n°150 - mai / juin 2018Fiche technique / Etat des lieux

Autorisation des pesticides : comment manœuvre l’industrie

Par Nadine Lauverjat, Générations futures

Publié le 07/05/2018

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Le glyphosate a été ré-autorisé dans l’Union européenne pour cinq ans fin 2017, malgré les vagues de protestations d’experts et de citoyens. Générations Futures, ONG qui lutte contre les pesticides, nous explique comment l’industrie influence la réglementation et les autorisations de mise sur le marché. Quel rapport avec les OGM ? 88 % des plantes transgéniques sont conçues pour tolérer un herbicide…

L’année 2017 s’est achevée avec la ré-autorisation, dans l’Union européenne (UE), et pour cinq ans, du glyphosate, une molécule présente notamment dans le Roundup ; et, en France, avec la suspension de deux insecticides de type néonicotinoïdes à base de sulfoxaflor suite à l’action juridique en référé de Générations Futures.

Schématiquement, la mise sur le marché d’une substance dite active – le glyphosate, par exemple, qui se fait au niveau de l’UE ou d’un produit formulé – le Roundup, par exemple, qui se fait au niveau des États membres [1], repose sur deux fondements majeurs : l’efficacité du produit à lutter contre tel ou tel « ravageur » ciblé, et son innocuité pour les organismes non ciblés et la santé humaine. Une molécule ou un produit ne devrait donc être mis sur le marché que s’il répond parfaitement à ces deux exigences.

Nous passerons sur la question de l’efficacité du produit qui, s’il n’était pas efficace, ne serait a priori pas vendu.

Pour démontrer les failles sur l’évaluation de l’innocuité des pesticides au niveau européen, le réseau PAN Europe (Pesticides Action Network) a analysé, dans un récent rapport disponible en français sur le site de Générations Futures [2], comment les industriels influencent fortement les instances en charge des évaluations et homologations des pesticides au niveau de l’UE.

L’industrie écrit ses propres règles…

PAN Europe montre que pour 92 % (11 sur 12) des méthodes européennes examinées d’évaluation des risques liés aux pesticides, c’est l’industrie qui a conçu et/ou encouragé leur réglementation. Dans la plupart des cas, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA/EFSA) a rédigé les lignes directrices sur l’utilisation des critères et méthodes du règlement pesticides 1107/2009. Ces méthodes sont notamment utilisées pour écarter ce qui gêne : tumeurs observées lors de l’évaluation de la toxicité des pesticides sur les animaux, présence de pesticides cancérigènes dans nos aliments, métabolites de pesticides polluants présents dans nos eaux souterraines…

L’industrie, menée par le groupe de pression industriel International Life Sciences Institute (ILSI), a développé au cours des quinze dernières années les méthodes lui convenant dans une série de réunions à huis clos avec les employés de l’industrie et quelques professeurs d’université qui partageaient généralement leur point de vue. Il s’agissait ensuite de faire entrer les alliés de l’industrie au sein des panels d’experts qui rédigeaient des opinions sur les méthodes : ceux de l’AESA, du Programme international sur la sécurité des substances chimiques/de l’Organisation mondiale de la santé (IPCS/OMS) et de la Réunion conjointe FAO/OMS sur les résidus de pesticides (JMPS), entre autres agences.

… et siège dans les panels d’experts

75 % (9 sur 12) des méthodes d’évaluation des risques étudiées par PAN ont été développées par des experts proches de l’industrie, qui siégeaient dans des panels européens et mondiaux. Aucune des méthodes étudiées par PAN (soit 0 sur 12) n’a été évaluée par des chercheurs indépendants.

Pour 50 % (6 sur 12) des méthodes étudiées par PAN, l’AESA et d’autres agences avaient organisé des réunions sur la conception des méthodes faisant intervenir exclusivement les représentants de l’industrie. Enfin, l’industrie s’est inspirée principalement des États-Unis, où les citoyens ne sont pas protégés par le principe de précaution. Pourtant, 67 % (8 sur 12) des méthodes étudiées par PAN laissaient deviner une origine américaine.

De l’avis de PAN et de Générations Futures, il serait nécessaire de revoir entièrement les méthodes d’évaluation des risques de l’UE. Pour cela, il faudrait faire appel à des scientifiques complètement indépendants menant des travaux expérimentaux de manière quotidienne, afin d’utiliser les dernières connaissances scientifiques pour protéger le public. Surtout, les données des études universitaires sur la toxicité des pesticides devraient être prises en compte, ce qui n’est pas le cas actuellement car le système favorise les études ayant suivi les « Bonnes pratiques de laboratoire », des exigences relatives à l’enregistrement des données n’améliorant pas la qualité scientifiques des études mais qui ne sont quasiment jamais employées par les équipes universitaires car trop coûteuses en temps et argent.

Quand le ministère de l’agriculture snobait les experts de l’Anses

Outre la question de l’évaluation des substances actives au niveau de l’UE, se pose aussi la question de l’évaluation et l’homologation des produits formulés au niveau national. En 2013, notre association dénonçait, sur la base de données tangibles, des irrégularités graves qui avaient permis le maintien sur le marché de plus de 40 pesticides dangereux qui auraient dû être interdits ou avoir des usages restreints [3] !

À l’époque, les Autorisations de mise sur le marché (AMM) étaient entre les mains du ministre de l’Agriculture. Or des documents en possession de notre association démontraient que la Direction Générale de l’Alimentation (service en charge de ces dossiers au ministère de l’Agriculture) tenait très rarement compte des remarques faites par l’Anses (agence en charge de l’évaluation des risques des produits formulés en France) et notamment de ses avis défavorables (ou favorables sous conditions) concernant de nombreux pesticides.

Autrement dit : de très nombreux pesticides, ou usages de pesticides, restaient autorisés alors qu’ils auraient dû, selon l’Anses même, être interdits car non conformes aux exigences de la législation en vigueur ! Depuis cette affaire qui avait fait scandale, l’autorisation des pesticides est passée dans le giron de l’Anses, sous tutelle de plusieurs ministères et plus uniquement celui de l’Agriculture.

Malgré ce changement, le 27 septembre 2017, le Closer© et le Transform©, deux insecticides fabriqués par Dow AgroSciences dont le principe actif est le sulfoxaflor, ont obtenu leurs AMM de la part de l’Anses. Le sulfoxaflor contenu dans ces produits appartient pourtant à la famille des néonicotinoïdes, ces fameux insecticides tueurs d’abeilles que la loi biodiversité de 2016 prévoit d’interdire le 1er septembre 2018 (avec dérogation possible jusqu’en 2020).

En 2014, l’Autorité européenne de sécurité des aliments avait même jugé ce pesticide « hautement toxique pour les abeilles ».

Le 20 octobre 2017, fort de l’interpellation de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) et d’une pétition portée par Agir pour l’Environnement (APE), les ministres Stéphane Travert et Nicolas Hulot ont donné trois mois à l’Anses pour confirmer ou non l’autorisation de ces deux pesticides. Doutant que l’Anses ne se désavoue, notre association a décidé de déposer, le 27 octobre, deux recours juridiques (en référé et sur le fond) contre ces deux AMM [4]. Le juge des référés dans son jugement du 24 novembre nous a donné raison [5], décision confirmée le 16 février 2018 par le Conseil d’État [6] ! En effet, il a ordonné la suspension des deux AMM dans l’attente d’un jugement sur le fond.

Refondre le système d’autorisation et d’évaluation des pesticides

D’autres faiblesses sont à pointer sur ce dossier des AMM et non des moindres. Ainsi, le produit formulé n’est pas suffisamment évalué pour ses effets chroniques. C’est ce qu’a clairement indiqué un avis de l’Anses dans ses conclusions, suite à « l’affaire Séralini » [7]. De même, l’industriel choisit la substance qu’il va déclarer comme active dans son produit formulé. Ainsi, chacun sait que la substance active déclarée dans le Roundup est le glyphosate, or des études, dont celles de G.-E. Séralini, ont démontré que les adjuvants pouvaient se révéler bien plus actifs et avoir, eux, l’effet herbicide recherché qui manquerait en fait… au glyphosate [8] !

Faute de moyens, nos ONG ne peuvent malheureusement pas courir en permanence derrière chaque mise sur le marché de pesticides (substances ou produits formulés) pour les vérifier ! Rappelons que l’UE ne compte pas moins de 400 molécules différentes de type pesticides autorisées dont la plupart sont disponibles en France et des milliers de produits formulés. Pour en finir avec ce système qui tolère sur le marché des molécules dangereuses, il va être nécessaire de refondre le système d’autorisation et d’évaluation des pesticides. Ça tombe bien, le gouvernement français a déclaré qu’il s’agissait là d’une priorité de son futur plan pesticides prévu prochainement et pour lequel nos ONG ont fait de nombreuses propositions [9] que les citoyens peuvent soutenir [10] !

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