 juin 2010.

Les gouvernements réagissent différemment

Pour le ministre de l’Environnement français, Jean-Louis Borloo, les choses semblent assez claires : « les vingt-sept se sont mis d’accord à l’unanimité en décembre 2008 pour revoir complètement les méthodes d’évaluation et d’expertise qui aboutissent aux autorisations (1) […] considérant qu’en l’état actuel, le système n’est pas suffisamment rassurant, pertinent. […] J’attends que la Commission européenne nous dise où on en est. Que l’on puisse ensuite discuter d’une éventuelle autorisation avec subsidiarité [NDLR : plus de latitude dans l’application laissée aux Etats membres] ne me choque pas. Mais il ne s’agit pas de troquer, d’échanger cette subsidiarité contre l’absolue exigence d’un rehaussement des conditions d’expertise » (2).
La position espagnole paraît plus radicale. La ministre de l’Environnement et de l’Agriculture, Elena Espinosa a en effet déclaré : « nous avons toujours défendu l’idée qu’il [le dossier des PGM] doit s’agir d’un programme européen. L’agriculture est une politique commune et il n’y a aucune raison qu’une production particulière ne fasse pas partie de cette politique commune ». Selon Reuters, la ministre a également déclaré accueillir « favorablement tout renforcement de la transparence et de l’expertise scientifique qui permettrait d’accélérer les processus d’adoption » (2).
La position du gouvernement belge – qui présidera l’UE lors des discussions sur la proposition – illustre des questionnements que l’on retrouve ailleurs, relatifs à la faisabilité d’une telle proposition, notamment au regard des règles du marché commun. Selon Herman Claeys, diplomate belge, le gouvernement belge a « des doutes quant à savoir si [les pistes proposées par la Commission] respectent les règles internes du marché, celles de l’Organisation Mondiale du Commerce et les accords bilatéraux » (3). De son côté, Michel Haas, du ministère autrichien de la santé a expliqué que cette proposition « va dans la bonne direction […] la moitié des Etats membres seront, je crois, satisfaits de cette proposition mais pas tous » (4).
Enfin, la Grande-Bretagne a fait valoir son soutien à cette proposition, considérant que « les OGM ont un rôle significatif à jouer » et qu’il faut « laisser le choix au consommateur » (3).

Pour l’entreprise Dupont, c’est « un grand pas en avant » !

Attendues dans ce débat sur les procédures européennes, les réactions des entreprises ne sont pas légion. A n’en pas douter, ces entreprises auront pourtant un poids dans les discussions. Au point d’être informées des avancées avant les autres ? La question se pose puisque qu’un représentant de Dupont explique avoir eu une présentation des propositions par John Dalli, avant que celles-ci ne soient rendues publiques. Selon le vice-président de Dupont, James Borel (5), cette proposition est « un grand pas en avant » mais elle n’éliminera pas tous les obstacles à la commercialisation des PGM. Il précise également que « sur la durée, les Etats membres y viendront [aux PGM] et réaliseront les bénéfices de cette technologie », comme un écho aux positions des structures opposées à cette proposition, car, selon lui, les Etats membres interdisant les PGM se les verront imposer de force par les Etats membres les cultivant autour d’eux.

Pour la société civile, une position de méfiance

Du côté de la société civile, historiquement à l’origine du débat européen sur les PGM après les premières actions en 1998 et 1999, méfiance et fermeté semblent prédominer. Méfiance sur la faisabilité et les conséquences de la proposition, fermeté sur les réponses à obtenir de la Commission avant tout.
Ainsi, certains affichent d’ores et déjà une opposition de principe comme la Coordination européenne de Via Campesina. Cette dernière se déclare « atterrée de la proposition faite par la CE de restructurer la procédure de décision entre l’UE et les Etats membres, proposition qui résultera en plus de PGM cultivées et utilisées en Europe » (6). Pour Via Campesina, qui rappelle que les citoyens européens ne veulent pas des PGM, la proposition vise donc seulement à « faciliter l’autorisation des PGM » sous couvert d’en permettre l’interdiction (pour la culture) par les Etats membres. Et de poser à son tour la question de la faisabilité d’une telle procédure : « comment un pays pourra-t-il interdire aux agriculteurs d’acheter et cultiver des semences GM alors que ces dernières sont légalement vendues et librement distribuées sur le marché unique, alors que des agriculteurs des pays voisins cultivent ces mêmes plantes sans restriction ? ». De même à l’international pour la question des conflits potentiels à l’OMC : « aucun Etat membre ne pourra longtemps résister à la pression d’une contestation à l’OMC s’il n’est pas soutenu par l’Union européenne ».

Les Amis de la Terre ont été les premiers à rendre publique leur position (7). Et on retrouve dans cette dernière les éléments soulevés par d’autres, bien qu’avec un rappel plus détaillé des demandes préalables à tout changement de procédure. Accueillant « prudemment » la proposition de la CE, les Amis de la Terre Europe rappellent que les mesures permettant « de prévenir les contaminations croisées et assurant que les entreprises de biotechnologies payent pour tout dommage résultant de la culture de PGM » doivent être prises avant toute chose. Tant que ces mesures ne sont pas en place, les Amis de la Terre demandent un moratoire sur toutes cultures de PGM. Dans le détail, cette association demande donc « des mesures effectives pour arrêter toute contamination issues des cultures de PGM ; une responsabilité contraignante des entreprises de biotechnologie ; la prise en compte des impacts socio-économiques sur les agriculteurs ; un seuil à zéro pour les contaminations des semences et une mise en œuvre complète de la demande des Etats membres de renforcement des évaluations des risques sanitaires des cultures de PGM ».

Cette position rejoint donc celle des Etats membres formulée en 2008, enrichie d’une demande de responsabilité des entreprises, élément a priori difficile à obtenir de la Commission européenne.

José Bové affiche son refus

José Bové, député européen du groupe des Verts, a aussi réagi rapidement à la proposition faite par la Commission. Il se déclare « fermement opposé au fait que la Commission européenne essaie de se débarrasser de ce problème sur les Etats membres individuellement ». D’autant que pour lui, cette proposition a pour but principal « d’éviter des conflits encore possibles avec les Etats-Unis et d’autres pays comme l’Argentine et le Brésil et d’évacuer le débat politique mené dans la société et qui devenait inéluctable au sein du Conseil des Etats membres » du fait d’un « nombre croissant d’exemples montrant les dangers environnementaux d’utilisation des plantes OGM ». Par ailleurs, le député européen affiche son inquiétude si la proposition devait se concrétiser : « l’UE est un marché libre sans contrôle aux frontières entre ses Etats membres. La circulation libre des semences GM, des matières premières agricoles transgéniques et de la nourriture animale GM se fera librement sans traçabilité réelle et les pays qui auront interdit les cultures GM sur leurs territoires auront d’extrêmes difficultés à se protéger des pays voisins producteurs d’OGM ».

La proposition de la Commission européenne est arrivée sur le bureau des Etats membres le 13 juillet (cf. encadré ci-dessous). Le 11 juin 2010, comme on l’a vu, la France et l’Espagne ont clairement fait connaître leur opposition à discuter de cette proposition avant que la Commission n’ait répondu aux demandes du Conseil des ministres de décembre 2008. Selon Jean-Louis Borloo, la position française serait partagée par une majorité d’Etats membres, treize l’ayant même officiellement fait savoir au cours du même Conseil des ministres de l’Environnement (8). Pour faire valoir sa position, la France va donc maintenant discuter ferme avec ses partenaires européens pour être suivie face à la Commission européenne. Si une position commune semble pouvoir être atteinte contre cette dernière dans l’immédiat, les raisons de chaque Etat ne sont très certainement pas les mêmes. Pour la France, il s’agit de renforcer en priorité l’évaluation avant autorisation. Pour l’Espagne, où les cultures de PGM sont les plus importantes en Europe, il pourrait s’agir de garder la main sur ce dossier et ne pas donner aux régions plus de pouvoir qu’elles n’en ont déjà, dans un pays où la culture régionale intervient fortement dans la politique nationale. Les acteurs de la société civile présentent une position commune ce qui est incontestablement une force face à une Commission qui espérait très probablement les diviser. Les discussions estivales devraient probablement se finaliser à l’automne 2010, sauf si elles ne vont pas dans le sens souhaité par la Commission et que celle-ci fait le choix de reculer.

Mais une autre bataille aurait pu – et pourrait encore partiellement – être gagnée par la Commission dans le dossier des OGM : qu’elle réussisse à attirer l’attention de tous les acteurs sur cette proposition et qu’elle fasse oublier les autres travaux en cours. La remise sur le tapis des conclusions du Conseil des ministres de décembre 2008 est un premier signe que ce point et tout ce qui le compose ne seront pas oubliés. Mais d’autres travaux sont en cours, à l’image de la définition comme OGM des produits issus de huit nouvelles techniques de biotechnologie, l’hypothèse de la levée de la tolérance zéro sur les PGM non autorisées et contaminant des lots importés, la révision des législations existantes… Inf’OGM s’attachera à être vigilante sur ces dossiers, pour éviter qu’ils ne soient enterrés…

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