n°98 - mai / juin 2009Fiche technique / Etat des lieux

« Les biotechnologies modernes ne sont pas adaptées aux petits agriculteurs »

Par Christophe NOISETTE

Publié le 30/04/2009

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L’Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles pour le développement (IAASTD, de l’anglais International Assessment of Agricultural Science and Technology for Development) est, à l’instar du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), un travail intergouvernemental, interdisciplinaire et polyphonique (des ONG, des entreprises, des Etats et des instituts de recherche, en tout 55 personnes membres du bureau de l’IAASTD). C’est d’ailleurs l’ancien président du GIEC, Robert Watson, qui a piloté le processus de l’IAASTD. Les participants ont produit cinq évaluations régionales, et un rapport de synthèse de plus de 110 pages. Approuvé par 59 gouvernements à Johannesburg, le 12 avril 2008, cette recherche qui a mobilisé plus de 400 experts internationaux sur trois ans, vise à évaluer « la pertinence, la qualité et l’efficacité des connaissances, sciences et technologies agricoles (CSTA) ainsi que l’efficacité des politiques du secteur public et privé, tout comme les accords institutionnels relatifs à ces CSTA » et de définir les voies que devrait suivre la recherche agronomique pour relever le défi alimentaire des prochaines décennies. Cet article fait le point sur ce rapport, notamment sur la partie concernant les plantes génétiquement modifiées.

Une critique de l’agriculture intensive

Le travail d’évaluation des sciences et des technologies a conduit à « une vision de compromis entre deux visions dures de l’agriculture : celle qui place la technologie au centre de tout progrès et celle privilégiant les savoirs locaux », selon Marianne Lefort, agronome à l’Inra et membre de l’IAASTD. Cependant, malgré la recherche permamente de l’équilibre dans les sources, le rapport aboutit à une critique en profondeur de l’agriculture industrielle. Cette agriculture, du fait de sa dépendance au pétrole et des effets négatifs sur les écosystèmes, est ainsi décrite comme « non durable ». Achim Steiner, secrétaire du Programme des Nations unies pour l’environnement, estime que « si nos systèmes agricoles continuent de mettre l’accent uniquement sur la maximisation de la production au coût le plus bas, l’agriculture connaîtra une grande crise dans vingt à trente ans ». Ainsi, explique Michel Dodet, agronome à l’Inra et membre du bureau de l’IAASTD, « L’IAASTD propose une réorientation autour des savoirs locaux et communautaires, afin de retrouver une autosuffisance alimentaire. On ne peut pas jouer sur le seul facteur de la technologie ».

Autre remise en cause : arrêter de favoriser, comme cela se fait depuis un demi-siècle, les cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières. Or, les OGM sont actuellement pour les pays du Sud des cultures de rente, tels le coton en Inde ou le soja en Argentine, dédiées à l’exportation. Pour l’IAASTD, il n’est pas durable d’accélérer ce mouvement.

Enfin, l’IAASTD affirme que « les biotechnologies modernes ne sont pas adaptées aux petits agriculteurs dont ceux qui pratiquent l’agriculture de subsistance ». Sans une formation adéquate, sans un environnement économique précis, ces technologies ne peuvent pas être appropriées par les communautés locales et au lieu de les aider, renforceront les inégalités vis-à-vis des retombées, positives ou négatives, de ces technologies. Pour l’IAASTD, il est ainsi évident que la dissémination d’une technique ou d’une variété, seule, ne réduira jamais la pauvreté. Il n’existe pas de miracle en agronomie. Et le contexte social et politique détermine autant que la technique. Ainsi, si on prend les OGM comme solution principale aux problèmes globaux, du fait d’une trop forte mobilisation en capitaux et en ressources humaines que cette technologie implique, on assistera, estime le rapport, à un ralentissement de la lutte contre la faim.

Les OGM : des risques et des incertitudes

Tout d’abord, pour l’IAASTD, la concentration des cultures GM dans quelques pays du continent américain est « le signe d’un taux faible d’adoption de la technologie ». 93% des terres mondiales restent non OGM, précise le rapport. Ensuite, l’IAASTD considère que les OGM, au sein des biotechnologies modernes, est un sujet polémique, que leur évaluation est loin d’être entièrement satisfaisante. Ainsi, comme le résume Greenfact [1], « étant donné la rapidité avec laquelle se développent de nouvelles techniques, l’évaluation à long terme des avantages et inconvénients environnementaux et sanitaires tend à prendre du retard sur les découvertes, ce qui accroît les spéculations et incertitudes ». A la question de savoir si les OGM ont permis d’améliorer les rendements, le rapport est prudent, et se contente de « noter » que si certaines études présentent des améliorations de rendements et des retours financiers positifs, notamment avec la culture du coton Bt, d’autres, notamment la culture du soja RR aux Etats-Unis et en Argentine, présentent des résultats antagonistes. Cependant, le rapport précise bien que les réelles améliorations de rendement ont été le fait de la sélection variétale classique et non de la transgénèse et cite ainsi qu’entre 1950 et 1980, les rendements de blé ont progressé de 33%. De même par rapport à l’usage des pesticides en lien avec les OGM, le rapport cite des études qui montrent une diminution et d’autres une augmentation. Il précise qu’ « il n’est pas clair si les bénéfices détectés pourront être étendus aux autres agroécosystèmes ou s’il seront durables à long terme du fait du développement des résistances aux herbicides et aux pesticides ». Plus loin, le rapport revient sur l’usage des produits chimiques et rappelle que si bénéfice il y a parfois dans des systèmes industriels, ce bénéfice ne peut être transféré aux agriculteurs faiblement mécanisés ou utilisant peu d’intrants.

Le rapport évoque aussi le flux de gène comme un risque reconnu et documenté. Il précise par exemple que du fait du flux de gène, les variétés modernes peuvent devenir des plantes invasives, ou des mauvaises herbes problématiques. Et ainsi, du fait de l’apparition de ces plantes résistantes, le rapport estime qu’à terme il est fortement probable que les OGM engendront une sur-utilisation des pesticides pour les éliminer. Ce phénomène a aussi des conséquences sur la flore sauvage et sur les autres sytèmes agricoles dont la récolte, en cas de contamination, sera déclassée, ce qui engendrera des coûts.

Le rapport note aussi que la dissémination des transgènes engendre des problèmes de responsabilité et cite notamment le cas des plantes génétiquement modifiées pour produire des molécules thérapeutiques. Il ajoute que la contamination peut aussi avoir des conséquences juridiques, liées aux droits de propriété intellectuelle.

Les brevets limitent la recherche

La question des brevets est centrale dans le rapport de l’IAASTD. Si les brevets et autres systèmes de propriété intellectuelle appliquée à l’agriculture sont considérés par l’IAASTD comme un moyen d’augmenter l’investissement dans l’agriculture, le rapport précise aussi que ces droits engendrent des coûts prohibitifs sur les semences, limitent les possibilités d’expérimentation par les agriculteurs et les chercheurs, et surtout interdisent les échanges et la sauvegarde des semences, et cela, principalement dans les pays du Sud. L’IAASTD affirme que la privatisation des semences conduit à une érosion des savoirs traditionnels, et menace l’équilibre de certaines communautés, notamment du fait du rôle des femmes dans la gestion des semences. Et plus loin, il est précisé que « des instruments tels que les brevets peuvent accroître les coûts et réduire les activités d’expérimentation des agriculteurs ou des chercheurs du secteur public, tout en risquant par la même occasion de décourager les pratiques locales qui améliorent la sécurité alimentaire et la viabilité économique ». Or, « le fait de se concentrer sur la biotechnologie moderne, sans fournir un soutien adéquat à d’autres recherches agricoles, peut se traduire par une modification des programmes d’enseignement et de formation et une réduction du nombre de spécialistes dans d’autres sciences agricoles fondamentales. Cette situation risque de se perpétuer, puisque ce sont les étudiants d’aujourd’hui qui définiront les cadres d’éducation et de formation de demain ». Donc les brevets auront un impact à long terme sur la recherche agricole.

Enfin, l’IAASTD reconnaît que ce sont surtout les droits de propriété intellectuelle qui brident le développement des biotechnologie et non les coûts liés aux évaluations sanitaires et environnementales. On peut en effet lire : « même si les évaluations étaient supprimées, les DPI continueraient d’être une barrière significative à l’accès et à l’adoption de ces nouveaux produits ». Ces droits concentrent les biotechnologies dans les mains d’une poignée de multinationales, privatisent la recherche et la détourne de ses objectifs : trouver des solutions pour le bien commun.

Ainsi l’IAASTD appelle à « trouver un nouvel équilibre entre des accès exclusifs, sécurisés par des droits de propriété intellectuelle ou autres instruments et le besoin pour les agriculteurs locaux et les chercheurs de développer des plantes adaptées aux conditions locales ».

Réorienter la recherche

« Le statu quo n’est plus une option », insiste le rapport. Premier constat : si les sciences agricoles ont permis d’améliorer considérablement la productivité depuis une cinquantaine d’années, les bénéfices ont été très inégalement partagés. Par ailleurs, ces progrès se sont traduits dans bien des cas par un coût social et environnemental important. Les auteurs préconisent donc que les sciences agricoles prennent davantage en compte la protection des ressources naturelles et les pratiques dites « agro- écologiques ». Cela peut passer par exemple par l’utilisation d’engrais naturels, des semences traditionnelles, l’intensification de processus naturels ou une plus grande proximité entre la production des matières agricoles et des consommateurs auxquels elles sont destinées.

Loin de contester l’apport de la recherche, le rapport appelle au renforcement des capacités de la recherche publique, et à la collaboration entre ces chercheurs et les agriculteurs. C’est donc une autre façon de faire de la recherche qui est demandée. L’IAASTD précise qu’il faut investir « dans des priorités locales définies suivant une démarche participative et transparente, et privilégier les solutions multifonctionnelles aux problèmes locaux. Une telle démarche requiert de nouveaux types de soutien pour encourager le public à participer activement à l’évaluation des effets de la biotechnologie moderne sur les plans technique, social, politique, culturel, juridique, sexospécifique, environnemental et économique ».

En effet, pour l’IAASTD, les agrosystèmes, même dans les sociétés les plus pauvres, ont le potentiel, via l’agriculture biologique ou la gestion intégrée des ravageurs, de dépasser les rendements produits par les méthodes conventionnelles, de réduire l’utilisation d’engrais synthétiques, de pesticides et d’herbicides chimiques, de restaurer les écosystèmes (et particulièrement la qualité de l’eau) et de réduire l’expansion des terres agricoles. C’est sur ces thèmes qu’il faut mettre les moyens financiers et humains pour espérer sortir de la faim et des pollutions.

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