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Transparence des données brutes sur les OGM : le HCB donne son avis

Par Eric MEUNIER

Publié le 16/12/2013

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Depuis l’affaire Séralini, la question de la transparence et de l’accès aux données brutes des dossiers des entreprises mobilise les instances européennes et françaises. Ainsi, suite à une demande du gouvernement, le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) a publié, en octobre 2013, un état des lieux et fait des propositions d’évolution de cette question [1]. Inf’OGM, pour qui la question de la transparence est un objet statutaire, avait communiqué au groupe de travail du HCB ses demandes sur ce sujet, comme elle les a également soumises à l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA).

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La controverse scientifique qui a suivi la publication de l’étude de G.-E. Séralini, a mis sur la table la question de l’accès aux données brutes des analyses de toxicologie conduites et fournies par les entreprises pour demander une autorisation commerciale. En effet, d’un côté, il a été demandé à G.-E. Séralini de fournir l’ensemble de ses résultats d’analyses pour qu’ils puissent être évalués, et de l’autre côté, G.-E. Séralini demandait à voir les données brutes de Monsanto sur son maïs NK603 et le RoundUp (si les données du maïs GM sont en effet bien accessibles, ce n’est pas le cas pour l’herbicide). En janvier 2013, l’AESA publiait de son propre chef l’ensemble du dossier fourni par Monsanto pour demander l’autorisation de commercialiser le maïs NK603. Début 2013 également, l’AESA démarrait un groupe de réflexion sur l’amélioration de la transparence et de l’accès aux données brutes (groupe de travail auquel Inf’OGM participe). En France, le gouvernement demandait au HCB de dresser sur ce sujet un état des lieux législatifs et des pratiques ainsi que de formuler des propositions pour faire évoluer ces dernières.

Les propositions du HCB : pour une plus grande transparence

Pour le HCB, trois enjeux majeurs sous-tendent le sujet de la transparence et de l’accès aux données brutes fournies par les entreprises. La transparence « est indispensable pour assurer la vérification des évaluations par d’autres que les pétitionnaires [et] améliorer la confiance envers l’expertise ». A noter qu’au passage le HCB souligne que la transparence ne doit pas aboutir à une « multiplication d’alertes infondées qui sont anxiogènes pour le public, fragilisent l’expertise et jettent la suspicion sur les experts ». Enfin, le HCB souligne que les intérêts industriels et commerciaux doivent être protégés.

Quelle est la situation actuelle pour les dossiers de PGM ? Selon le HCB, tout citoyen peut, sur demande, obtenir les données brutes des demandes d’autorisation déposées. Données qui sont obtenues dans un délai d’un mois, au format papier ou électronique selon la demande. Un accès qu’Inf’OGM avait pu effectivement vérifier pour le dossier du maïs NK603 en recevant les données au format pdf (donc non exploitables par des scientifiques).

Quant aux propositions, celles du HCB sont « pratico-pratiques » : d’une part, les données brutes fournies par le pétitionnaire et communicables à tout un chacun sur demande, doivent être fournies dans un format exploitable via l’outil informatique. D’autre part, un système d’astreinte ou d’amende devrait être réfléchi pour contraindre les entreprises à fournir « l’ensemble des données [que les instances d’expertise] demandent » dans le cas d’évaluation de « la sécurité de telle ou telle catégorie de PGM » (hors demande d’autorisation). Surtout, le HCB demande à ce que les entreprises soient contraintes à fournir « toutes les données » qu’elles ont en leur possession, constatant qu’aujourd’hui « le pétitionnaire dispose en pratique d’une marge de manœuvre quant à la liste des données qu’il verse au dossier et peut ainsi n’y divulguer que des éléments favorables à la mise sur le marché de son produit ». Une demande qui, sur un sujet comme celui des médicaments, est d’une actualité brûlante comme le rapporte un article de la revue Nature de ce mois-ci [2]. Selon cet article, il existe de nombreuses différences entre les données rendues publiques et celles confidentielles, et les auteurs montrent que les données manquantes dans la version publique sont parfois des « données cruciales telles que […] des effets secondaires sérieux ». Pour le dossier OGM, il faut donc souligner que la demande du HCB est ambitieuse puisque visant à ce que les dossiers soient construits de manière exhaustive et non partiale. Mais si le HCB souhaite que les entreprises fournissent ces données de façon exhaustive, reste à savoir comment on pourrait les y obliger et vérifier l’application réelle de cette contrainte.

Cependant, le HCB n’a pas retenu certaines propositions de la société civile. Concrètement, Inf’OGM, à l’instar d’autres ONG européennes, demande que les dossiers complets (données brutes, échanges entre entreprises et comités d’experts, nom des laboratoires, sources de financement – les mêmes données que celles fournies dans les articles scientifiques finalement…) soient rendus publics pro-activement (sur un site web) comme l’AESA l’a fait – tardivement – pour le maïs NK603, et donc sans passer par une demande écrite. Inf’OGM demande également que les déclarations d’intérêts des principaux salariés et membres des comités des agences d’expertise soient mises en ligne et conservées durant cinq années après le départ de la personne de l’agence [3].

Si le mandat confié au HCB n’abordait pas la question des déclarations d’intérêt (d’où l’absence de positions sur ce point), la question de la publication proactive a été discutée. Mais la balance entre avantages et inconvénients a basculé en faveur des inconvénients pour finalement ne pas être retenue. Le HCB a en effet retenu la mise en danger des intérêts des entreprises. Ces dernières avaient fait valoir dans le cadre des discussions avec l’AESA qu’une mise en ligne proactive leur interdisait de savoir qui avait demandé à recevoir les données, à l’inverse d’un système de mise à disposition sur demande. Or, pour toutes les entreprises qui sont engagées dans une guerre d’intelligence économique, une telle perte de traçabilité de leurs informations n’est pas envisageable. Les entreprises contextualisent donc leur demande de non dissémination par le fait d’un manque de confiance qu’elles se portent mutuellement, tout en demandant aux citoyens lambda de leur accorder cette confiance. Comprenne qui pourra… Interrogé par Inf’OGM, le gouvernement français n’a pas pu nous indiquer ce qu’il comptait faire de ce rapport.

Des entreprises réticentes

Inf’OGM participe au groupe de discussion mis en place par l’AESA sur le sujet de l’accès aux données, discussions qui devraient aboutir fin 2014 à l’adoption par l’AESA d’une politique officielle. Lors d’une réunion publique qui s’est tenue en septembre 2013 à Parme (Italie), chaque acteur (société civile et entreprises) a pu faire valoir sa position. Si côté ONG, les demandes étaient déjà connues [4], celles des entreprises furent détaillées plus avant. Et il est apparu clairement qu’elles sont très en retrait sur la question de l’accès aux données : elles ne veulent en effet qu’aucune donnée ne soit rendue publique avant la décision d’autorisation ou de refus d’autorisation, bien que cela soit contraire à la législation comme le souligne le HCB dans son rapport. Mais surtout, elles ont expliqué que les données présentes dans leur demande d’autorisation étaient destinées à l’évaluation par les comités d’experts, et non à des réévaluations par la communauté scientifique [5]. Ce dernier point montre les différences notoires d’appréciation entre les parties prenantes. Le HCB et la société civile mettent en avant la nécessaire évaluation par la communauté scientifique des analyses conduites par les entreprises alors que ces dernières se montrent opposées à un tel objectif. Une situation paradoxale pour des acteurs qui ne cessent de clamer que toute décision doit être basée sur les principes de la « bonne science », principes peu respectés dans les analyses en elles-mêmes comme Inf’OGM l’a déjà montré, mais également non respectés dans cette position de refus d’alimenter la communauté scientifique en données brutes.

Le rapport final de l’AESA sur sa politique de transparence – politique qui sera définie dans le cadre de la législation internationale et communautaire existante – est attendu pour fin 2014. D’ici là, une consultation publique est prévue pour avant l’été 2014.

[1

HCB
HCB – Avis sur l’accès aux données brutes

[2« Secrets of trial data revealed », D. Cressey, Nature 502, pp. 154–155, (10 October 2013), doi:10.1038/502154a

[4cf. note 3

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