n°120 - janvier / février 2013

OGM : peut-on faire une étude à long terme de toxicologie incontestable ?

Par Christophe NOISETTE, Eric MEUNIER

Publié le 20/12/2012

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Le 19 septembre 2012, Gilles-Eric Séralini publie, dans la revue Food and chemical toxicology, une étude pour évaluer l’impact sanitaire du maïs génétiquement modifié NK603 et de l’herbicide Roundup que ce maïs tolère. Parmi les répercussions de cette publication, le gouvernement français s’est engagé à refaire une telle étude à long terme pour espérer sortir de la polémique. Mais comment et avec quels moyens ?

De nombreux comités d’experts nationaux ou européen en charge de l’évaluation des OGM ont été mobilisés pour évaluer la publication de G.-E. Séralini. Tous ont rendu des avis rapidement, en insistant sur les limites de l’expérience menée et l’ont jugée non concluante. En France, le 20 octobre, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le Comité Économique, Éthique et Social (CEES) du Haut Conseil sur les Biotechnologies (HCB) ont souhaité qu’une étude à long terme soit menée [1]. Le CEES a recommandé qu’une « étude de long terme sur les conséquences sanitaires potentielles de cette plante génétiquement modifiée (PGM) soit entreprise 1) sous l’égide des pouvoirs publics, 2) selon les principes qui doivent gouverner l’expertise scientifique (indépendance, pluralisme, contradictoire, transparence) et 3) sur le fondement d’une méthodologie élaborée en commun par les scientifiques (experts du CS [comité scientifique] du HCB, y compris en sciences sociales ; experts de l’Anses ; auteurs de l’étude dont le HCB a été saisi) et les parties prenantes du CEES » [2]. L’Anses, agence d’experts, recommandait « des recherches visant à décrire les effets potentiels sur la santé associés à la consommation sur le long terme d’OGM » [3], seuls et associés aux herbicides, ainsi que ceux des herbicides seuls. Le 29 novembre [4], plusieurs député-e-s européen-ne-s demandaient que soit conduite dans des conditions optimales une étude à long terme pour évaluer la toxicologie des PGM et des herbicides qui vont avec. Des députés français se sont aussi exprimés sur ce sujet (cf. encadré ci-contre).

Le 22 octobre, le gouvernement français déclarait retenir « la proposition formulée par l’Anses ». Et le 25 octobre, devant les deux comités du HCB, la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, soulignait de nouveau que le principe d’une telle étude était acté et que le gouvernement attendait des deux comités du HCB qu’ils accompagnent cette étude et que son cahier des charges soit établi conjointement par toutes les parties prenantes telles que scientifiques et société civile. Les services du ministère, interrogés par Inf’OGM, nous précisaient encore début décembre que l’objectif restait toujours de conduire une « étude indépendante et transparente » et que « l’étape pour se mettre tous d’accord sur le protocole sera difficile mais obligatoire ».

Différents scénarios : du rien… à l’étude participative

Inf’OGM a interrogé de nombreux acteurs pour voir les différents scénarios possibles. Premier scénario, porté principalement par les détracteurs de l’étude de G.-E. Séralini : ne rien faire. Gérard Pascal, ancien membre de la CGB, nous dit explicitement : « Je ne pense évidemment pas qu’une nouvelle étude à long terme permettrait d’apaiser le débat. […] S’il était décidé malheureusement de gaspiller des crédits pour refaire une étude avec les mêmes objectifs que [pour] celle de Séralini, il conviendrait au minimum que tous les acteurs impliqués dans la polémique actuelle, à l’exception bien sûr des experts des instances officielles, soient soigneusement totalement éloignés de l’expérimentation ». De son côté, Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS, sans remettre en cause directement le bien-fondé de cette étude, expliquait le 19 novembre, à l’Assemblée Nationale, qu’il faut « une conférence de consensus entre experts pour évaluer le besoin d’une telle étude », refusant, au passage, toute légitimité au CEES pour recommander une étude scientifique. Pour lui, il « n’appartient pas aux médias, ONG et industries de dire ce que doivent être les bonnes pratiques de laboratoire en recherche ».

Un autre scénario consisterait à refaire l’étude « entre scientifiques », sur la base d’un appel d’offre auquel seuls quelques laboratoires pourraient répondre. Officiellement, aucune des parties prenantes au débat ne se positionne clairement en faveur d’un tel scénario puisque pour tous, la priorité est que le protocole établi soit le fruit d’un accord large. Ce qui ouvre la voie au troisième scénario, celui d’une étude menée par des scientifiques avec consultation de la société civile. Ainsi, l’Anses considère qu’un comité organisationnel regroupant les différentes parties engagées sur le débat pourrait être monté pour établir les objectifs, sujets et hypothèses de travail de cette étude. La mise en œuvre concrète de l’expérience serait, elle, assurée par un comité scientifique dont les membres devront répondre à des exigences d’indépendance financière et intellectuelle. Surtout, pour l’Anses, il est fondamental qu’un tel débat préalable sur le protocole soit mené entre toutes les parties prenantes, afin que les résultats de l’étude soient les plus incontestables possibles. Un souci auquel le président du CS du HCB, Jean-Christophe Pagès, adhère, expliquant à Inf’OGM que « le CS du HCB, comme sa mission le requiert, est ouvert à toute demande d’expertise, y compris afin de proposer une structure scientifique et méthodologique pour mener à bien une étude de toxicité à long terme sur le maïs NK603. Comme le CEES l’a souhaité, le CS contribuerait, en association, dans la transparence, sans omettre de consulter toutes les parties, prenantes y compris ».

Enfin, le dernier scénario, également compatible avec la recommandation du CEES, va plus loin dans la co-construction de l’étude entre scientifiques et société civile. Il n’y aurait pas deux comités mais les scientifiques et les acteurs engagés seraient, en permanence et à tous les niveaux, co-décideurs. Il s’agirait incontestablement d’une innovation conceptuelle, où la société civile ne servirait pas seulement à définir le cadre : elle interviendrait avant, pendant et après. Christine Noiville, présidente du CEES, nous précise que « quelque soit le scénario choisi [entre les deux derniers exposés], il est très important que les parties prenantes puissent s’exprimer à intervalles réguliers ».

Côté entreprises, les positions sont très attentistes, et semblent, hypocritement, renvoyer la balle aux seules autorités. Ainsi, Bayer nous écrit : « Nous n’avons pas de position sur ce sujet ». Quant à Syngenta, elle estime que « seules les agences d’évaluation européenne et française officiellement mandatées sont à même de prendre de telles décisions. Il leur revient de définir précisément les protocoles adéquats pour apporter toute clarification nécessaire ». Monsanto et BASF n’ont pas souhaité nous répondre. Comment Monsanto réagira-t-elle lorsque les scientifiques lui demanderont des semences de maïs NK603 afin de pouvoir les mettre en culture en vue de l’alimentation des rats ? Jusqu’à présent, aux Etats-Unis du moins, ces études étaient conditionnées par les entreprises à un droit de regard sur les résultats et leur publication [5].

Les discussions avancent… sans la société civile

La présence d’un volet pesticide – s’il est maintenu – pourrait placer l’Anses en position de coordination ou animation, le HCB ne disposant pas de cette compétence. Christine Noiville, présidente du CEES, nous informe qu’une « rencontre entre des dirigeants de l’Anses et du HCB a permis de discuter des modalités d’une réflexion commune ». Et de nous préciser que l’objectif était double : « que les deux structures avancent ensemble pour que la mise en place de l’étude ne s’éternise pas, le HCB n’ayant pas encore réussi à discuter avec le ministère ; [et] aboutir à une proposition commune quant au fonctionnement du ou des comités gérant cette étude ». La présidente du CEES insiste sur le fait que « la volonté est partagée que toutes les parties prenantes soient dans les tours de table pour discuter ». Frédéric Jacquemart, vice-président du CEES (et président d’Inf’OGM), souligne n’être pas au courant de ces discussions entre le HCB et l’Anses. Une rencontre entre HCB, Anses et ministère(s) pourrait avoir lieu d’ici la fin de l’année ou au début 2013. A ce stade des discussions, les organisations de la « société civile » sont donc pour l’instant absentes de l’évolution du dossier. On retombe vite dans les mauvaises habitudes.

La Commission européenne « réfléchit actuellement à la pertinence de mener une telle étude sur un OGM, sans savoir encore lequel » [6]. Cependant, Eric Poudelet de la Commission, nous précise « qu’il ne s’agit en aucun cas de refaire l’étude de Séralini mais de mener une étude sur deux ans en parallèle d’une étude à 90 jours. Ceci afin de voir si l’étude à 90 jours fournit des signes annonciateurs de questions auxquelles une étude sur deux ans aurait pour charge de répondre ». Cette approche est bel et bien différente de celle actuellement discutée en France. Pour le financement, la Commission considère trois possibilités : faire financer une étude sur le budget du programme Horizon 2020 de la DG Recherche, organiser un cofinancement avec les Etats membres intéressés ou demander au programme européen GRACE de la prendre en charge sur son budget. Ce programme (cf. encadré ci-dessous) est aujourd’hui coordonné par Joachim Schiemann, un ex-scientifique de l’AESA connu pour ses positions ouvertement favorables aux biotechnologies végétales. La place de l’AESA reste, elle, à arrêter car pour la Commission, et malgré les déclarations de Mme Geslain Lanéelle, sa directrice, coordonner ce type de travail n’est pas du rôle de l’AESA. Selon M. Poudelet, la mise en œuvre de cette étude de comparaison entre 90 jours et deux ans se fera très probablement suite « à un appel d’offre auquel des laboratoires répondront en présentant un projet. Le choix du projet retenu sera fait par des scientifiques ». On voit donc clairement que la société civile n’a pour l’instant aucune place attribuée par la Commission, seconde différence importante avec le projet français…

Les questions en suspens

Le financement est une des questions auxquelles le gouvernement devra apporter rapidement des réponses précises. De quel budget pourrait disposer l’Anses pour cette nouvelle mission ?

Car si l’étude de G.-E. Séralini, qui a coûté trois millions d’euros, n’était pas assez complète, l’étude que le gouvernement propose coûtera plus cher. En effet, pour Gérard Lasfargue, directeur-adjoint scientifique de l’Anses : « …cette étude n’aurait de puissance statistique acceptable qu’à partir de 80 à 100 rats par groupe… ce qui [ferait] passer son coût à cinq voire dix millions d’euros » [7]. Mais faut-il financer cette étude sur fonds publics ? Pourquoi les citoyens qui ont régulièrement exprimé leur refus du génie génétique en agriculture, devraient-ils en effet payer pour en connaître les impacts sanitaires ? Il semblerait plus logique qu’un fonds alimenté par les entreprises de biotechnologies, via une taxe sur les dossiers de demande d’autorisation, permette de réaliser ces travaux, comme le demandent les députés européens.

Le 31 octobre 2012, le directeur général de l’Anses, Marc Mortureux, a déclaré devant les sénateurs [8] : « Il est bon que l’industrie soit obligée de prouver l’innocuité des produits qu’elle fabrique, mais sur certaines questions, il faudrait pouvoir mener des études complémentaires et indépendantes. Nous ne demandons pas directement d’argent, mais la possibilité de mobiliser des financements publics dans le cadre des mécanismes existants, afin de crédibiliser un peu notre dispositif ».

Autre question : la composition d’un Comité de pilotage. Avec ou sans les parties prenantes, on a vu ici que certains avis divergent. Ce qui est certain, c’est que sans une réelle transparence (composition de ce comité, origine des financements, nom du laboratoire…), cette nouvelle étude sera critiquée par ceux qui ne se reconnaissent pas dans ses conclusions.

Dans le même temps, le gouvernement français souhaite la remise à plat complète du système d’évaluation des PGM au niveau européen et national (notamment ses lignes directrices). En effet, plutôt que des avancées partielles, le gouvernement souhaite une réflexion globale pour aboutir à un système fiable.

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