Tribune

UE – OGM : L’équivalence en substance est un dogme

Par José Bové

Publié le 11/04/2011

Partager

L’intervention du député européen José Bové, retranscrite ci-dessous dans son intégralité, a été faite le 31 mars 2011, en ouverture de l’atelier de l’Autorité Européenne de la Sécurité des Aliments (AESA, ou en anglais EFSA) sur l’équivalence en substance et les comparateurs appliquée à l’évaluation des Plantes Génétiquement Modifiées (PGM). Cette publication sur le site d’Inf’OGM vient compléter le compte-rendu mis en ligne des interventions de cette journée par l’EFSA, lequel ne reprend pas celle du député [1].

Cette journée a été organisée suite à la publication par l’AESA d’une proposition de lignes directrices d’évaluation des risques dans lesquelles l’équivalence en substance occuperait dorénavant une place centrale [2]. Face à ce changement d’approche de l’évaluation, plusieurs acteurs dont José Bové avaient interpellé le Commissaire à la santé et aux consommateurs, John Dalli, et l’AESA sur la nécessité de continuer les discussions. L’AESA a donc organisé cette journée afin de récolter les opinions des différentes parties prenantes au débat sur l’évaluation des risques liés aux PGM avant autorisation et notamment, la place donnée au concept d’équivalence en substance dans cette évaluation.

L’introduction de cette journée par José Bové, en tant que député, est symbolique des nouveaux rapports que le PE souhaite mettre en place entre experts, Commission européenne et Parlement européen.

La présente discussion visait à recueillir les avis et compléter éventuellement le rapport de l’EFSA sur un élément de l’évaluation (les comparateurs). Le dossier complet des lignes directrices d’évaluation des risques liés aux PGM passera ensuite par d’autres discussions, la Commission européenne ayant annoncé son intention de traduire en règlement ces propositions de lignes directrices. Le Parlement européen ainsi que le Conseil européen seront donc saisis du dossier. La décision finale sera prise fin 2011 pour l’évaluation des risques sanitaires et en 2012 pour l’évaluation des risques environnementaux [3].

Intervention de José Bové le 31 mars 2011

Il a fallu attendre près de 20 ans pour qu’une agence de sécurité alimentaire accepte d’ouvrir le débat sur le « concept d’équivalence en substance ». 20 ans de controverse scientifique, d’opacité pour qu’aujourd’hui, enfin, l’EFSA permette la confrontation des points de vue sur ce point central de divergence.

Malheureusement, seules les deux premières heures de cette conférence permettront de confronter deux opinions sur ce point. J’aurais souhaité, comme Madame Geslain-Lanéelle l’avait proposé lorsqu’elle m’a rencontré à Bruxelles le 17 novembre 2010, que cette journée soit consacrée entièrement à ce sujet.

L’intitulé de cette conférence « Sélection de comparateurs pour l’évaluation des plantes OGM » montre que le thème a profondément changé. Je le regrette. Malgré cette évolution que j’estime dommageable, j’ai néanmoins tenu à ouvrir cet atelier. Pour autant, je suis convaincu que ce temps de dialogue ne nous permettra pas de clore le débat. Il s’agit d’un premier pas, d’autres suivront qui nous permettront collectivement de trouver un moyen d’évaluer réellement l’ensemble des risques toxicologiques, environnementaux, sociaux et économiques liés à l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture et dans l’alimentation.

Je tiens tout d’abord à revenir rapidement sur les conditions qui ont permis l’organisation de cette journée. Le 14 juillet 2010, j’ai rencontré à sa demande le Commissaire Dalli qui préparait sa proposition de renationalisation des autorisations des cultures OGM. Lors de cette réunion, j’ai, entre autres sujets, alerté Monsieur Dalli sur les conflits d’intérêts qu’il y avait à la tête de l’EFSA. En particulier, je lui ai expliqué que Madame Banati, Présidente de cette Agence, était également membre du Conseil des Directeurs d’ILSI Europe, qui se trouve être un des groupes de pression les plus puissants et les mieux organisés sur les questions agro-alimentaires et que ce double engagement était de nature à influencer les décisions qu’elle pouvait prendre en particulier en ce qui concerne le choix des scientifiques qui composent le panel OGM. L’EFSA, créée en 2002, est selon le règlement (CE) 178/2002 du 28 janvier 2002), chargée, je cite : « d’être une source indépendante en matière de conseil, d’information et de communication sur les risques pour améliorer la confiance des consommateurs ». A ce titre, elle est donc tenue de choisir des experts scientifiques indépendants des entreprises ayant des intérêts financiers dans les décisions qui seront prises dans le cadre des opinions scientifiques produites par l’Agence. Cette indépendance est absolument indispensable.

Le 14 juillet, j’ai demandé à Monsieur Dalli que les services de la Commission SANCO prennent les mesures nécessaires pour mettre un terme à ce conflit d’intérêt. Cette requête n’a pas été suivie d’effets. Le 29 septembre 2010, l’organisation d’une conférence de presse au Parlement européen à Bruxelles et les articles publiés dans la presse qui suivirent, permettent de porter à la connaissance du public ce conflit d’intérêt. Lors du Conseil d’Administration de l’EFSA qui s’est déroulé les 20 et 21 octobre 2010, Madame Banati a finalement pris la décision de démissionner de ses fonctions à l’ILSI. Cette réaction montre à l’évidence que ces deux engagements n’étaient pas compatibles.

Retracer l’historique de ces quelques mois est nécessaire pour deux raisons. Cela montre d’une part la manière dont l’industrie des biotechnologies est parvenue à influencer les décisions de l’EFSA en plaçant dans ses instances décisionnelles des personnalités scientifiques qui reprennent ses analyses et qui partagent ses objectifs. Cela permet également de souligner que, malheureusement, sans la mobilisation de l’opinion publique, les décideurs politiques de l’Union européenne ne sont pas toujours en mesure de conserver une position claire et impartiale sur des questions qui préoccupent tant leurs concitoyens.

Après cette brève introduction, permettez-moi d’aborder maintenant le sujet essentiel de cette journée, l’équivalence en substance qui est au centre d’une polémique scientifique depuis 1993.

Les premières variétés transgéniques utilisables à grande échelle en agriculture sont apparues à la fin des années 1980. Les entreprises qui les ont développées (Monsanto, Pioneer, DuPont, Bayer, BASF) avaient besoin de la mise en place d’une réglementation la moins contraignante possible pour commercialiser leurs nouvelles semences. Pour elles, il était impératif de réduire au maximum les tests toxicologiques et les études d’impacts sur l’environnement. Leur objectif était de persuader les autorités publiques et les consommateurs que les OGM n’étaient pas intrinsèquement différents des plantes conventionnelles utilisées jusque là.

En 1988, l’OCDE a mis en place un groupe de travail dont l’objet était de parvenir à un accord pour une réglementation globale sur les autorisations de ces nouvelles technologies. A cet effet, le GEN (Groupe des Experts Nationaux sur la sûreté en biotechnologie) a été créé. Certaines des personnalités qui ont contribué à ce travail étaient ouvertement favorables aux biotechnologies et à leur mise en place rapide sur le marché. Dés cette époque, l’industrie des biotechnologies était très active et cherchait à influencer la définition du cadre réglementaire en gestation.

J’illustrerai mon propos par un exemple, celui de M. Willy de Greef, expert belge.

En 1991, M. De Greef est Président du Groupe National d’Experts dont les conclusions serviront de base à la mise en place du concept d’équivalence en substance.

M. Willy de Greef a également été responsable des Questions Réglementaires pour deux entreprises importantes impliquées dans les biotechnologies. Dans les années 1980, il a travaillé pour Plant Genetic System qui sera racheté en 2002 par Bayer Crop Science. Entre la fin des années 1990 et 2003, il a occupé un poste similaire chez Syngenta Seeds. Le 1er juillet 2008, M. De Greef est devenu le Secrétaire Général d’Europabio (l’Association Européenne des Bio-industries) dont la mission est de promouvoir en Europe une industrie biotechnologique dynamique et inventive. Il occupera cette fonction jusqu’en avril 2010, date à laquelle il deviendra Directeur exécutif d’IBRS (International Biotechnology Regulatory Services).

Cette proximité entre, d’une part le monde de l’industrie, et d’autre part celui de l’administration jette de sérieux doutes sur l’impartialité des études qui ont été produites à cette époque et qui ont profondément influencé la mise en place des réglementations visant à encadrer la mise sur le marché des OGM.

Parallèlement au travail mené au sein de l’OCDE, les entreprises ayant des intérêts dans le secteur des semences se sont engagées dans une campagne de lobbying. En 1988, elles ont créé l’IFBC – International Food and Biotechnology Council – qui publiera un rapport en 1990 intitulé « Assuring the Safety of food produced by Genetic Modification, Regulatory, Toxicology and Pharmacology ». Ce travail servira de base à la mise en place de la législation américaine.

Dans son rapport l’IFBC conclut « qu’aucune nouvelle mesure réglementaire n’est nécessaire pour encadrer des aliments ou des ingrédients alimentaires produits à partir de sources ayant été génétiquement modifiées« . Ces recommandations peu contraignantes ont été adoptées l’année suivante.

L’IFBC recommande également « que le principal moyen pour évaluer des produits génétiquement modifiés repose sur une comparaison de la composition du nouveau produit avec celles de ces équivalents traditionnels en ce qui concerne les niveaux de leurs éléments constitutifs ». L’idée est énoncée. Un an plus tard l’OCDE valide officiellement cette proposition et la baptise du nom : « d’équivalence en substance » dans un rapport intitulé : « Evaluation de la sécurité des denrées alimentaires issues de la biotechnologie moderne ».

Nous sommes en 1991.

Les auteurs de ce nouveau document considèrent que : « Le concept d’équivalence en substance est la concrétisation du principe selon lequel les organismes existants utilisés comme aliments ou comme source d’aliments peuvent servir de base pour la comparaison, sur le plan de l’innocuité de la consommation par l’homme, avec un aliment ou un constituant alimentaire modifié ou nouveau ».

En l’occurrence, l’idée d’équivalence substantielle ne repose pas sur une démonstration scientifique irréfutable comme celle qui permet d’établir la loi de la gravité universelle, même si les scientifiques pontificaux de l’époque ne le reconnaissaient pas, mais sur « la concrétisation d’un principe ».

Pour éclairer le propos, le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales donne la définition suivante : « Un principe est une proposition posée au début d’une déduction, ne se déduisant elle-même d’aucune autre dans le système considéré, et par suite mise, jusqu’à nouvel ordre, en dehors de toute discussion« .

Dés le début, aux Etats-Unis, des scientifiques au sein de la Food and Drug Administration (FDA) ont exprimé des doutes sur le fait que l’équivalence en substance puisse permettre d’évaluer correctement les impacts d’un OGM, que ce soit au niveau de sa toxicité ou de son impact sur l’environnement. Leurs craintes ont été relayées par la suite par de nombreux chercheurs mais elles n’ont jamais été sérieusement étudiées. L’équivalence en substance peu à peu s’est imposée comme un dogme religieux. Les détracteurs du concept de l’équivalence en substance, se sont vus accusés d’être des pseudo-scientifiques, leurs arguments, rabaissés à de la junk-science, opposée à la sound-science issue des entreprises ou des universités dont ces dernières financent les programmes de recherche. Le débat scientifique n’a jamais pu avoir lieu. Et malgré ces protestations, les entreprises des biotechnologies réussirent à imposer rapidement aux États-Unis leurs semences résistantes aux insecticides et tolérantes aux herbicides systémiques.

En Europe, face aux résistances des consommateurs et à la création d’un nombre important d’associations qui s’opposent aux cultures de plantes transgéniques et à l’introduction d’OGM dans l’alimentation, les entreprises s’organisent. L’ILSI obtient, sur un budget global de 12 millions d’euros, un financement de 8 millions d’euros de la Commission européenne pour un programme de recherche : ENTRANSFOOD. Ce projet a pour ambition de « faciliter la mise sur le marché d’OGM en Europe et donc de placer l’industrie européenne dans une position compétitive ». La personne chargée de coordonner cette offensive pour le compte de l’industrie s’appelle Harry Kuiper. Aujourd’hui, Monsieur Kuiper est Président du Panel OGM de l’EFSA. Il est chargé de superviser les opinions scientifiques sur lesquelles s’appuient les gouvernements et la Commission européenne pour prendre une décision.

Le principe d’équivalence en substance – qui sert de base d’évaluation depuis cette époque- consiste à comparer les composants d’une plante transgénique (protéines, nutriments, anti nutriments, etc…) avec des plantes conventionnelles. Si les écarts enregistrés correspondent à des écarts connus entre variétés de la même espèce, la plante transgénique est considérée comme étant équivalente en substance.

Un exemple permet de comprendre comment ce principe est mis en œuvre actuellement par l’EFSA :

En mai 2010, l’EFSA a publié une opinion scientifique portant sur une variété de maïs transgénique MON89034 X1507X NK603 développée par MONSANTO. L’agence conclut que les différences observées entre le maïs MON89034 et les variétés conventionnelles sont faibles et ne dépassent pas les variations naturelles relevées dans la littérature, ni celles notifiées dans la base de données « cropcomposition » mise en place au cours des années par l’ILSI. L’EFSA considère que la comparaison des études fournies par Monsanto avec les données produites par l’ ILSI est suffisante pour conclure que la variété transgénique est comparable aux variétés traditionnelles. Les conclusions pour le 1507 et le NK603 sont similaires.

Sur son site internet « cropcomposition », l’ILSI indique à ses utilisateurs qu’ils doivent utiliser « Ridley et Al, 2004 » pour faire référence aux données qu’ils ont utilisées. Monsieur Willy Ridley travaille en fait pour Monsanto. En note de page, l’ILSI prend soin de signaler qu’elle ne saurait en aucun cas être tenu pour responsable des travaux et des résultats obtenus grâce à l’utilisation de données fournies à titre gracieux.

En d’autres termes, le panel OGM de l’EFSA se contente in fine de comparer des données fournies par Monsanto à d’autres données fournies également par Monsanto. C’est un cercle vicieux.

Je considère qu’en agissant ainsi l’Agence européenne ne remplit pas la mission qui lui a été confiée à sa création en 2002, à savoir garantir l’indépendance, la valeur scientifique et la transparence de ses opinions.

Dans la saisine de l’EFSA par la DG SANCO sur les nouvelles techniques des biotechnologies dans les plantes datée du 24 février 2011, il est souligné que : « le seul objet d’utiliser les biotechnologies est d’accélérer le processus d’amélioration variétale des plantes (de 15 ans à 5 ans), ce qui permet de réduire le coût du développement de nouvelles variétés ».

Cette déclaration montre que, pour les entreprises, au-delà de tous les discours agronomiques ou humanistes, l’intérêt final des biotechnologies est de réduire leurs coûts et de maximiser leurs bénéfices.

Le 4 décembre 2008, le Conseil des Ministres de l’Environnement de l’UE a demandé à la Commission de lancer une réforme des procédures d’évaluation.

Le concept d’équivalence en substance ne permet pas d’effectuer une analyse des risques liés à l’utilisation des OGM dans l’agriculture et l’alimentation. Pour renforcer la sécurité du public et de l’environnement, les gestionnaires du risque doivent impérativement revoir de fond en comble les procédures appliquées par l’EFSA en ce domaine. Les plantes résistantes aux insectes ou tolérantes aux herbicides doivent subir la même batterie de tests que les pesticides produits par l’industrie phytosanitaire avant d’obtenir une autorisation de mise sur le marché.

L’EFSA ne peut pas se permettre de proposer des réformes à minima ou un rafistolage rapide.

La société civile et les citoyens qui refusent majoritairement les OGM ne permettront pas qu’une nouvelle fois l’Europe privilégie les intérêts des industriels aux dépens de ceux des paysans et des consommateurs.

[2Evaluation des risques environnementaux : http://www.efsa.europa.eu/en/efsajo… et évaluation des risques sanitaires : http://www.efsa.europa.eu/en/suppor… 

[3Intervention de Sébastien Goux : http://www.efsa.europa.eu/en/gmplan… 

Actualités
Faq
A lire également