n°142 - novembre / décembre 2016

Afrique du Sud : un système semencier inadapté

Par Mariam Mayet, Centre africain pour la biodiversité

Publié le 14/12/2016

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Vingt après la démocratisation de l’Afrique du Sud, le pouvoir économique est toujours aux mains d’une petite minorité avec en lien, pauvreté grandissante et malnutrition pour une majorité de sud-africains noirs. Dans ce contexte, le système semencier sud-africain ressemble plus aux systèmes des pays occidentaux qu’à ceux des autres pays africains.

D’un côté, le secteur industriel dominant et fortement industrialisé au sein duquel les grandes entreprises semencières internationales et nationales produisent et vendent des semences commerciales certifiées, d’abord destinées aux producteurs commerciaux. De l’autre côté, les semences paysannes marginalisées. En Afrique du Sud, et plus que partout ailleurs en Afrique, la domination de longue date des industriels a largement réduit les savoirs indigènes autour des semences et accru la dépendance au système officiel. Le marché sud-africain de la semence est contrôlé par les entreprises comme Monsanto, Syngenta et Pioneer Hi-Bred. Et de nouvelles formes d’exclusion et de domination sont apparues via les lois et d’autres formes de structures institutionnelles et ce malgré la fin de l’apartheid.

L’importance de la Diversité des semences

Les semences sont au cœur d’un système alimentaire sain et constituent la base des aliments que nous consommons. La domestication des cultures, depuis 10 000 ans, s’est faite par la sélection de semences parmi les récoltes. Les agriculteurs ont cultivé des milliers de variétés, et les ont adaptées aux conditions de sols, de climats, de pathogènes et de ravageurs. Certaines variétés ont de meilleurs rendements ou sont plus nutritives ou ont d’autres qualités quant au goût, à l’arôme, à la facilité de les cuisiner, à les transformer ou à les conserver. D’autres variétés sont aussi appréciées à des fins culturelles ou cérémoniales. Ainsi en Afrique de l’Ouest, la noix de cola est utilisée à des fins culturelles et médicales en plus d’avoir une profonde signification rituelle et spirituelle ; au Nigeria, elle est remise aux aînés lors d’une première rencontre et constitue souvent une partie de la dot ; tandis que chez les Tikari au Cameroun, les colatiers sont sacrés et protégés par la communauté entière.

Les caractéristiques du système semencier sud-africain

La politique agricole sud-africaine vise à intégrer les petits paysans noirs dans le secteur commercial. Ce qui est fait dans un contexte de domination de la production commerciale à grande échelle. Il est dès lors très compliqué pour les petits agriculteurs d’arriver sur le marché et d’essayer de devenir concurrentiels. Une telle politique ne bénéficiera qu’à quelques producteurs, sans compter les impacts écologiques et sociaux négatifs à long terme notamment pour les communautés et foyers ruraux. Combattre cette inégalité implique de combattre l’inégalité structurelle du système alimentaire, caractérisé par une concentration des entreprises.

En 1994, la réforme agraire et certains projets agricoles menés par des groupes publics ont ouvert la porte à l’intégration d’un petit nombre de paysans noirs dans le système officiel mais n’ont rien fait pour renverser la structuration agricole existante. Ce qui a en revanche eu lieu fut l’expansion d’anciennes coopératives devenues entreprises.

Le secteur sud-africain de la semence diffère notablement du reste de l’Afrique où la majorité des plantes cultivées par les petits paysans ont été sélectionnées et conservées de la précédente récolte ou proviennent de proches paysans voisins ou d’un commerce rural local. Le secteur sud-africain, hautement industrialisé, centralisé et marchand, est dominé par des semences de variétés uniformes génétiquement, développées pour le commerce et qui ont remplacé les variétés traditionnelles génétiquement variées. Contrairement à la plupart des pays africains, production et distribution des semences sont contrôlées par les entreprises et répondent aux besoins de l’agriculture commerciale. La conservation ex situ, soutenue par la recherche académique et les entreprises, caractérise le système semencier sud-africain. Elle repose sur une technologie et connaissance de haute intensité, avec un accent mis sur le développement, comme dans tous les pays adhérents à l’Union pour la protection des obtentions végétales, de variétés distinctes, homogènes et stables (DHS). Ce système commercial est centré sur les produits de base et particulièrement les variétés à haut rendement. Des contrats sont signés avec des agriculteurs « commerciaux » pour produire des semences qui devront être certifiées par les autorités de régulation nationales.

Concentration de l’industrie semencière

Au cours des années 80, du temps de l’apartheid donc, presque toutes les cultures commerciales de maïs en Afrique du Sud étaient des variétés hybrides et six entreprises composaient le tissu industriel : Pannar, Sensako, Asgrow, Ciba-Ceigy, Saffola et Cargill Hybrid Seeds. A la fin du siècle dernier, Monsanto rachetait les deux plus grosses, Carnia et Sensako [1]. En 1998, l’Afrique du Sud devenait le premier pays au monde à cultiver commercialement une variété génétiquement modifiée d’une plante à la base de son alimentation, le maïs blanc. Lors de la saison de culture 2014/15, 84% des 1,4 million d’hectares plantés avec du maïs blanc (pour l’alimentation humaine) et 90% des 1,2 million d’hectares de maïs jaune (pour l’alimentation animale) étaient OGM. 

Quant au soja, une des plus importantes cultures d’Afrique du Sud, il a dépassé le tournesol en tant que principale culture oléagineuse. En 2015/16, les agriculteurs sud-africains ont planté 687 000 hectares de soja – un record. Les variétés de soja RoundUp Ready de Monsanto, autorisées commercialement en 2002, représentent 90% de tout le soja cultivé dans le pays.

Le marché de la semence, qui représentait environ 194 millions d’euros en 2010, s’est fortement concentré : DuPont Pioneer a pris le contrôle de Pannar Seed en 2012, Zaad Holding (la branche investissement du groupe PSG) a racheté les entreprises Agrico, Klein Karoo Seed et Gebroeders Bakker, Limagrain a acquis South Africa’s Link Seed et Zimbabwe Seed Co. Cette concentration industrielle a conduit à une situation dans laquelle les paysans sont de plus en plus déconnectés de la sélection végétale. Selon l’organisation nationale sud-africaine des semences (Sansor), l’industrie semencière sud-africaine pesait environ 326 millions d’euros en 2014/2015, soit une croissance de près de 70% en quatre ans.

La nécessaire évolution de la politique semencière

Le système sud-africain de régulation des semences est orienté en faveur des intérêts industriels. A l’instar des pays occidentaux, les petits paysans qui pourraient vouloir produire des semences pour le marché officiel sont contraints par des lois et des règles faites pour soutenir des économies d’échelle, des droits de propriété industrielle des sélectionneurs et un système de production intensive à fort capital. Ces lois nécessitent une révision substantielle pour permettre aux petits paysans voulant produire et maintenir des semences de le faire sans craindre d’être hors-la-loi et sans être contraints par des certifications ou autres obligations non adaptées à leurs besoins et conditions. Des politiques, programmes et budgets clairs pour soutenir le secteur public, construire un système de semences fermières ou paysannes et une diversité de semences sont nécessaires.

Une distribution plus équitable des moyens de production serait essentielle pour réparer tant les injustices historiques que les inégalités et envisager un futur économique solidaire. Des alternatives existent dans les pratiques fermières actuelles – sans distinction de couleur de peau – pour la conservation de semences à la ferme et des échanges entre paysans, soutenues par des experts scientifiques, notamment dans les institutions sud-africaines du secteur public de la recherche agricole.

L’Afrique du Sud est face à un enjeu concernant la mise en œuvre de stratégies visant à diversifier son système alimentaire aux niveaux communautaire et familial en faisant notamment la promotion des aliments traditionnels, des jardins amateurs, des petits élevages, des procédés de préservation et de stockage des fruits et légumes efficaces pour réduire tant les déchets que les pertes post-récolte et les effets de saisonnalité ; et en renforçant la transformation agricole faite par les petites entreprises et la promotion d’une alimentation basée sur un régime sain et nutritif. Comme le souligne le rapport 2015 du groupe d’experts internationaux sur les systèmes d’alimentation durable (IPES-Food), le paradigme agricole actuel doit être changé si l’on veut tendre vers l’agroécologie qui est en capacité de produire assez et d’une manière durable en se reposant sur une agriculture traditionnelle riche en biodiversité et diversité des écosystèmes.

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