n°143 - janvier / février 2017

Égypte : le coton biologique, une alternative durable

Par Nils Daun, chargé de relations publiques et de communication à Sekem*

Publié le 12/01/2017

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La culture du coton est celle qui utilise le plus de produits chimiques phytosanitaires. Sous couvert de réduire ces applications, depuis la fin des années 90, le coton transgénique s’est progressivement substitué au coton conventionnel, avec de nombreuses apparitions de résistances à la clé. L’expérience égyptienne présentée ici prouve que la culture biologique du coton est une alternative viable.

Utilisé pour la fabrication de textiles et vêtements depuis plus de 8000 ans, le coton est l’une des plus anciennes plantes cultivées dans le monde. Les fibres de coton sont aussi utilisées pour les toiles de tentes, les filtres de café, les billets de banque… et on extrait aussi de l’huile de cuisson des graines de coton.

Or le coton est le produit agricole sur lequel on applique le plus de produits chimiques. Selon les Nations unies, 18 % des produits phytosanitaires sont utilisés dans les champs de coton au niveau mondial. Il en résulte d’importants problèmes pour l’environnement et les êtres humains. Ce sont surtout les cultures de coton non biologiques, souvent génétiquement modifiées, qui nécessitent beaucoup de pesticides. La culture de coton requiert en outre beaucoup d’eau : selon l’Institut pour l’Éducation relative à l’Eau de l’UNESCO, pour un seul T-shirt, 2 000 litres d’eau sont nécessaires. Ceci est particulièrement problématique dans les pays où l’eau se fait rare.

Agriculture durable en Égypte

De plus en plus d’agriculteurs et d’entreprises au niveau mondial ont compris les avantages d’une culture de coton alternative durable et se tournent vers la culture biologique voire biodynamique de coton. L’une de ces entreprises est Sekem Initiative en Égypte. Depuis presque 40 ans, Sekem produit, transforme et commercialise une alimentation, des textiles et des produits phyto-pharmaceutiques biologiques et biodynamiques en Égypte, dans le monde arabe et sur les marchés internationaux. En 1977, le Dr. Ibrahim Abouleish a acheté un bout de terre dans le désert et l’a amélioré par les méthodes de l’agriculture biodynamique. « Nos champs retiennent au moins 20 % d’eau en plus et absorbent en moyenne environ trois tonnes de CO2 par hectare et par an. Ceci est un signe clair que l’agriculture biologique joue un rôle majeur dans la lutte contre le changement climatique », explique Helmy Abouleish, le dirigeant de Sekem. Aujourd’hui, Sekem Initiative a transformé plus de 680 hectares de terres du désert pour l’agriculture durable et créé un espace de vie, d’apprentissage et de travail au sein d’une communauté responsable où toutes les activités économiques sont menées en équilibre avec les activités culturelles, sociales et écologiques.

Sekem était l’une des premières initiatives de culture et de transformation de coton biologique en Afrique. En 1990, le Dr. Abouleish et son équipe de chercheurs ont testé l’efficacité et le rendement des cultures de méthodes alternatives et durables. Ceci a conduit le gouvernement égyptien à interdire la méthode jusque là employée d’épandage aérien de pesticides sur les champs de coton. En moyenne, l’emploi global de pesticides en Égypte a baissé de presque 90 % en un an. La même année, Sekem a également encouragé la création du Centre pour l’agriculture biologique en Égypte, organe de certification indépendant travaillant selon les lignes directrices établies par Demeter puis selon le Règlement sur l’agriculture biologique de l’Union européenne. Beaucoup de pays africains, comme la Tanzanie, l’Ouganda et le Bénin, ont suivi l’exemple de Sekem et de l’Égypte et ont commencé à produire du coton biologique dans les années 90.

« Sensibiliser à l’agriculture durable »

Sekem a développé les années suivantes un concept holistique et biodynamique pour la culture de coton biologique, en étroite collaboration avec des scientifiques, des agriculteurs, des conseillers et des consommateurs. Pour aider les agriculteurs à passer de la culture conventionnelle à biodynamique de coton, Sekem a fondé l’Association égyptienne de Biodynamie (Egyptian Biodynamic Association, EBDA). L’EBDA s’assure que les agriculteurs reçoivent un prix stable pour leurs produits, les protégeant ainsi contre la pauvreté ou l’endettement. « L’ objectif principal est de sensibiliser à la valeur ajoutée de l’agriculture durable et de promouvoir ses résultats positifs auprès des agriculteurs », affirme Attia Mohamed Sobhy, secrétaire de l’EBDA.

En 1994, Sekem crée l’entreprise NatureTex, qui produit des textiles biologiques à partir de coton biologique de haute qualité. NatureTex fabrique divers produits, à partir de coton (ou de lin) certifié 100% biologique (sous-vêtements et vêtements de nuit pour bébés et enfants, vêtements pour adultes, linge pour la maison etc.). Grâce à la courte chaîne de production et à la transformation selon le Global Organic Textile Standard, l’impact écologique est très faible. De fait, l’activité économique garantit que l’environnement n’est pas dégradé, que les personnes créant la valeur ajoutée reçoivent en contre-partie un revenu juste et travaillent dans des conditions dignes, et que ceux qui utilisent les produits bénéficient de leur haute qualité.

Les OGM ne sont pas la solution

Selon l’association allemande Informationsdienst Gentechnik (Service d’information sur le génie génétique), environ 73% du coton cultivé mondialement est génétiquement modifié. Le plant de coton GM produit une protéine insecticide de bactérie. Ceci produit un poison supposé tuer la larve de la capsule du coton, or dans le même temps les pucerons et les punaises pullulent d’où l’utilisation d’encore plus de pesticides. Selon une récente étude réalisée par l’Université d’Heliopolis pour le Développement durable (Égypte), les principes des agricultures biologique et biodynamique présentent une alternative aux méthodes agricoles conventionnelles ou de modification génétique et, à long terme, un meilleur rapport coût/efficacité. En additionnant les coûts de la pollution de l’eau et du sol résultant de la culture de coton, maïs ou riz, l’étude montre que si l’agriculture biologique a des coûts de production directs légèrement plus élevés, elle permet de réduire les coûts résultant des dommages environnementaux et sanitaires, et ainsi, aboutit à un meilleur rapport coût/efficacité à long terme pour la société dans son ensemble.

Changer la manière de penser

Les consommateurs doivent devenir sensibles aux problèmes induits par la culture non biologique de coton. Tant qu’ils continuent d’acheter des textiles moins chers fabriqués à partir de coton conventionnel ou GM, les produits fabriqués à partir de coton biologique resteront dans les placards. « Chacun d’entre nous devrait questionner sa propre consommation et la société du ‘jetable’ » dit Hannes Jaenicke, un acteur allemand engagé dans la protection de l’environnement. « En voyageant dans le monde j’ai pu voir les conséquences de l’économie des pays industrialisés aux quatre coins du globe. Le problème est bien trop peu évoqué et les politiques écartent ce sujet ». Il devient clair qu’il est temps de changer notre manière de penser. Les consommateurs doivent développer une plus forte sensibilité à la façon dont le coton, avec lequel leurs vêtements sont fabriqués, est cultivé. Sinon, les générations futures devront payer le prix des dommages causés par l’agriculture conventionnelle.

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