n°124 - septembre / octobre 2013

Agricultures transgénique et bio : une incompatibilité de fond

Par LEROUX Juliette

Publié le 27/09/2013

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L’utilisation d’OGM ou d’intrants produits à l’aide d’OGM est interdite en agriculture biologique, ce que les partisans des OGM considèrent comme dogmatique. Pour eux, les plantes génétiquement modifiées (PGM) pourraient aider les producteurs bio à mieux protéger l’environnement et résoudre certaines « impasses techniques », arguant, par exemple, des résistances acquises par ces PGM qui éviteraient l’application de pesticides. Un tel raisonnement révèle une profonde incompréhension de l’agriculture biologique.

En agriculture bio, l’approche d’une ferme et de ses productions est systémique : au lieu de prendre chaque problème et d’y appliquer une solution associée (un pesticide par exemple), on essaie d’atteindre un équilibre et d’insérer au mieux la ferme dans son écosystème. Cela passe par un ensemble de pratiques essentiellement préventives, en premier recours, qui minimisent autant que possible l’utilisation d’intrants extérieurs. Ainsi, concrètement, pour lutter contre un ravageur des cultures, un paysan bio utilisera des moyens mécaniques ou physiques (voiles de protection…), des rotations longues pour casser le cycle de reproduction du ravageur, des associations de plantes répulsives et favorisera l’implantation de prédateurs du ravageur (coccinelle…). En second recours, il utilisera des produits naturels ayant un impact faible sur les écosystèmes.

Une autre caractéristique de la bio est que le paysan reste maître de ses choix techniques qui doivent être pris en fonction de sa situation pédo-climatique et de son environnement social et bien sûr économique.

La sélection (des variétés de plantes cultivées et de races d’animaux élevés) est aussi centrale en bio qu’elle l’est pour toute l’agriculture : il s’agit de produire suffisamment et de façon adaptée à son contexte pédo-climatique… ce qui n’est pas forcément en ligne avec les critères de la sélection « récente » (conventionnelle ou GM), qui est faite essentiellement sur des critères de productivité à condition d’utiliser pesticides et engrais chimiques. Les bio sont d’ailleurs très actifs dans le développement des semences de populations (sélection de population d’individus plutôt que de clones), qui présentent des caractéristiques plus adaptées à leur mode de production (résilience, adaptation au milieu…). A contrario, la recherche a principalement sélectionné sur la base de critères de productivité… sous l’hypothèse d’utiliser des pesticides et engrais chimiques. Ces variétés sont donc inadaptées à l’agriculture bio.

Les PGM, inutiles…

Les PGM sont issues d’un raisonnement exactement inverse à celui de la bio, puisque basé sur le principe de l’agriculture conventionnelle « un problème = une solution » et suppose qu’une même variété est adaptée à toutes les fermes.

Par ailleurs, les PGM actuellement commercialisées sont incompatibles avec la réglementation bio. En effet, les plantes GM tolérantes aux herbicides (la très grande majorité des PGM cultivées) supposent l’utilisation d’un herbicide chimique, tous interdits en bio. Et les plantes GM Bt produisent un insecticide, or le traitement systématique comme moyen de lutte contre les ravageurs n’est en accord ni avec ses principes, ni avec ses règlements.

Ces PGM sont également censées avoir de meilleurs rendements. Mais ces plantes « à haut potentiel » ne le sont qu’à condition de leur fournir suffisamment de nutriments, c’est-à-dire des engrais minéraux. Mais ces engrais, de type NPK, sont interdits en bio. Seuls sont autorisés des effluents animaux ou végétaux (vinasses…), de préférence compostés. Cette agriculture qui nécessite de nombreux intrants extérieurs (herbicides, pesticides, engrais) est tout le contraire de la bio et surtout, n’est en réalité pas rentable à long terme, si on prend en compte l’épuisement des sols et le coût des intrants. Quant aux promesses de PGM adaptées à la sécheresse ou aux milieux extrêmes (salés), les paysans ne les ont pas attendues pour sélectionner des variétés classiques adéquates lorsque cela était possible.

… et dangereuses pour la bio

Le risque de contamination entre parcelles est reconnu et documenté. Les mesures à mettre en place pour assurer une contamination ne dépassant pas 0,9% (et non pas l’absence totale de contamination) seraient extrêmement complexes et onéreuses, même pour les espèces les moins problématiques. Le programme scientifique européen Co-extra (2005-2009) a notamment conclu à la nécessité de définir de grandes distances d’isolement ou de dédier de larges zones de productions avec ou sans OGM. Pour la bio, la généralisation de cultures GM commerciales serait donc une catastrophe, d’autant qu’aujourd’hui, le coût des mesures de séparation (haie, nettoyages…), des contrôles (par organisme tiers) et des déclassements en conventionnel suite aux contaminations est entièrement à la charge des bio, ce qui est scandaleux.

D’autre part, les PGM sont brevetées, comme une invention industrielle. L’agriculteur n’a pas le droit de réutiliser sa récolte pour la ressemer et peut être poursuivi s’il contrevient à cette règle même si sa récolte a en fait été contaminée contre sa volonté par des PGM. Les OGM instituent un principe pollué-payeur ! C’est donc une forte restriction de l’autonomie du producteur mais aussi un accaparement du vivant et de la sécurité alimentaire par des entreprises privées.

Enfin, les fonds publics et privés considérables dédiés à la recherche sur les OGM ne sont pas employés à développer des semences de sélection classique adaptés à une agriculture à faibles intrants et aux nouvelles conditions climatiques, ou bien à travailler sur les pratiques agricoles permettant de se passer de produits chimiques.

Les plantes transgéniques ne sont pas les seules PGM, mais ce sont les seules à être étiquetées, et à être interdites en agriculture biologique. IFOAM demande notamment depuis 2004 l’interdiction en bio des semences à cytoplasme mâle stérile (CMS). Dans l’attente d’une nouvelle législation, de plus en plus de marques privées collectives bio prennent des mesures supplémentaires, à leurs frais.

Pour conclure, plus qu’un refus des PGM par l’agriculture biologique, il s’agit donc d’une incompatibilité de fond, à la fois dans les objectifs et les moyens. Un choix politique, de société, doit donc être fait entre ces deux modes de culture.

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